Préfaces aux épîtres de Paul traduites du grec par Guillaume Le Mire, abbé de Saint-Denis en France, à l'intention d'Herbert de Bosham

page créée par Martin Morard le 20.10.2022, mise à jour 6.3.2023


Le dossier

Questions chronologiques

Le traducteur

Les textes grecs traduits

Le manuscrit grec source de la traduction

L’édition du texte latin

L’édition du texte grec




Le dossier

1.         Parmi les pièces ajoutées aux manuscrits solennels de la Grande Glose de Pierre Lombard édités par Herbert de Bosham figure une lettre, non datée, de Guillaume Le Mire, abbé de Saint-Denis en France de 1172 à 1186, adressée à Herbert de Bosham. Elle lui annonce l'envoi de la traduction latine de plusieurs préfaces grecques aux épîtres de Paul contenues dans les archives de l'abbaye où Herbert avait repéré à l'occasion d'une visite, une pièce liminaire générale sur le corpus paulinien, intitulée hyponima, dont il lui avait demandé la traduction. Cette hyponima met en relation les étapes de l’apostolat paulinien et les thèmes des épîtres rédigées au fil de ce parcours.

2.         Des 15 hypotheses ad epistolas Pauli dont Guillaume le Mire annonce avoir entrepris la traduction, seules huit - Rm. 1Cor. 2Cor. Gal. Eph. Phil. Col. Hbr. – semblent avoir été adressées à Herbert en guise de prélude : quasi quibusdam preludiis (ep. dedic. § 4).

<59.2>Guillelmi Medici epistola ad Herbertum de Boscham de hypothesibus epistolarumPauli

<59.3>Hyponima scolasticum temporis quo beatus Paulus predicavit evangelium super celestis vite

<60.2>Hypothesis epistolae ad Romanos

<61.2>Hypothesis epistolae primae ad Corinthios

<62.2>Hypothesis epistolae secundae ad Corinthios

<63.2>Hypothesis epistolae ad Galatas

<64.2>Hypothesis epistolae ad Ephesios

<65.2>Hypothesis epistolae ad Philippenses

<66.2>Hypothesis epistolae ad Colossenses

<73.1> Hypothesisepistolae ad Hebreos

3.         Guillaume déclare les avoir traduites, en gage « du vrai amour, toujours prêt à offrir plus que ce qui est attendu » (§ 4). Elles ne faisaient donc pas partie du projet d’Herbert qui n’avait sollicité Guillaume qu’au sujet de l’hyponima (§ 4). Herbert ne fait aucune mention des préfaces traduites par Guillaume dans sa propre préface (§ 2) ; il ne les publie pas non plus en tête des épîtres concernées. La constitution du dossier de Guillaume Le Mire est donc probablement postérieur à la rédaction de la Grande Glose.

