Le 'Tractatus duodecim lapidum' (Apc. 21, 19-21), pierre de touche des évolutions de la Glose ordinaire sur l’Apocalypse

page créée par Martin Morard, mise à jour le 12.10.2023 (version 4)

vers l’édition du traité  ? & ; principes de l’établissement du texte : voir infra.

 1.       L’édition électronique de la Glose ordinaire de l’Apocalypse ne pouvait passer sous silence le traité des douze pierre, jusqu’ici inédit, qui accompagne une partie des témoins manuscrits de la Glose sur l’Apocalypse (24 témoins recensés).

2.       Ce texte pose des questions que je me borne ici à formuler, tout en réunissant en format numérique les principales pièces du dossiers. Les observations qui suivent, recueillies au fil du recensement en cours des manuscrits de la bible latine avec commentaire (GLOSSEM), sont appelées à être complétée et mises à jour.

3.       Les commentaires lemmatiques de l’Apocalypse contiennent, du fait même de l’explication continue du texte biblique, un traité latent des douze pierres. Les propriétés des douze pierres, qui forment les fondements des murs de la Jérusalem céleste d’après Apc. 21, 19-21, ont fait l’objet d’une exégèse allégorique récurrente. Il est donc normal qu’on puisse recenser plusieurs exégèses de ces deux versets.

4.       Certaines versions de cette exégèse ont été extraites des commentaires lemmatiques, dès la période carolingienne, soit sous forme de traités indépendants, soit sous forme d’un commentaire de l’hymne liturgique Cives celestis patrie[1].

5.       Le vocabulaire lapidaire commun aux différents commentaires vient d’une source commune non théologique. Le commentaire de Bède sur l’Apocalypse semble être le point de départ de la tradition exégétique proprement dite. Le véritable commentaire souche, en tout cas pour l’exégèse des douze pierres, semble être plutôt le commentaire très diffusé de Bérengaud de Ferrière, moine bénédictin disciple de l’école d’Auxerre (fl. 890). Attribué à tort par son premier éditeur à saint Ambroise, le commentaire a été édité dans la Patrologie latine[2].

6.       Non seulement le traité est absent des manuscrits les plus anciens de la Glose sur l’Apocalypse, mais celle-ci ne comporte aucune sentence explicative associée à l’énumération des pierres par Apc. 21 (v.g. P638 etc.). De première ou de seconde main, l’association à certains manuscrits de l’Apocalypse glosé du court traité que nous éditons (à peine un côté de feuillet), n’est qu’un des avatars de l’exégèse des douze pierres.

7.       On peut donc supposer, comme hypothèse de travail, que la Glose ordinaire a d’abord annexé le traité en position finale pour pallier la pauvreté de l’exégèse d’Apc. 21, 19-21, puis en a intégré les éléments sous la forme des sentences marginales qui figurent dans l’édition princeps de la Glose ‘universitaire’ (Rusch). Extrait de l’exégèse carolingien, le traité aurait donc eu une existence indépendante, avant d’être intégré à la Glose et d’irriguer par elle à nouveau l’exégèse lemmatique de l’Apocalypse.

8.       L’édition princeps de la Glose ordinaire n’est suivie d’aucun traité des douze pierres, mais des extraits d’une version du traité en circulation y ont servi à gloser le nom des pierres en Apc. 21, 19-21. Ces évolutions expliquent peut-être le petit nombre de témoins qui associent le traité à la Glose. Lorsque celle-ci en a eu absorbé la substance, il n’y avait plus lieu de le reproduire pour lui-même.

9.       Cependant les manuscrits de l’Apocalypse glosé ne véhiculent pas une version unique du traité. Je me suis contenté ici de compiler six versions susceptibles de situer d’éclairer la tradition des traités copiés à la suite des Apocalypses glosés.

