<55.1 Epistola dedicatoria ad Urbanum quartum>
prol.|
{
CMTep.1}¶A
Sanctissimo
1
ac reverentissimo
2
* patri
3
domino Urbano, divina providentia pape
4
quarto, frater Thomas de Aquino, ordinis fratrum predicatorum, cum devota reverentia, pedum oscula
5
* beatorum.
a
a
¶Nota : La présente édition n’a pas d’autre ambition que de traduire un principe herméneutique reçu de notre maître Jean-Pierre Torrell: les non-dits des commentaires bibliques médiévaux sont aussi importants que leur exégèse explicite. Dans le cas de la Catena, l’autorité de Thomas d’Aquin, la réputation de son génie tendent à faire oublier le travail impressionnant de ses collaborateurs, ouvriers de l’ombre auxquels il convient de rendre ici hommage, ainsi qu’à celles et ceux qui ont prêté leur concours à la présente édition. Ils ont aidé Thomas à rassembler, copier, traduire, mettre en fiches ou en dossiers, comparer et critiquer une documentation explicite relativement réduite (moins de 50 autorités nominales déclarées), mais en réalité plus complexe et aux ramifications implicites impressionnantes [voir les informations et observations provisoires réunies dans l’instrumentum laboris de l’édition en cours : M. Morard, Famosus Glossator : Thomas d’Aquin auteur de la Catena aurea, t. 2 :
catalogue raisonné des sources,
Sacra Pagina, CNRS-IRHT (en ligne) et id., t. 1 : la fabrique de la Catena. Histoire et méthode (en préparation)].
L’intention fondamentale de l’oeuvre était de procurer une version enrichie de la Glose ordinaire des évangiles, compilée au tournant du 12e siècle, puis figée par l’usage scolaire. Les défis théologiques, politiques et ecclésiologiques du 13e siècle ont été perçus par Urbain IV et Thomas d’Aquin comme une invitation à une connaissance élargie des traditions anciennes. Ce n’est pas la notion moderne de retour aux sources qui domine alors, mais celle de la continuité sans rupture et du consensus des traditions ecclésiales communes à l’Orient et à l’Occident et recentrées sur le Texte des évangiles. La Bible ne les épuise pas mais les agrège et en reçoit sa signification proprement chrétienne. Sans négliger d’autres vecteurs textuels, le recours à la Glose ordinaire latine d’abord, byzantine ensuite, a conduit Thomas d’Aquin non seulement à recueillir des textes partiellement nouveaux, greffés sur l’arbre de la Glose ordinaire, mais aussi à en rechercher les sources pour en vérifier la « certitude », c’est-à-dire la réception ecclésiale et donc la représentativité. La dédicace à Urbain IV, ancien archidiacre de Laon, patrie de la Glose ordinaire, évoque à peine ces objectifs prochains quand elle précise qu’on réservera le titre de « Glossa » aux sentences ajoutées « aux paroles des autorités certaines (certi auctores) » (CMTep6). Dans la phrase même qui rend compte du mandat reçu du Pape, Thomas se présente ainsi implicitement comme un nouveau Pierre Lombard (+1160), référence exemplaire de la théologie scolaire s’il en fut, dont la Magna Glossatura sur les Psaumes et le corpus paulinien relevait d’une démarche identique (voir à ce sujet, la préface d’Herbert de Bosham jointe à l’édition de la Magna Glossatura qu’il publia vers 1175). La Catena exprime donc l’ambition de procurer à l’enseignement de la Théologie une nouvelle version de la Sacra Pagina, entée sur l’olivier franc de la Glose ordinaire sur les évangiles, comme la Magna Glossatura avait englobé, pour les restructurer, la Glose de Laon sur les Psaumes et le corpus paulinien.
Ce n’est pas par hasard que la référence au même Pierre Lombard inaugure la Tertia pars de la Somme de Théologie (préambule), qu’il faut comprendre comme l’aboutissement doctrinal et l’objectif ultime de la Catena aurea à peine achevée. L’expression “consummatio totius Theologiae” y est en effet reprise du prologue de la Magna Glossatura. Cher le maître des Sentences, l’expression désigne le Psautier, considéré au Moyen Âge comme la synthèse de toute l’Ecriture, annonçant le mystère du Christ : ut magis videatur evangelizare quam prophetare (Pierre Lombard, prol. ‘Cum omnes prophetas’, § 5.2 et 5.5). Si le christianisme du premier Moyen Âge a préféré le Psautier aux évangiles, l’évangélisme réformateur des ordres mendiants appelait à un recentrement sur les évangiles que Thomas d’Aquin et Urbain IV ont voulu étayer par la mise à disposition d’un référentiel fondamental adapté. [Martin Morard, 28 août 2021, fête de saint Augustin – 24 juin 2022, Nativité de saint Jean-Baptiste] [MM2024 rev.]
