Le 'Tractatus de duodecim lapidibus' (Apc. 21, 19-21), pierre de touche des évolutions de la Glose ordinaire sur l’Apocalypse

page créée par Martin Morard, mise à jour le 18.11.2024 (version 8)

vers l’édition du traité  ? & ; principes de l’établissement du texte : voir infra.

1. Les traités sur les Douze pierres et textes assimilés

Bède et l’exégèse lemmatique

Le De decem lapidibus du pseudo-Bède

De tredecim lapidibus

De septem visionibus Apocalypis

Cives celestis patrie

Le Tractatus de duodecim lapidibus associé à la Glose de Laon.

Posterité

Les versions du De duodecim lapidibus Glossae

Témoins

L’édition électronique

 

1.       L’édition électronique de la Glose ordinaire de l’Apocalypse ne pouvait passer sous silence le Traité des douze pierre, qui accompagne, sous la forme d’une annexe, une partie des témoins manuscrits de la Glose sur l’Apocalypse (34 témoins recensés, dont deux seulement signalés par le Repertorium biblicum RB-11854). Ce texte couvre à peine un ou deux feuillets. Sa diffusion dépend dont exclusivement des recueils et ouvrages qui l’ont véhiculé.

2.       Le traité était demeuré inédit jusqu’à aujourd’hui. Le Repertorium biblicum se contente de renvoyer au commentaire des versets bibliques concernés de l’édition de la Glose ordinaire dans la Patrologie latine (PL 114, 748-749), dont l’insuffisance n’est plus à rappeler.

3.       Le traité n’a aucun titre stable. On trouve parfois : prosa, tractatulus, tractatus de duodecim lapidibus, De XII lapidibus (Sg74) ou encore De natura lapidum (Tr1552, f. 58r). Les catalographes modernes lui donnent des titres plus prolixes comme Descriptio XII lapidum in Apocalypsi mystica. Aucun ne correspond à l’intention d’un auteur. Je propose de retenir comme titre uniforme l’expression retenue par Stegmüller : De duodecim lapidibus.

4.       Les éditeurs et catalogueurs, comme à leur habitude, ont tenté d’associer aux noms les plus illustres comme aux plus obscurs, en fonction de contextes codicologiques presque toujours trompeurs et insuffisamment distingués : Augustin, Bède, Amat du Mont-Cassin, Marmod, Pierre Diacre. Les manuscrits ne disent rien de l’auteur de l’hymne et du traité, toujours anonyme. Une grande confusion règne à ce sujet. Il convient avant toute chose de distinguer les différentes versions du traité pour établir l’histoire de chacune et la mettre en relation avec ses parentes. L’attribution de l’hymne, du commentaire de Bérengaud et du Traité associé à la Glose ordinaire doivent être traitée séparément.

Les traités sur les Douze pierres et textes assimilés

5.       Il existe plusieurs traités du même type qui se caractérisent tous par une tonalité propre : exégétique et morale, médicale, physique ou géographique. Peter Kitson donne une analyse détaillée du commentaire de Bède, de l’hymne Cives patrie et du De XII lapidibus associé aux écrites de Bède. Il ignore complètement la problématique spécifique de la Glose ordinaire et l’existence du traité annexe. Il réduit la Glose  à l’influence de Bède Raban et Walafrid Strabon.

6.       Il est bien entendu qu’il ne s’agit là que qu’un des chapitres de l’histoire de la symbolique lapidaire médiévale. La description des propriétés naturelles de ces minéraux, principalement leurs couleurs, vient de sources non théologiques. L’accord entre les sources contemporaines est loin d’être parfait. Les pierres de l’Apocalypse ont fait l’objet d’une exégèse allégorique récurrente dont les Apocalypses glosés ne sont qu’un des vecteurs. Il est donc normal qu’on puisse recenser plusieurs exégèses de ces deux versets. Leurs sources et leurs réceptions sont à explorer, au-delà des commentaires bibliques, de l’hymnodie et la poésie médiévales, jusque dans les rituels, les cérémoniaux, l’histoire de la paramentique civile, ecclésiastique et liturgique, les encyclopédies de la fin du Moyen Âge et bien sûr la science lapidaire occidentale et byzantine[1].