Questions chronologiques

4.         Les dix pièces du dossier sont copiées à la suite les unes des autres par la même main et reliées en tête du premier volume de la Magna Glossatura in epistolas Pauli éditée par Herbert de Bosham : Cbg152 = Cambridge, Trinity College B.5.6 (152), f. 1ra-2va (col. b. blanche). La reproduction numérique du manuscrit ne permet pas de dire si les deux feuillets porteurs de ces textes ont été ajoutés au corps d’ouvrage primitif ou s’il s’agit de deux feuillets du premier cahier initialement laissés blancs. Dans un cas comme dans l’autre, les préfaces traduites par Guillaume Le Mire ont été copiées par une main différente de celles qui interviennent dans le corps d’ouvrage. Le système graphique et le décors sont nettement différents et presque aussi certainement postérieurs à ceux du corps d’ouvrage, d’une dizaine d’années tout au moins, d’un quart de siècle tout plus. La main malhabile du rubricateur ne souffre aucune comparaison avec celle qui opère dans le corps d’ouvrage. On ne saurait exclure que le séjour d’Herbert à Paris, à l’occasion duquel il a pris connaissance de l’hyponima, fut postérieur à la mise en chantier - sinon à l’achèvement - de l’édition de la Grande Glose par Hesbert. Cela n’est en rien contradictoire avec la visite des archives de St-Denis effectuée par Herbert et relatée dans ses prothemata sur le Psautier qui appartiennent eux aussi à une unité codicologique ajoutée à la fin du premier volume sur le Psautier (Cbg150, prothemata § 8). Il faut surtout noter qu’Herbert ne tient aucun compte de l’hypothesis sur Hbr. qui aurait pu l’inciter à annoter le commentaire que fait Pierre Lombard au sujet de l’authenticité de l’épître aux Hébreux. [cf. infra {192.400B} et note]. Or c’est aussi en référence à la chronologie de l’abbatiat de Guillaume le Mire qu’ont été datés les manuscrits d’Herbert qui sont de toute façon postérieurs à la mort de Thomas Becquet (1170) et à sa canonisation (1172) et antérieurs à la fin du séjour du dédicataire de Guillaume aux Blanches mains sur le siège de Sens (1176), (Staunton 2019, p. 14, n. 86). La Glose sur les épîtres pauliniennes pourrait avoir été achevée avant la canonisation  (Becket n’y est cité que comme bienheureux); la préface sur le Psautier est certainement postérieure à la canonisation : Becket y est plusieurs fois qualifié de saint et de glorieux martyr (§ 1, 2 etc.). Ces dates ne délimitent que le travail d’Herbert et en aucun cas l’exécution des manuscrits conservés qui pourrait très bien être postérieure à 1176. Les manuscrits conservés ne sont pas nécessairement les exemplaires de présentation remis à Guillaume aux Blanches mains, puisque les manuscrits conservés sont augmentés de notes et des deux dossiers ajoutés provenant de la documentation personnelle d’Herbert : les traductions de Guillaume le Mire et celui des scholies herbertiennes sur les Psaumes. La canonisation de Becket et la fin de l’épiscopat de Guillaume de Sens en 1176 ne définissent que la chronologie de la rédaction de la préface d’Herbert sur la Magna Glossatura in Psalmos. Si le terminus post quem de l’exécution des manuscrits d’Hesbert est certain (entre 1172 et 1176), leur terminus ante quem demeure incertain et ne peut être fixé de façon précise. La copie du dossier des préfaces de Guillaume Le Mire, et sans doute aussi sa réception par Herbert, semblent postérieures à l’exécution des volumes de la Grande Glose sur Paul. Guillaume n’a probablement pas eu le temps d’achever la traduction des prologues aux 15 épîtres ; seules 8 ont été adressées à Herbert « en guise de prélude », les autres ne lui sont pas parvenues avant qu’il fasse copier les feuillets adventices du ms. Cbg152, peut-être après la mort de Guillaume, entre 1184 et 1194 seulement.

Le traducteur

5.         L’auteur de ce corpus de traductions a été identifié par Léopold Delisle : Guillaume Le Mire alias Medici, alias de Gap, abbé de Saint-Denis de 1172/1173 à 1186, est connu pour avoir ramené de Constantinople en 1167 ‘’des manuscrits grecs’’ dont un au moins (Paris, BnF, grec 933) serait encore conservé à Paris (Nebbiai 1985, p. 202, n° 63) ; cf. L. Delisle, « Traductions de textes grecs faits par des religieux de Saint-Denis au XIIe siècle », Journal des savants, 1900, p. 725-739. - Chronicon Sancti Dionysii ad cyclos paschales. an. 1167, ed. E. Berger, Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 40 (1879), p. 278. - D. Nebbiai-Dalla Guarda, La bibliothèque de l'abbaye de Saint-Denis en France du IXe au XVme siècle, Paris, 1985, p. 30-33 avec la bibliographie citée. - P. Gandil 2003. Maria P. Kalatzi, Hermonymos. A study in scribal, literary and teaching activities in the fifteenth and early sixteenth centuries, Athens, 2009 (Studies in paleography) [rien de neuf sur le ms. Pg59, cf. p. 192-194] ; cf. Jean-Marie Flamand, compte-rendu dans Scriptorium, tome 65 n°1 (2011), p. 225-230.

Les textes grecs traduits

6.         Les textes traduits sont extraits d’un corpus de paratexte néotestamentaire très diffusé, à l’histoire et à la tradition manuscrite complexe, dont le noyau est attribué à Euthalius, auteur grec à l’identité et à la chronologie incertaine. Celui-ci a procuré, probablement à la fin 5e siècle, une édition élaborée du corpus paulinien muni de paratextes  ou apparats (capitulations, testimonia, prologues et argumenta). Il a pour ce faire eu recours à des matériaux pour partie préexistants et pour partie originaux qui ont à leur tour fait l’objet d’une diffusion complexe et pléthorique [CPG 3642]. L’édition de Zacagni (Rome, 1698, reprise par Galland, Veterum Patrum Bibliotheca, t. 10, prol., p. XI et p. 242 sqq. et PG 85, 693-789) en établit le texte à partir de 9 témoins, alors que plusieurs centaines ont été identifiées à ce jour. H. Von Soden, Die Schriften des Neuen Testaments in ihrer ältesten erreichbaren Textgestalt hergestellt aufgrund ihrer Textgeschichte, I.1, Göttingen, 1911, p. 48, 236 connaît le ms. Pg59 (sigle α502 = Aland, minuscules 467) mais il n’en parle qu’à propos de l’Apocalypse des feuillets 295-331v qui ne fait pas partie du corpus Euthilien et dont la préface dépend plutôt du commentaire d’Oecumenius [CPG 7470]. La problématique du dossier d’Euthelius est désormais accessible grâce à la synthèse de Vemund Blomkvist, Euthalian Traditions: Text, Translation and Commentary, De Gruyter, 2012 (TU 170), très utile, mais sans apport philologique nouveau en ce qui concerne les textes.