L’intention fondamentale de l’oeuvre était de procurer une version enrichie de la Glose ordinaire des évangiles, compilée au tournant du 12e siècle, puis figée par l’usage scolaire. Les défis théologiques, politiques et ecclésiologiques du 13e siècle ont été perçus par Urbain IV et Thomas d’Aquin comme une invitation à une connaissance élargie des traditions anciennes. Ce n’est pas la notion moderne de retour aux sources qui domine alors, mais celle de la continuité sans rupture et du consensus des traditions ecclésiales communes à l’Orient et à l’Occident et recentrées sur le Texte des évangiles. La Bible ne les épuise pas mais les agrège et en reçoit sa signification proprement chrétienne. Sans négliger d’autres vecteurs textuels, le recours à la Glose ordinaire latine d’abord, byzantine ensuite, a conduit Thomas d’Aquin non seulement à recueillir des textes partiellement nouveaux, greffés sur l’arbre de la Glose ordinaire, mais aussi à en rechercher les sources pour en vérifier la « certitude », c’est-à-dire la réception ecclésiale et donc la représentativité. La dédicace à Urbain IV, ancien archidiacre de Laon, patrie de la Glose ordinaire, évoque à peine ces objectifs prochains quand elle précise qu’on réservera le titre de « Glossa » aux sentences ajoutées « aux paroles des autorités certaines (certi auctores) » (CMTep6). Dans la phrase même qui rend compte du mandat reçu du Pape, Thomas se présente ainsi implicitement comme un nouveau Pierre Lombard (+1160), référence exemplaire de la théologie scolaire s’il en fut, dont la Magna Glossatura sur les Psaumes et le corpus paulinien relevait d’une démarche identique (voir à ce sujet, la préface d’Herbert de Bosham jointe à l’édition de la Magna Glossatura qu’il publia vers 1175). La Catena exprime donc l’ambition de procurer à l’enseignement de la Théologie une nouvelle version de la Sacra Pagina, entée sur l’olivier franc de la Glose ordinaire sur les évangiles, comme la Magna Glossatura avait englobé, pour les restructurer, la Glose de Laon sur les Psaumes et le corpus paulinien.
Ce n’est pas par hasard que la référence au même Pierre Lombard inaugure la Tertia pars de la Somme de Théologie (préambule), qu’il faut comprendre comme l’aboutissement doctrinal et l’objectif ultime de la Catena aurea à peine achevée. L’expression “consummatio totius Theologiae” y est en effet reprise du prologue de la Magna Glossatura. Cher le maître des Sentences, l’expression désigne le Psautier, considéré au Moyen Âge comme la synthèse de toute l’Ecriture, annonçant le mystère du Christ : ut magis videatur evangelizare quam prophetare (Pierre Lombard, prol. ‘Cum omnes prophetas’, § 5.2 et 5.5). Si le christianisme du premier Moyen Âge a préféré le Psautier aux évangiles, l’évangélisme réformateur des ordres mendiants appelait à un recentrement sur les évangiles que Thomas d’Aquin et Urbain IV ont voulu étayer par la mise à disposition d’un référentiel fondamental adapté. [Martin Morard, 28 août 2021, fête de saint Augustin – 24 juin 2022, Nativité de saint Jean-Baptiste] [MM2024 rev.]
A
¶Codd. :
Arag2
As115
Di72
Gz378
Li446
Md214
Mt366
Na19
Pa1
Ott203
Ox19147
T46
To108
Ed1470
Ed1657
Ed1953
{MM2019} {MM2020} {MM2021} {MM2022} {MM2024}
1 Sanctissimo] Math<eu>s prologus
praem. Gr378,
Incipit prologus fratris Thome super Mattheum
praem. Pa1,
Divi Thome Aquinatis continuum in librum Evangelii secundum Mattheum
Ed1470,
Proemium angelici doctoris sancti Thome de Aquino sacri ordinis predicatorum ad Urbanum papam quartum in librum quattuor evangelistarum
praem. Ed1494,
Epistola dedicatoria ad Urbanum patrem piissimum quartum
praem. Ed1953,
| patrem piissimum
scrips.
] PP.
Ed1953
2 reverentissimo
Li446 Na19 Pa1 To108
] reverendissimo Arag2
Ox19147 Ed1657 Ed1953
3 patri] + ac
Di72
4 pape]
lac. in ras. Ott203
5 oscula] -lo
Ed1953
prol.|
{CMTep.2}
Fons sapientie, unigenitum Dei Verbum presidens
6
in excelsis, per quod Pater sapienter fecerat et suaviter disposuerat universa, in fine
7
temporum carnem sumere voluit, ut
8
, sub tegumento nature corporee, splendorem eius
9
humanus intuitus posset inspicere quem
10
in celsitudine
11
maiestatis divine
12
attingere non valebat. Diffuderat siquidem radios suos, sapientie videlicet sue indicia
13
b
, super omnia opera
14
que creavit. Quodam vero ampliori
15
privilegio imaginem propriam hominum animabus impresserat, quam tamen
16
diligentius
17
expresserat in cordibus ipsum amantium secundum sui muneris largitatem.
b
<Paral. Aquinatis> CLC2d13.2 (Grecus = Ioannis Geomatra) : ἐπίδειξις [...] τῆς σοφίας.
- Reportatio super Psalmos, Ps. 44:2, ed. M. Morard, t. 3, Paris, 2024, § 1.6 : « Deus autem et loquitur et scribit. Loquitur quando transfundit sapientiam suam in mentes rationales, Psalmista :« Audiam quid loquatur in me Dominus Deus ». Et hoc dicitur Verbum quia per ipsum est omnis illuminatio, Ioannis 1 :« Et vita erat lux hominum ». Scribit quia indicia sue sapientie imprimit in rationabilibus creaturis, :< Ad > Romanos 1, 11 « Inuisibilia Dei » etc., Ecclesiastici 1 « Deus effudit illam super omnia opera sua ». Sicut enim respiciens librum cognoscit sapientiam scribentis, ita cum nos uidemus creaturas, cognoscimus sapientiam Dei ».
- Quaestiones disputatae de Veritate, q. 29, a. 3, Leonina t. 22, p. 854. 110-113 : « Ipsum enim Dei Verbum, quod est divina sapientia, singulis creaturis secundum aliquam determinatam mensuram communicatur, in quantum Deus per omnia opera sua suae sapientiae sparsit indicia, secundum illud eccli. 1¸ 10: Effudit illam - scilicet sapientiam - super omnia opera sua et super omnem carnem, secundum datum suum, praebens illam diligentibus se. [...] ».