7.       Je réunis ci-dessous quelques données provenant de textes proches qui s’avèrent à l’examen  sans relation directe avec la Glose ordinaire et le traité De Duodecim Lapidibus (désormais DDL-GL) qui lui a été associé et dont nous proposons une première édition scientifique. Le DDL-GL dépend essentiellement du De gemmis de Raban Maur qui en contient presque toute la matière(De Universo, 17, 7). Il faut écarter les commentaires de l’Apocalypse de Beatus de Liebana et de Berengaud, le pseudo Bède sur les 12 pierres qui est un détournement médico-magique du DDL-Glose associant une description des pierres assez commune, originaire de Bède et des propriétés présentées comme des significations. La question de la date du pseudo Bède reste à démontrer. Tikson ne convaint pas, sans doute obnubilé par la volonté de démontrer l’origine irlandaise du traité.

Bède et l’exégèse lemmatique

8.       Les commentaires lemmatiques de l’Apocalypse réunissent, du fait même de l’explication continue du texte biblique, la matière d’un traité consacré aux pierres qui forment les fondements des murs de la Jérusalem céleste décrits par Apc. 21, 18-20.

9.       Chronologiquement et littérairement, le commentaire de Bède sur l’Apocalypse est le point de départ de la tradition exégétique des deux versets bibliques concernés. La Glose dépend de Bède soit directement, soit par l’intermédiaire du chapitre du De Universo mundo de Raban qui est consacré aux gemmes.

10.   DDL-G :
1. iaspis, 2. saphirus, 3. calcedonius, 4. smaragdus, 5.  sardonyx, 6. sardius, 7. chrysolythus, 8. beryllus, 9. topazius, 10. chrysoprasus, 11. hyacinthus, 12. amethystus.     
Cet ordre est expressément suivi par Raban et les différentes versions du commentaire d’Anselme de Laon ainsi que les versions du DDL-Gl qui en dérivent.

Le De decem lapidibus du pseudo-Bède

11.   Le De decem lapidibus du pseudo-Bède est un texte très court, en apparence similaire au Traité associé à la Glose. Il  a circulé sous le nom de Bède. L’ordre et le nom des pierres n’y est pas exactement celui du traité associé à la Glose : quatrede ses pierres n’appartiennent pas à Apc. 21, 18-21. Les significations proposées ne sont pas exégétiques mais médicales. Les très rares expressions communes ne permettent pas d’établir une relation textuelle directe. Kitson 1983, p. 100-109 pense pouvoir en démontrer l’origine irlandaise et l’antériorité par rapport à Bède. L’usage de sources anciennes par l’apocryphe et par Bède ne suffit pas à prouver que Bède ait utilisé l’apocryphe.            
L’ordre des pierres y est le suivant :

1. Chrysolithus ; 2. Sapphirus ; 3. Sardius ; 4. Asbestus ; 5. Hyacinthus ; 6. Carbunculus ; 7. Cerdamios ; 8. Chrysoprasus ; 9. Beryllus ; 10. Smaragdus ; 11. Sardonyx ; 12. Achates

12.   « DE DUODECIM LAPIDIBUS.
1. Chrysolithus, quem lapidem lux et dies celat, ita ut nocte igneus sit, in die autem pallidus.

2. Sapphirus similis gemmis sed non est sexangulus; in mari Rubro invenitur; radiis percussus solis ardentem fulgorem ex se emittit.