7.         L’hyponima scholasticum est le seul texte dont Herbert a spécifiquement demandé la traduction. Il  se distingue des autres préface par son origine, sa rareté et son contenu.  Il résume la chronologie de l’apostolat de Paul. En fait il se borne à signaler que Paul s’est appliqué à lui-même d’année en année les exhortations contenues dans les parénèses de ses épîtres. L’hyponima n’a d’exceptionnel que le mystère de son origine et sa rareté. Elle ne fait pas partie, comme telle, des textes attribués à Euthalius, édités par galland, Veterum Patrum Bibliotheca, t. 10, prol., p. XI et p. 242 sqq. (PG 85, 693-789 : cf. CPG 6640-6642). Pierre Gandil 2003 en parle comme d’un texte inconnu dont il a identifié le texte grec dans le manuscrit Pg59 copié par Hermonyme à la fin du 15e siècle qui en est le seul témoin grec identifié à ce jour. Von Soden ne signale que Pg59 ; De Bruyne, Préfaces de la Bible latine ignore la traduction de l’abbé de Saint-Denis et le manuscrit d’Herbert.

8.         Dans le contexte des préfaces pauliniennes, l’adjectif σχολικν distingue l’hyponima des argumenta d’Euthalius. L’expression πόμνημα σχολικν est attestée par exemple dans le manuscrit d’un commentaire d’Euclide, dont la copie est datée de 888. Paul Lemerle la traduit par « note d’école » (P. Lemerle, Le premier humanisme byzantin, p. 171, n. 83). On ne manquera pas d’observer que cette pièce résume en réalité un passage du très long prologue d’Euthalius aux épîtres pauliniennes  où l’auteur renvoie au passage des chroniques d’Eusèbe Pamphile sur la prédication de Paul (§ III in : PG 85, 707). On notera aussi quelques concordances entre l’hyponima et les « Annotata pro singulis epistolarum argumentis » qui précèdent le commentaire de Théophylacte sur Paul (PG 124, 329-332). Quoiqu’il en soit, la rareté du texte scelle le lien du ms. 59, de la traduction de Guillaume et de l’abbaye de Saint-Denis.

Le manuscrit grec source de la traduction

9.         Pierre Gandil a découvert que les préfaces ont été traduites sur un texte grec très proche de  celui qui figure dans le praxapostolus du ms. Paris, BnF, gr. 59 copié par Georges Hermonyme (cf. Pg59, garde sup.), probablement à Paris, où il est arrivé en 1476 et où il est mort entre 1508 et 1516 (1510 ?) ; cf. Henri Omont, « Hermonyme de Sparte, maître de grec à Paris, et copiste de manuscrits (1476) », Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'ïle-de-France 12, 1885, p. 65-98, sur le ms. Pg59, ibid. p. 73. Sans pouvoir bénéficier de l’érudition de la thèse de P. Gandil, demeurée inédite, constatons que ce manuscrit provient du fonds parisien dit ‘des Jésuites de Clermont’ héritier de plusieurs collèges médiévaux, d’où il est passé à la collection Le Tellier de Reims puis à la bibliothèque du Roi. Sans parler de l’enseignement du grec, maintenu vaille que vaille à St-Denis en raison des liturgies en langue grecque qui s’y célébraient régulièrement (Nebbiai, p. 29-35 ; Gandil 2003), le mystère des raisons qui ont incité Hermonyme à se fixer à Paris et à y vivre s’en trouve quelque peu éclairé. Jean Irigoin, « Georges Hermonyme de Sparte : ses manuscrits et son enseignement à Paris », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, 1977, p. 22-27, ici p. 24, n. 1 supposait, tout en confessant ne pas en tenir un seul indice, que les copies d’Hermogyne venaient de manuscrits étrangers à la France, adressés par des correspondants. Il semble plus assuré qu’il y avait plus de manuscrits grecs à Paris à la fin du 15e siècle que ne le laissent croire les manuscrits subsistants et les inventaires anciens, tous partiels. La main d‘Hermogyne figure encore dans d’autres manuscrits expressément associés à St-Denis, par exemple le ms. Paris, Maz. 4451 (Nebbiai, p. 199 n° 56) et Paris, BnF, grec 933. L’origine parisienne de l’original de la copie levée par Hermonyme se déduit avec une très haute probabilité du fait que Pg59 contient les trois textes évoqués par l’épître dédicatoire de Guillaume § 3-4 (épître catholiques, épîtres pauliniennes et surtout l’hyponima scolasticum, texte sans autre témoins connu encore à ce jour, alors que les autres argumenta sont diffusés par centaines). A cela s’ajoute la concordance entre la traduction latine de Guillaume  Le Mire et certaines leçons caractéristiques de Pg59, non signalées par l’édition Zacagni (v. g. Hypothesis in Phil.). C’est donc par une hypothèse hautement probable que P. Gandil considère que cette copie a été prise sur un ms. grec, conservé à St-Denis depuis le 12e siècle et disparu après la copie faite par Hermonyme. Cependant la correspondance de la traduction latine avec le grec de Pg59 n’est pas totale.