10.   1. La version PL40 est reproduite par la Patrologie latine de Migne (PL 40, 1229-1230) parmi les oeuvres apocryphes d’Augustin (spuria) ne semble pas représentative du texte associé aux manuscrits glosés de l’Apocalypse, plus prolixe.
2. Anselme A.
Nous transcrivons à fins de comparaison le commentaire lemmatique que Guy Lobrichon considère comme authentiquement anselmien (Giraud 2010, p. 96) à partir
du ms. Clm2605. Il apparaît qu’il n'a eu d’influence textuelle ni sur la Glose ordinaire ni sur le traité des douze pierre qui font plutôt écho à la version Anselme B. – Codd. : Anselmus Laodunensis, In Apc. (Ioannes apostolus et evangelista in Pathmos insula) (Apc. 21, 19-21) [RB-1367-1369], München, BSB, Clm3605, f. 137r-138v      
3. Anselme B. La
version de la patrologie latine (PL161), très fautive, est extraite d’un des commentaires de l’Apocalypse attribué à Anselme de Laon (Deus et Dominus Pater, RB-1361) ; ce commentaire fait suivre l’explication lemmatique de l’hymne Cives celestis patriae.[3] Il est probable qu’Anselme ait lui-même développé une source carolingienne préexistante. L’excerption en forme de traité occulte le lien avec l’hymne Cives celestis. - Anselmus Laodonensis, In Apc. 21, PL 162, 1579-1580 ;  Glossa ordinaria (Apc. -12Lap.) : Bg99, f. 146r-147v ;Troyes, BM, ms. 1552, f. 58r ; le manuscrit de Bruges, provenant de l’abbaye des Dunes, est de meilleure qualité philologique que Tr1552.   
4. La version La102, provant de Vauclair près de Laon, associée à la version laonnoise de la Glose ordinaire de l’Apocalypse, n’offre encore, elle aussi, qu’une version encore très sobre et succinte. - Glossa ordinaria (Apc.) : La102, f.
43r, s12 2/2, prov. Vauclair (extraits).  
5. La version
Som170, associée à la Glose ordinaire parisienne, occuppe un à deux feuillets. Elle est dérivée – avec de nombreuses variations et additions – de la version PL161 ou d’une des versions d’Anselme B. Il est possible que les écarts et additions observées ici ne concernent que la version PL161 et que l'un ou l'autre des manuscrits de l'oeuvre présentent un taux plus élevé d’accords textuels. Quel qu’en soit l’auteur il semble que Anselme B soit le commentaire lemmatique qui se rapproche le plus de la version vulgate de la Glossa ordinaria. - Glossa ordinaria (Apc.) : Som170, f. 146v-147r, s13 2/3, prov. St-Bertin.          
6. La version P3371 est indépendante de la tradition directe des commentaires de l’Apocalypse. Nous transcrivons des extraits du commentaire de l’hymne Cives celestis patriae, tirés d’un hymnaire liturgique glosé méridional, exemplaire unique provenant peut-être d’un prieuré grandmontain (notice BnF). -
Paris, BnF, lat. 3371, f. 50va-52rb, France : Sud, s14 ¼ ? , prov. Grandmont ?; — f. 52-52v : commentaire  sur la Jérusalem céleste, mais sans traité des douze pierres : « Beatus Johannes evangelista qui supra pectus Domini in cena recubuit... — ... ita ut vivant in Deo ». Le ms Dublin, Trinity College 270 (D.4.9) 185-192, 204v-212v signalé comme autre témoin du commentaire des hymnes liturgiques de ce ms.  par la bibliographie du ms. de la BnF ne concerne pas ce texte d’après les informations données par Scriptorium 28, 1974.1, p. 71 et note 23, contrairement à ce que je comprends de la fiche bibliographique BnF sur ce manuscrit.       
Je prends ici le parti d’éditer progressivement sous le texte de l’hymne les versions identifiées, si possible dans l’ordre chronologique du témoin le plus ancien de chaque version. Comme il s’agit d’une recherche en cours, on voudra bien tolérer d’inévitables tâtonnements dans l’ordre de présentation des différentes versions.La version qui paraît la plus prolixe concorde partiellement avec les sentences marginales qui se lisent en leur lieu dans l’édition princeps de la Glose elle-même. Ce constat n’est qu’un point de départ. Il reste à savoir dans quelle mesure l’édition incunable reflète le texte des manuscrits de la version parisienne de la Glose ou si elle a puisé dans une version isolée.