3. Sardius lapis purpureus colore, quem timent serpentes prae fulgore, ut ferunt.

4. Asbestus ex ipso sole sanguineo colore tingitur, quem accensum dicunt exstingui non posse.

5. Hyacinthus, quem ferunt quod sentiat auras et serenitas tempestatum.

6. Carbunculus colore rufeo, quem oculi amant, a longe splendorem spirat, et prope non videtur.

7. Cerdamios, qui habet fulgorem sub divo, nam in domo ceruleo colore est.

8. Chrysoprasus ex auro et purpura ceu mistam lucern trahens, quem amant aquilae.

9. Beryllus nube aurea tegitur, et sexangulos habet; tenentem manu adurere dicitur.

10. Smaragdus, quem colore purpureo hyacintho similem potestate esse dicunt, et ex eo lunares motus excitari putant.

11. Sardonyx, vilis lapis, nigri coloris est; aquis profundis alitur.

12. Achates lapis micans guttis aureis, resistens scorpionibus, quique intra os receptus, sitim sedat ».

De tredecim lapidibus

13.   Le De tredecim lapidibus est anonyme et, sur le même modèle que DDL-Gl et DDL-Bède, traite de pierres en partie communes et en partie différentes en évitant et les propriétés médicales et les propriétés morales, mais en insistant sur les références géographiques. Il s’agit d’un extrait, souvent littéral, des Etymologies d’Isidore de Séville (lib. 16). Il est copié dans le ms. latin 45 du fonds de la Reine de la Bibliothèque vaticane (f. 117v-118r) immédiatement après le commentaire de Bérengaud. Le DDL est suivi à son tour de l’hymne Cives cives patrie.  Le manuscrit date du 3e quart du 12e siècle copié dans le Nord-Ouest de la France d’après l’écriture et le décors.Il adopte l’ordre suivant  ²      :
« 1. Carbunculus, 2. Smaragdus, 3. Sardius, 4. Topazius, 5. Saphirus, 6. Ligurius, 7. Ametistus, 8. Crisolitus, 9. Oxix, 10. Berillus, 11. Cristallus, 12. Adamas, 13. Achates ». Inc. : « Carbunculus dicitur quod sit ignitus ut carbo. Fulgor eius nec nocte extinguitur. Lucet enim in tenebris adeo ut flammas ad oculos vibret. Genera eius duodecim sed prestantiores qui videntur fulgere et veluti ignem effundere... - ... expl. : tempestates avertunt flumina sistunt ». Les références y sont plus géographiques que médicale ou morales

De septem visionibus Apocalypis

14.   Stegmüller, dans un des suppléments du Repertorium biblicum, associe le traité au commentaire de l’Apocalypse de Bérengaud de Ferrière, moine de cette abbaye au 9e siècle (RB-1711.2) attribué également à « maître Bérenger », parfois assimilé à Bérenger de Tours[2].

15.   Le commentaire De septem visionibus Apocalypsis est un apocalypse commenté très diffusé, dont l’auteur s’appelle Bérengaud. Il a été identifié probablement à tort avec Bérengaud de Ferrières, moine bénédictin disciple de l’école d’Auxerre (fl. 890) ou, par homonymie, avec Bérenger de Tours, qui n’est jamais appelé Berengaud. Ce commentaire n’a eu d’influence sur le traité associé à la Glose ordinaire. Attribué à tort par son premier éditeur à saint Ambroise, il a été publié dans la Patrologie latine[3]. La soixantaine de manuscrits aujourd’hui recensés ne plaide pas en faveur de l’authenticité de l’attribution au confrère de Loup de Ferrières. Tous les manuscrits sont posérieurs de deux siècles au moins à Bérengaud de Ferrières.

16.   Leur texte s’éloigne considérablement de l’édition de la Patrologie latine. Je n’ai pu établir pratiquement aucun parallèle littéral avec les versions que j’ai appelées « Anselme A » et « Anselme B » du traité lié à la Glose. La description même des pierres et de leur couleur diffère, même si les idées générales sont proches, tout se passe comme si les deux traités s’efforçaient chacun d’éviter le lexique de l’autre,  de sorte qu’il est impossible  d’indiquer une dépendance de l’un par rapport à l’autre. On ne peut donc pas envisager que le Traité soit une mise en sentences du commentaire de Bérengaud en raison du trop grand écart lexical et surtout des différences sur le lapidaire fondamental.