- In Iob 9:8, Leonina t. 26, p. 60b205 : « [...] sapientia factoris ostenditur in hoc quod opera stabilia facit, et ideo in ostensione divinae sapientiae incipit a creaturis magis stabilibus, utpote ab habentibus evidentius divinae sapientiae indicium [...] ».
- Summa theologiae, Secunda secundae, q. 36 a. 4 ad 2 : « [...] Et hoc ipsum quod tempore congruo abscondebatur, est sapientiae indicium ».
- Summa theologiae, Tertia pars, q. 39 a. 3 arg. 3 : « [...] indicium sapientiae divinitus infusae maxime debuit manifestari in Christo ».
¶Nota 1 : Nous lisons indicia... sapientie de préférence à iudicia sapientie contre l’avis des meilleurs témoins du groupe λ qui lisent iudicia, peut-être sous l’influence de Rm. 11, 33 : «O altitudo divitiarum sapientie et scientie Dei. Quam incomprehensibilia sunt iudicia eius et investigabiles vie eius ». Cette réminiscence a pollué la lecture d’autres lieux parallèles du corpus thomasien, notamment celle du Super Psalmos dont la prise en compte nous paraît décisive à cet égard.
Une des faiblesses du système graphique à main posée (écriture dite de « libraria », plus connue sous le nom d’écriture « gothique »), est la quasi indifférentiation des lettres u et v, c et t, i et j, ainsi que la structure des lettres i n m u v, composées de jambages rectilignes brisés parallèles. Leur assemblage en lettres distinctes est la source de nombreuses confusions, y compris chez saint Thomas et ses collaborateurs. Les variantes textuelles qui en découlent ont peu de poids philologique. L’intelligence du texte, la pensée et la langue de l’auteur doivent pallier l’ambiguité des formes.
¶Nota 2 : L’examen des occurrences des deux expressions indicia sapientie et iudicia sapientie dans le corpus thomasien impose cependant le choix de indicia, de préférence à iudicia. Le contexte de l’épître dédicatoire et la tradition thomiste – hagiographique, iconographique et textuelle- renvoient au rayonnement solaire de la Sagesse divine et du Bien suprême, diffusivum sui. Il ne s’agit pas d’autre chose que du thème néoplatonicien de la chaîne d’or qui récapitule, de manière somme toute assez pertinente, l’ensemble de la démarche intellectuelle thomasienne comme l’approche exégétique et méthodologique de l’Exposition continua sur les Evangiles. Le thème des indicia sapientie est plus fréquent chez Thomas d’Aquin que chez la plupart des théologiens contemporains de son rang. L’expression prend chez lui une forme quasi technique à partir de la rédaction de la Catena mais ne semble pas lui être directement liée. Plus que chez les Pères latins, on la retrouve dans les traductions latines des Pères grecs : v. g. G regorius Nazianzenus ( transl. Rufini), Orationes IX [CPL 198 G (A)] oratio 8 (De grandinis vastatione), c. 2 § 5, CSEL 36, p. 239.9 ; Origenes (transl. Rufini), In Leviticum homiliae, hom. 6, § 4, GCS 29, p. 365.15 : « 'Logium' sapientiae indicium est, quia sapientia in ratione consistit. Sunt et aliae permultae observationes, in quibus singulis divinae demonstrantur indicia sapientiae ». Origenes (transl. Rufini), Commentarium in Canticum canticorum, lib. 3, GCS 33, p. 220.9-10 : « Quod autem 'per retia prospicere' dicitur 'fenestrarum', illud sine dubio indicat quod, donec in domo huius corporis posita est anima, non potest nudam et apertam capere Dei sapientiam, sed per exempla quaedam et indicia atque imagines rerum visibilium illa, quae sunt invisibilia et incorporea, contemplatur; et hoc est 'prospicere' ad eam sponsum 'per retia fenestrarum' »
Le reportation de la lecture du Ps. 44 (citée note 1), datable des derniers mois de l’enseignement de saint Thomas, développe encore la notion d’indicia sapientiae. L’expression indicia sapientie reprend et développe ici un thème plusieurs fois traité par Thomas d’Aquin, notamment dans l’épître dédicatoire de la Catena aurea (CMTep.2). Les édition imprimées du Super Psalmos ont lu iudicia au lieu de indicia, peut-être sous l’influence de Rm. 11, 33 : «O altitudo divitiarum sapientie et scientie Dei. Quam incomprehensibilia sunt iudicia eius et investigabiles vie eius », mais les manuscrits s’accordent à écrire īdicia dont la transcription correcte ne peut être que indicia (un tilde horizontal n’abrège jamais une voyelle précédée d’une voyelle). Si la réminiscence biblique a pollué très tôt la lecture du texte médiéval de la Catena diffusé par exemplar, sa tradition imprimée et la tradition manuscrite du passage parallèle du Super Psalmos, ainsi que le contenu de l’explication donnée par celle-ci emportent l’adhésion en faveur de indicia. [MM2024]
- Reportatio super Psalmos, Ps. 44:2, ed. M. Morard, t. 3, Paris, 2024, § 1.6 : « Deus autem et loquitur et scribit. Loquitur quando transfundit sapientiam suam in mentes rationales, Psalmista :« Audiam quid loquatur in me Dominus Deus ». Et hoc dicitur Verbum quia per ipsum est omnis illuminatio, Ioannis 1 :« Et vita erat lux hominum ». Scribit quia indicia sue sapientie imprimit in rationabilibus creaturis, :< Ad > Romanos 1, 11 « Inuisibilia Dei » etc., Ecclesiastici 1 « Deus effudit illam super omnia opera sua ». Sicut enim respiciens librum cognoscit sapientiam scribentis, ita cum nos uidemus creaturas, cognoscimus sapientiam Dei ».