11.   Au vu de leurs nombreuses fautes  et leçons communes, les traités Lee3 et Tr1552, ajoutés de seconde main à la suite de la version laonnoise de l’Apocalypse glosé (glose en 3 colonnes) descendent d’un même archétype, probablement cisterciens, rédigé à partir de la version Anselme B. Les sentences de la Glose ordinaire de la version Rusch sont pour ainsi dire identiques à celle de la Som170 (glose puzzle). Rédigées à partir d’Anselme B, elles ne le citent pas littéralement.

12.   Anselme A reste assez éloigné d’Anselme B et d’Anselme sententiarisé. Sans jeu de mots, ce traité anodin est donc une des pierres de touche des évolutions de la Glose ordinaire. Les Apocalypse glosés des 12e et 13e siècle de la filiation laonnoise  pourraient être répartis en trois versions :            
A) texte ‘laonnois’ primitif sans exégèse des douze pierre ;           
B) texte ‘laonnois’ augmenté de l’exégèse des douze pierre sous forme de traité ajouté, le plus souvent en position finale ;    
C) le texte ‘laonnois’ avec traité des douze pierres transformé en sentences insérées directement dans les marges d’Apc. 21, 19-20. 

***

13.   Le traité, à peine distingué d’une sentence liminaire un peu longue, n’a aucun titre dans la plupart des manuscrits. On trouve cependant pêle mêle : prosa, tractatulus, tractatus de duodecim lapidibus ou encore De natura lapidum (Tr1552, f. 58r).

14.   Les sources sont également muettes sur son auteur. Les éditeurs et catalogueurs, comme à leur habitude, ont tenté de l’associer aux noms les plus illustres comme aux plus obscurs, en fonction de contextes codicologiques presque toujours trompeurs : Augustin, Bède, Amat du Mont-Cassin, Pierre Diacre. Stegmüller, dans un des suppléments du Repertorium biblicum, l’associe au commentaire de Bérengaud de Ferrières dont il semble bien dériver (RB-1711.2)

15.   Témoins :           
- Les témoins associés à des exemplaires glosés de l’Apocalypse sont recensés dans GLOSSEM.

 -          Il faut y ajouter divers recueils dans lesquels le traité a été repéré tardivement, de manière très imcomplète et sans lien avec la Glose:

-          RB-1711.2                        Barcelona, Bibl. Central, 103 (s14) f. 105.

-          RB-1711.2                        Barcelona, Bibl. Central, 558: Iaspis primus ponitur etc.[4]

16.   Principes de l’établissement du texte : Pour chaque pierre, j’édite l’une sous l’autre chacune des versions recensées.

17.   L’astérisque à la suite de l’appel de note signale que le texte de base (PL ou Rusch) a été corrigé. Les orthographes sont normalisées selon les principe éditoriaux de Sacra-Pagina.

Martin Morard 2022 (rev.MM2023)



[1] Sur cette hymne, cf. PL 171, 1771-1772 et Hauréau, Notices, I, 76-77 ; sur son auteur, M. Manitius, Geschichte der Lateinischen Litteratur des Mittelalters, III, 726.

[2] Berengaudus Ferrariensis fl. 890, RB-1711+S ; éd. PL 17, 765-970. Aux manuscrits recensés par le Repertorium bblicum, on peut ajouter Leeds, Ripon Cathedral MS 4.

[3] Pour une analyse rapide et synthétique, cf. C. Giraud, Per verba magistri, p. 98-99 et la bibliographie citée.

[4] RB-1711.1 Tortosa, Cabildo, 228 (s14), f. 91r-91v. Expl: « se similes illis; -- Unitas alia singularitatis, alia unionis ... supernae maledictionis; -- Tria sunt opera. Opus Dei creare ... vel cuiuscumque rei naturaliter producit » n’est pas notre traité mais le De nativitate antichristi attribué à Bérengaud.


Comment citer cette page ?
Martin Morard, Le 'Tractatus duodecim lapidum' (Apc. 21, 19-21), pierre de touche des évolutions de la Glose ordinaire sur l’Apocalypse in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2024. Consultation du 02/05/2024. (Permalink : https://gloss-e.irht.cnrs.fr/php/page.php?id=149)