L’édition du texte latin

10.     L’intégralité du dossier a déjà été édité, mais non publié, par notre confrère Pierre Gandil il y a 20 ans (P. Gandil, Les études grecques à l’abbaye de Saint-Denis au xiie siècle, thèse pour l’obtention du diplôme d’archiviste paléographe, Ecole nationale des chartes, Paris, 2003 (non vidi) ; cf. Position de thèse, Bibliothèque de l’Ecole des chartes, 2003). Avant lui Léopold Delisle avait déjà édité l’épître dédicatoire à partir du manuscrit de Cambridge (L. Delisle, Journal des savants , 1900, p. 738-739). C’est par erreur que Boulhol 2014, p. 73, note 17, affirme que Delisle a trouvé le texte latin des préfaces dans les mss. Paris, B.N. lat. 2447 ; n.a.l. 1509 qui ne contiennent que des pièces relatives à saint Denis et à St-Denis. – Nous transcrivons et éditons ici à nouveaux frais la lettre dédicace à Herbert de Bosham, l’hyponima in epistolas Pauli et les préfaces ou hypoteses sur les épîtres de Paul. A la différence de leur unique témoin conservé, nous insérons ces pièces en tête de chacune des épîtres concernées, conformément aux principes éditoriaux du site Sacra Pagina qui est structuré selon l’ordre du canon biblique.

L’édition du texte grec

11.     Bien que Pierre Gandil en ait déjà procuré une édition dans la thèse inédite mentionnée à laquelle nous n’avons pas eu accès, nous éditons également en apparat le texte grec des préfaces concernées grâce à Véronique Somers qui en a établi le texte grec. Le manuscrit qui a servi à la traduction est perdu; mais Pierre Gandil a montré qu’il en avait été tiré une copie moderne conservée dans le ms. Paris, grec, 59  (Pg59). Véronique Somers a donc collationné la version de la Patrologie grecque (texte de base) avec celle du ms. Pg59 et avec le texte latin de Le Mire. Les accents et la ponctuation sont ceux du manuscrit. Les passages traduits par Le Mire sont en caractères gras ; les écarts de Pg59 par rapport à la Patrologie sont signalées entre crochets. Bien que transmis par le même manuscrit, l’hyponima scholasticum grec qui précède les préfaces est publié ici pour la première fois.

12.     Quelques rares passages latins de la traduction latine sont sans équivalents dans Pg59. Ils correspondent en revanche à la version grecque vulgate éditée dans la Patrologie latine. Voir par exemple exemple, Euthalius, Editio epistolarum Pauli (Rm.), PG 85, 748A-749C : οδ τς λλης... καθπερ κα βραμ est omis dans Paris, BnF, grec 59, f. 126v-128v par saut du même. Dans la même préface, πειτα ξισασιν ατος καθικετεει, κα μετανοσαντα κενον κελεει δεχθναι traduit par Le Mire, est absent de Pg59. Le texte grec utilisé par Guillaume n’était donc pas exactement celui de Pg59, mais une version proche  ou mixte, sans qu’on puisse savoir avec certitude si ces écarts viennent d’erreurs de copie d’Hermonyme ou si Guillaume Le Mire et Hermonyme ont travaillé sur des exemplaires différents.


Comment citer cette page ?
Martin Morard, Préfaces aux épîtres de Paul traduites du grec par Guillaume Le Mire, abbé de Saint-Denis en France, à l'intention d'Herbert de Bosham in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2024. Consultation du 02/05/2024. (Permalink : https://gloss-e.irht.cnrs.fr/php/page.php?id=148)