- Quaestiones disputatae de Veritate, q. 29, a. 3, Leonina t. 22, p. 854. 110-113 : « Ipsum enim Dei Verbum, quod est divina sapientia, singulis creaturis secundum aliquam determinatam mensuram communicatur, in quantum Deus per omnia opera sua suae sapientiae sparsit indicia, secundum illud eccli. 1¸ 10: Effudit illam - scilicet sapientiam - super omnia opera sua et super omnem carnem, secundum datum suum, praebens illam diligentibus se. [...] ».
- In Iob 9:8, Leonina t. 26, p. 60b205 : « [...] sapientia factoris ostenditur in hoc quod opera stabilia facit, et ideo in ostensione divinae sapientiae incipit a creaturis magis stabilibus, utpote ab habentibus evidentius divinae sapientiae indicium [...] ».
- Summa theologiae, Secunda secundae, q. 36 a. 4 ad 2 : « [...] Et hoc ipsum quod tempore congruo abscondebatur, est sapientiae indicium ».
- Summa theologiae, Tertia pars, q. 39 a. 3 arg. 3 : « [...] indicium sapientiae divinitus infusae maxime debuit manifestari in Christo ».
¶Nota 1 : Nous lisons indicia... sapientie de préférence à iudicia sapientie contre l’avis des meilleurs témoins du groupe λ qui lisent iudicia, peut-être sous l’influence de Rm. 11, 33 : «O altitudo divitiarum sapientie et scientie Dei. Quam incomprehensibilia sunt iudicia eius et investigabiles vie eius ». Cette réminiscence a pollué la lecture d’autres lieux parallèles du corpus thomasien, notamment celle du Super Psalmos dont la prise en compte nous paraît décisive à cet égard.
Une des faiblesses du système graphique à main posée (écriture dite de « libraria », plus connue sous le nom d’écriture « gothique »), est la quasi indifférentiation des lettres u et v, c et t, i et j, ainsi que la structure des lettres i n m u v, composées de jambages rectilignes brisés parallèles. Leur assemblage en lettres distinctes est la source de nombreuses confusions, y compris chez saint Thomas et ses collaborateurs. Les variantes textuelles qui en découlent ont peu de poids philologique. L’intelligence du texte, la pensée et la langue de l’auteur doivent pallier l’ambiguité des formes.
¶Nota 2 : L’examen des occurrences des deux expressions indicia sapientie et iudicia sapientie dans le corpus thomasien impose cependant le choix de indicia, de préférence à iudicia. Le contexte de l’épître dédicatoire et la tradition thomiste – hagiographique, iconographique et textuelle- renvoient au rayonnement solaire de la Sagesse divine et du Bien suprême, diffusivum sui. Il ne s’agit pas d’autre chose que du thème néoplatonicien de la chaîne d’or qui récapitule, de manière somme toute assez pertinente, l’ensemble de la démarche intellectuelle thomasienne comme l’approche exégétique et méthodologique de l’Exposition continua sur les Evangiles. Le thème des indicia sapientie est plus fréquent chez Thomas d’Aquin que chez la plupart des théologiens contemporains de son rang. L’expression prend chez lui une forme quasi technique à partir de la rédaction de la Catena mais ne semble pas lui être directement liée. Plus que chez les Pères latins, on la retrouve dans les traductions latines des Pères grecs : v. g. G regorius Nazianzenus ( transl. Rufini), Orationes IX [CPL 198 G (A)] oratio 8 (De grandinis vastatione), c. 2 § 5, CSEL 36, p. 239.9 ; Origenes (transl. Rufini), In Leviticum homiliae, hom. 6, § 4, GCS 29, p. 365.15 : « 'Logium' sapientiae indicium est, quia sapientia in ratione consistit. Sunt et aliae permultae observationes, in quibus singulis divinae demonstrantur indicia sapientiae ». Origenes (transl. Rufini), Commentarium in Canticum canticorum, lib. 3, GCS 33, p. 220.9-10 : « Quod autem 'per retia prospicere' dicitur 'fenestrarum', illud sine dubio indicat quod, donec in domo huius corporis posita est anima, non potest nudam et apertam capere Dei sapientiam, sed per exempla quaedam et indicia atque imagines rerum visibilium illa, quae sunt invisibilia et incorporea, contemplatur; et hoc est 'prospicere' ad eam sponsum 'per retia fenestrarum' »
Le reportation de la lecture du Ps. 44 (citée note 1), datable des derniers mois de l’enseignement de saint Thomas, développe encore la notion d’indicia sapientiae. L’expression indicia sapientie reprend et développe ici un thème plusieurs fois traité par Thomas d’Aquin, notamment dans l’épître dédicatoire de la Catena aurea (CMTep.2). Les édition imprimées du Super Psalmos ont lu iudicia au lieu de indicia, peut-être sous l’influence de Rm. 11, 33 : «O altitudo divitiarum sapientie et scientie Dei. Quam incomprehensibilia sunt iudicia eius et investigabiles vie eius », mais les manuscrits s’accordent à écrire īdicia dont la transcription correcte ne peut être que indicia (un tilde horizontal n’abrège jamais une voyelle précédée d’une voyelle). Si la réminiscence biblique a pollué très tôt la lecture du texte médiéval de la Catena diffusé par exemplar, sa tradition imprimée et la tradition manuscrite du passage parallèle du Super Psalmos, ainsi que le contenu de l’explication donnée par celle-ci emportent l’adhésion en faveur de indicia. [MM2024]
6 presidens
Li446
Arag2 Na19
Ott203
T46² To108
Ed1953
] residens T46*
Ed1657
7 fine
Li446
Arag2 Na19
Ott203
To108
Ed1953
] finem T46
8 ut]
om.
Na19
9 eius] huius Na19
10 quem
Na19
Ed1657
Ed1953
] quam Li446, q’. To108
11 posset inspicere
,
quem in celsitudine] in excelsitudine inspicere quoniam
Md214
| celsitudine] celsitudinis
Gz378
12 m. d.]
inv.
To108
13
indicia
As115 Li446 Mt366 T46 Ed1470 Ed1657
] iudicia
Ka5 Md214 Ott203 Ox19147 Pa1, ? Bo1655
14 opera]
om. Md214
15 quodam vero ampliori] opera vero ampliori quodam modo
Md214
16 quam tamen Li446 Na19 T46 To108 Ed1953] quantum Arag2 As115 Ed1470
17 diligentius] dileigentibus
Gz378
marg.|
{CMTep.3}
Sed quid
18
est hominis anima in tam immensa creatura, ut divine sapientie vestigia possit comprehendere ad perfectum
19
*? Quinimmo et sapientie lux infusa hominibus per peccati tenebras et occupationum temporalium caligines
20
fuerat obumbrata; et intantum est quorumdam
21
‘cor insipiens
22
obscuratum’
c
, ut Dei gloriam
23
in idola vana
24
converterent, et que non conveniunt facerent
25
, in sensum reprobum incidentes. Divina vero sapientia, que ad sui fruitionem hominem fecerat, eum
26
sui
27
expertem
28
* esse non sinens
29
, totam
30
* se in
31
humanam naturam contulit, eam modo sibi assumendo mirabili, ut errantem hominem ad se totaliter revocaret.
c Cf. Rm. 1, 21.
18 quid Na19 To108] super ras. Li446
19 perfectum
Li446
Na19
Ed1657
] pfcm To108
,
perfectionem
Ed1470 Ed1953
20 caligines]
om.
To108
21 quorumdam] corumdam
Gz378
22 insipiens] inspiciens
Ed1470
23 gloriam] gratiam Md214
24 vana] vata
Pa1
25 facerent] faceret
Gz378
26 eum Li446 Arag2 Na19 To108 Ed1657
Ed1953
] ē T46* (al. m. eras. et corr. marg.)
27 sui
Li446
To108]
om.
Na19
28 expertem
Li446
Na19 To108 Ed1657] inexpertem Arag2
Ed1953
29 sinens] sinem
cacogr. Md214
30 totam] totum Arag2
Ed1470 Ed1657 Ed1953
31 se in]
om. Pa1
prol.|
{CMTep.4} Huius igitur sapientie claritatem nube mortalitatis ⸢velatam, primus apostolorum princeps fide conspicere meruit32, et eam constanter absque errore et plenarie33 confiteri, dicens: « Tu es Christus filius Dei34 vivi »d. O beata35 confessio, quam non caro et sanguis sed Pater celestis revelat. Hec in terris fundat Ecclesiam, aditum prebet in celum, peccata meretur solvere et contra eam porte non prevalent inferorum.
d Mt. 16, 16.
32 velatam primus apostolorum princeps fide conspicere meruit] velata (!) primus… meruit
praem. Md214
33 absque errore et plenarie] ac plenarie absque errore
Ed1953
34 filii Dei]
inv. Md214
35 O beata] oblata
Pa1
prol.|
{CMTep.5}
Huius igitur fidei ac
36
* confessionis heres legitime, sanctissime pater, pio
37
studio mens vestra
38
invigilat ut tante sapientie lux et
39
* fidelium corda perfundat
40
et hereticorum confutet insanias, que per portas
41
* inferorum merito designantur
42
. Sane si, secundum Platonis sententiam
e
, beata censetur
43
res publica cuius rectores operam sapientie dare contigerit, illi siquidem sapientie
44
quam imbecillitas intellectus humani
45
erroribus plerumque
46
commaculat
47
, quanto magis sub vestro
48
regimine
49
beatus censeri
50
potest populus christianus, ubi tanta diligentia excellentissime illi sapientie curam impenditis, quam Dei sapientia carnalibus membris induta et verbis docuit et
51
operibus demonstravit?
e Cf.
Boethius
, Philosophiae consolatio, 1, 4, CCSL 94, p. 7.15-17: «Atqui tu hanc sententiam Platonis ore sanxisti beatas fore res publicas, si eas vel studiosi sapientiae regerent vel earum rectores studere sapientiae
contigisset». <cuius fons>
Plato,
Republica, 473c-d, 487e.
36 ac] et
Ed1657
37 pio] pro Arag2
Ed1657
38 vestra] nostra Arag2 Di72
39 et]
om.
Arag2 Ed1470 Ed1657
Ed1953
40 perfundat] profundat
Gz378 Pa1
41 per portas] portae Arag2
Ed1657 Ed1953
42 designantur Arag2 T46 To108
Ed1953
] designatur
Li446
43 beata censetur] beatetur
cacogr. Pa1
44 dare ... sapientiam]
om. hom.
T46
*
45 imbecillitas intellectus humani] inbecillitatis intellectus humanam
Md214
46 plerumque] plurimum T46
47 commaculat] immaculat Arag2
48 vestro] nostro Gz378 Arag2 Di72 Ed1470
49 regimine] legittime
cacogr. Ott203
50 censeri] cenceri
Pa1
51 et] + in
Ott203, om.
T46*
prol.|
{CMTep.6}
Ex
52
* huius siquidem
53
diligentie studio vestre Sanctitati complacuit mihi committere Matthei evangelium exponendum, quod iuxta propriam facultatem executus, sollicite ex diversis doctorum libris predicti evangelii expositionem continuam compilavi, pauca quidem
54
certorum auctorum
f
verbis, ut
55
plurimum ex glossis, adiiciens que, ut ab
56
eorum dictis possent discerni, sub ‘Glosse’ titulo prenotavi
g
.
f
<Paral.>
Thomas de Aquino,
Super Evangelium Matthaei reportatio, cap. 2, lectio 2, Marietti 180 : « Sed ad habendam certitudinem de aliquo tria requiruntur ab inquirentibus: creditur enim multitudini, auctoritati et litteratis ». – Cf.
Benedictus de Nursia,
Regula monachorum, c. 9.8.1 : « Codices autem legantur in uigiliis, diuinae auctoritatis tam ueteris testamenti quam noui, sed et expositiones earum, quae a nominatis et orthodoxis catholicis Patribus factae sunt.
g Les grands maîtres de la Sacra Pagina ne sont pas ceux qui se sont contentés de la commenter. Ce sont d’abord les glossateurs qui ont établi le patrimoine de Tradition en rédigeant les sentences destinées à encadrer la réception ecclésiale de l’Ecriture dans les marges des bibles glosées qu’ils commentaient ensuite. C’est à ce titre que la Catena a voilé, sous le lemme Glossa, que nous développons par Glossa<tor>, des sentences empruntées moins souvent à la Glose ordinaire qu’à Anselme de Laon, à Pierre Lombard, à Raban et... à Thomas d’Aquin lui-même. Celui-ci a commenté les évangiles de Matthieu et de Jean – dont on ne conserve que des reportations - en lisant in aula la Sacra Pagina à partir de sa propre expositio continua (la Catena), ancêtre magistral des pâles exempliers de la pédagogie moderne. [MM2024]
52 Ex] Et Arag2 Ed1470 Ed1657 Ed1953
53 siquidem] quidem
Ed1657
54 quidem] siquidem To108
,
quidem in
Ed1657
55 ut] vel Na19
56 ab]
om. Ott203
prol.|
{CMTep.7} Sed et57 in sanctorum58 doctorum dictis, hoc adhibui studium ut singulorum auctorum nomina necnon59 in quibus habeantur libris60* assumpta61 testimonia describatur62*, hoc excepto quod libros expositionum63* supra loca que exponebantur non oportebat specialiter designari, puta sic ubi nomen inveniatur ‘Hieronymi64’ - de libro mentione non facta - datur intelligi quod hoc dicat ‘super Mattheum’; et in aliis ratio similis observetur nisi hiis que65* de commentario Chrysostomi super Mattheum sumuntur66 oportuit ascribi67* in titulo ‘super Mattheum’ ut per hoc ab his68* que sumuntur de ipsius homiliario69 distinguantur.h
h
¶Nota : La méthode annoncée ici n’a pas été appliquée de manière uniforme dans toute la Catena. Dans la CMT, elle ne s’applique que dans les parties de l’évangile de Matthieu couvertes par l’Opus imperfectum. Là où l’évangile de Matthieu n’est pas commenté par l’Opus imperfectum, le lemme « Chrysostomus » (sans titre) renvoie aux homélies authentiques de Chrysostome. Dans le reste de la Catena et pour les autres auteurs, par souci de clarté, le principe d’économie fait l’objet de nombreuses exceptions. Lorsque plusieurs sentences extraites d’autres oeuvres d’un même auteur se suivent, la Catena répète alors parfois le lemme complet du commentaire de l’évangile en cours, v. g. « Hieronymus. Super Marcum », etc. Voir M.
Morard
, Famosus Glossator. Prolégomènes à une édition critique de la Catena aurea, t. 1 (chap. « La ‘fabrique de la Catena ») ; t. 3: catalogue des sources: « Chrysostome latin » (en préparation). [MM2021]
57 et] om. To108
58 sanctorum
Li446
Na19 To108
Ed1953
] latinorum
Ed1657
59 necnon] hec non
cacogr. Md214,
omnino
Pa1
60 libris
Li446
Arag2 Na19 T46 To108
Ed1657
] libri
Ed1953
61 assumpta]
om. Gz378
62 describatur] describantur Arag2
Ed1470 Ed1657 Ed1953
63 libros expositionum
Li446
Arag2 Na19 To108] librorum expositionum T46
,
libros et expositionem
Ed1657 Ed1953
64 Hieronymi] Ieronimi
Li446
To108
,
Iero. Na19
,
Iero<nym>us
Pa1
65 his que] hiis que
As115
To108
,
quod in his quae
Ed1657,
in his quae
Ed1953
, hiis qui
Li446 Md214
T46
66 sumuntur]
om. Gz378
67 ascribi] inscribi Arag2 Ed1470 Ed1657
Ed1953
68 his] scrips., hiis Li446 Na19 To108, aliis Ed1470 Ed1953
69 homiliario
Ed1657 Ed1953
]
scrips.,
(h)omeliario Li446
Ott203
Ox19147 Na19 Arag2 T46 To108
prol.|
{CMTep.8}
In assumendis autem sanctorum testimoniis, plerumque
70
oportuit aliqua recidi
71
* de medio ad prolixitatem vitandam necnon ad manifestiorem sensum, vel, secundum
72
congruentiam expositionis littere, ordinem commutari; interdum etiam sensum posui
73
, verba dimisi, precipue in homiliario
74
Chrysostomi, propter hoc quod est translatio vitiosa
i.
i
¶Nota : Thomas vise ici directement la traduction de Burgundio de Pise, juriste bolonais, qui mit à disposition de la théologie latine les homélies de Chrysostome sur Mt. et Io. que la Catena va systématiquement mettre à profit. Le qualificatif vitiosus ne doit être surinterprété. Le mot ne désigne pas nécessairement quelque chose d’erroné – ce qui n’est que rarement le cas de la traduction de Burgundio, très littérale – mais quelque chose d’obscur ou de peu intelligible – ce qui est souvent le cas des traductions trop littérales de Burgundio. C’est en ce sens que l’utilise Jérôme dans sa préface générale sur les évangiles qui faisait partie intégrante du texte de la Bible latine au Moyen Âge: «Sin autem veritas est querenda de pluribus, cur non ad Grecam originem revertentes, ea que vel a vitiosis interpretibus male reddita vel a presumptoribus imperitis emendata perversius vel a librariis dormitantibus aut addita sunt aut mutata corrigimus?» (
Hieronymus,
Praefatio in evangelio, Biblia... Vulgata, ed. Weber, p. 1515.12-15). Les traductions effectuées sous la direction de Thomas se rapprochent plutôt de l’esprit des traductions de Jérôme. L’un et l’autre préfèrent l’intelligibilité et la syntagmatisation latine des textes traduits ; tous deux rejettent la transposition littérale telle qu’on peut l’observer chez Burgundio, spécialement dans sa traduction des homélies de Chrysostome sur Matthieu. Plus que Jérôme, Thomas réussit à associer la fidélité au grec à la clarté. A la différence de Jérôme, Thomas évite le vocabulaire recherché, les tournures précieuses et les effets de styles. Enfin il faut noter que, contrairement à ce qui a été affirmé jusqu’ici, les sentences chrysostomiennes de la CMT extraites des traductions de Burgundio, très fortement remaniées, ont probablement fait l’objet d’une révision rapide sur le grec par un collaborateur inconnu avant la diffusion de la Catena. Si tel n’était pas le cas, il faudrait admettre que Thomas d’Aquin a bénéficié d’une assistance surnaturelle spéciale en vue de modifier, presque sans contre-sens, le vocabulaire et la syntaxe des traductions de Burgundio. Les apparats de la Catena aurea electronica ont été conçus pour permettre aux lecteurs d’en juger par eux-même et, je l’espère, d’aider l’éditeur à corriger ou nuancer ces remarques. Pour plus de détails, cf. M.
Morard
, Famosus Glossator, t. 1 : Les traductions. [Martin Morard 2021]
70 plerumque] plurimum T46
71 recidi] recindi Di72 Md214 (reddi
cacogr.) Na19 Ott203 Pa1,
rescindi
Gz378
Arag2 To108
Ed1470 Ed1657 Ed1953
72 secundum] sed
Li446
(cacogr.)
73 posui] proposui
Pa1
74 homiliario
T46 Ed1657 Ed1953
]
scrips.,
(h)omeliario Li446 Md214 (homelia nô
cacogr
.) Na19
Ott203 Ox19147,
To108
,
omelia Arag2
prol.|
{CMTep.9} Fuit autem mea75 intentio in hoc opere non solum sensum prosequi litteralem sed et76* mysticum ponere; interdum etiam77 errores destruere necnon et78*confirmare catholicam veritatem. Quod quidem necessarium fuisse videtur quia in evangelio precipue79 forma fidei catholice traditur et totius vite regula christiane80. Prolixum igitur81 presens opus non82 videatur alicui. Fieri enim non potuit ut hec omnia sine diminutione prosequerer et tot sanctorum sententias explicaremj, omnimoda brevitate servata.k
j
¶Nota : La Catena réunit quelque 12’837 sentences que leurs lemmes attributifs placent sous l’autorité de 20 témoins de la tradition latine (54) et de 23 témoins de la tradition orientale (42), inégalement répartis entre les quatre évangiles. La tradition orientale est exploitée à partir de sources pour partie déjà accessibles en latin (46 des sentences attribuées à des auteurs d’expression grecque), et pour partie traduites pour l’occasion (54 des sources grecques). Les nouvelles traductions exploitent le matériau de deux chaînes byzantines et de trois auteurs seulement en tradition directe: Théophylacte, Origène sur Jean et Basile de Césarée. Les notes de l’édition rétablissent la vérité des attributions et font remonter à la surface des influences profondes ignorée de Thomas. Il a souvent cité sous le nom d’autorité connues les expressions d’autres auteurs que leur avaient associées les caténistes traduits. En vrai serviteur de la doctrine évangélique, il sait qu’à trop éliminer les vieux rameaux on pousse le bois mais on nuit aux fruits. Comment s’abreuver aux sources si on brise les fontaines ? Il n’a donc pas cherché à séparer le grain des Pères de leurs réécritures tardo-antiques, carolingiennes ou médiévales. Au contraire. Il a entendu leurs répétitions comme des insistances ; il a perçu leurs échos successifs comme le déploiement des harmoniques de la vérité à défendre et à exposer. Voilà pourquoi dans la Catena, si les Pères avancent masqués, l’Evangile n’en est que plus manifeste. Et tant pis pour la critique historique qui ne fait que mettre en lumière - quand bien même elle y verrait une ombre - ce principe fondamental de l’herméneutique catholique. Dans le concert de la Tradition, il n’y a pas d’âge d’or. L’identité des individus importe moins que le consensus de la foi. Les échos et les armoniques tardives importent autant que la voix des origines dès lors qu’ils vibrent à l’unisson. Glossateur et théologien, Thomas rappelle aux « gardiens de la Tradition » que c’est ce consensus et l’harmonie du choeur qui est l’unique loi, l’unique coryphée susceptible de confirmer ses frères dans la foi.
k
¶Nota : Thomas rappelle ici les trois missions fondamentales de la théologie en tant qu’elle accompagne les trois moments de la Réception ecclésiale de la Révélation : 1° via inventionis: accueil par l’intelligence historique et herméneutique de la Révélation transmise par la Tradition de l’Eglise (sensum ponere), 2° via negationis: appropriation sélective du donné par élimination des interprétations incohérentes avec les données des héritages anciens et avec celle de la foi du sujet récepteur (errores destruere), 3° via propositionis: transmission de la doctrine évangélique pour qu’elle devienne le socle de l’unité ecclésiale à construire et projeter dans l’avenir. Dans ce contexte, le choix de mysticum pour désigner les sens seconds de l’Ecriture n’est pas un hasard. Au sens littéral qui fonde l’expression authentique de la foi (forma foi) répond le sens ‘mystique’, c’est-à-dire l’Ecriture, dans la mesure où elle porte l’homme à se conformer au modèle de l’humanité du Christ pour devenir membre de l’Eglise, cette ‘projection sociologique’ de Jésus-Christ, répandu et communiqué dans l’espace et le temps.
75 mea] ea T46* (al. m. post. corr.)
76 sed et] sed T46
,
verum etiam
Ed1657,
sed etiam Arag2
Ed1470 Ed1494 Ed1953
77 etiam]
om. Md214
78 et]
om.
Arag2 Ed1470 Ed1494 Ed1657
Ed1953
79 precipue]
om.
T46
80 christiane] + habetur
Ed1657
81 igitur] enim
Pa1
82 non] ne
Gz378
interl.|
{CMTep.10} Suscipiat itaque vestra Sanctitas presens opus, vestro discutiendum83
corrigendumque iudicio, vestre sollicitudinis et obedientie mee fructum ut - dum a vobis emanavit preceptum84
et85
vobis reservatur86* finale87
iudicium - “ad locum unde exeunt flumina revertantur”l m.
l Eccl. (Qo.) 1, 7: «Omnia flumina intrant mare et mare non redundat. Ad locum unde exeunt flumina revertuntur ut iterum fluant».
m
¶Nota : L’intention exprimée par ce paragraphe de mettre la mission du théologien au service de celle du magistère dans le but de proposer une herméneutique de Tradition encadrant la réception de la Révélation scripturaire est une première. Alors que le pouvoir pontifical étendait ses ambitions au contrôle, par de multiples biais, de la société toute entière, la Catena relève du souci de fonder la cohésion sociale dans ce qui unit plus que dans ce qui divise. Par delà les écarts culturels, linguistiques et temporels le consensus fidei de l’Eglise, recevant et transmettant les héritages anciens - Ecriture et Tradition - devient le socle d’une vision commune et unifiante de la destinée humaine. Aucun document conservé n’autorise toutefois à penser que cette formule de la dédicace se soit traduite par la remise d’un exemplaire de présentation entre les mains du pape ni par quelque acte formel d’approbation. L’inventaire des livres de Boniface VIII à la fin du 13e siècle ne mentionne pas la Catena. Les inventaires d’Urbain V (1365) et de Grégoire XI (1375) en contiennent plusieurs. Les exemplaires de la Catena conservés aujourd’hui à la Bibliothèque vaticane sont différents de ceux que décrivent les incipits et explicits du second feuillet relevés dans les inventaires anciens de la bibliothèque pontificale. Il n’a jamais existé de version de la Catena in forma authentica au sens où on l’entendait à la période moderne. Le mandat pontifical répondait à une opportunité de circonstance et probablement à une demande émanant de Thomas lui-même, soucieux de pouvoir exercer au mieux son métier de théologien, magister in Sacra Pagina, c’est-à-dire, en priorité, de Glossateur, en charge de disposer les intelligences à la réception du donné de la foi, enveloppé dans le Textus des héritages de tradition : le fil de chaîne de l’Ecriture croisé avec les fils de trame des traditions exégétiques. L’épisode n’est pas sans annoncer l’appel de Roger Bacon à Clément IV qui est lui aussi, pratiquement dans les mêmes années, un appel au retour à l’authentique de la lecture des Ecritures (cf. R.
Bacon
, Opus minus, Oxford, 1859, p. 330-349). Il ne correspond pas à une initiative politique venue d’en-haut pour être inscrite dans la durée. Au contraire, la dédicace de la Catena sur les trois autres évangiles (CMCep) ne fait plus état d’une telle mission ni du mandat précédent ; elle présente l’achèvement de l’oeuvre comme une initiative personnelle. Néanmoins, dans la mesure où ce qui est premier dans un genre est cause de tout ce qui lui appartient, Thomas a conduit l’entreprise à son terme dans la continuité de la démarche ici décrite. [MM2021]
83 discutiendum] disciendum
Li446
(cacogr.)
84 preceptum] preceptam
Gz378
85 et] a T46* (al. m. interl. corr.)
86 reservatur] reservetur
Ed1953
87 finale]
om.
Na19
Comment citer cette page ?
Martin Morard et alii, ed., Thomas de Aquino. Catena aurea (Mt. ), in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2025. Consultation du 30/01/2025. (Permalink : https://gloss-e.irht.cnrs.fr/php/editions_chapitre.php?id=catena&numLivre=55&chapitre=55_Prol.1 Epistola dedicatoria ad Urbanum quartum)
Martin Morard et alii, ed., Thomas de Aquino. Catena aurea (Mt. ), in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2025. Consultation du 30/01/2025. (Permalink : https://gloss-e.irht.cnrs.fr/php/editions_chapitre.php?id=catena&numLivre=55&chapitre=55_Prol.1 Epistola dedicatoria ad Urbanum quartum)
Notes :