Cives celestis patrie

17.   L’hymnographie associée au rituel de la dédicace des églises et de leur anniversaire liturgique, notamment l’hymne Cives celestis patrie et ses commentaires, ont également cristallisé la symbolique lapidaire médiévale. Reste à savoir si elle a alimenté le traité ou si elle y a puisé[4] ? Le traité est parfois confondu avec l’hymne Cives celestis patriae placé par certains manuscrits en tête du commentaire attribué à Anselme de Laon et, par d’autres, à la fin du commentaire attribué à Bérengaud : Lis50 copié à Alcobaça (ou en tout cas dans la péninsule ibérique) et Tr729, provenant de Clairvaux où il n’a peut-être pas été copié[5], dépendent étroitement du même modèle qui s’écartent fortement du texte édité par Tikson ; le manuscrit 45 du fonds de la Reine (Reg45) et Bar103 que nous n’avons pas encore vu. On observe dans ces quatre manuscrits la présence de textes de même type dans au moins deux versions différentes. Comme le note pertinemment Kitson, l’hymne est un exercice de mise en vers du matériau fourni par le commentaire de l’Apocalypse de Bède. L’hymne est complète dans Lis50 et Tr729 mais sans ses trois derniers stiques dans le commentaire d’Anselme de Laon (Paris, BnF, lat. 712 et PL 162, 1580-1582). Le texte que je procure dans l’édition électronique reprend la version établie par Tikson mais privilégie les leçons continentales qui sont plus en accord avec les versions du traité des 12 pierres associées à la Glose. Une seule chose semble ici définitive : Ni le traité ni la Glose de Laon ne dépendent de l’hymne.

Le Tractatus de duodecim lapidibus associé à la Glose de Laon.

18.   Tikson 1978, p. 22 ne fait qu’évoquer la question de la Glose en la situant dans la postérité de Bède PL 93, 197-203 et de Walafrid Strabon (PL 94, 748-749) auquel il l’assimile et du De Universo de Raban (PL 91, 465-471) qui absorbe Bède et Isidore (PL 91, 462-464 ; 471-474).

19.   L’histoire du traité est révélatrice des rapports entre les différentes versions de l’Apocalypse glosé qui se sont diffusées entre la fin du 11e siècle et la Glose de la Bible dans sa version universitaire stabilisée et standardisée à la fin du 12e siècle. Je me contente ici de procurer en format numérique et de manière inchoative les principales pièces du dossier et quelques observations, recueillies au fil du recensement des manuscrits de la Bible latine avec commentaire (GLOSSEM), qui sont appelées à être complétée et mises à jour.

Posterité

20.   Plus tard, le livre 14 du Liber de natura rerum du dominicain Thomas de Cantimpré (1201-†1272), dont on recense plus de 200 manuscrits, est consacré aux pierres précieuses. Il en décrit 60 classées par ordre alphabétiques. On y retrouve l’influence d’Apc. 21 et du  Traité des douze pierre, auquel Thomas renvoie en précisant, pour chacune des douze pierres du traité « lapis est unus de duodecim lapidibus »[6].

Les versions du De duodecim lapidibus Glossae

21.   Non seulement le traité est absent des manuscrits les plus anciens des Apocalypse glosés avec la Glose ordinaire (c’est-à-dire la version la plus répandue), mais celle-ci ne comporte aucune sentence explicative associée à l’énumération des pierres par Apc. 21, 19-21 (v.g. P404 P588 (84v) P638 etc.)

22.   Pour sa part, l’édition princeps de la Glose ordinaire n’est suivie d’aucun traité des douze pierres, mais des extraits d’une version du traité en circulation y ont servi à gloser le nom des pierres en Apc. 21, 19-21. Ces évolutions expliquent peut-être le nombre restreint de témoins qui associent le traité à la Glose ordinaire. Lorsque celle-ci a eu absorbé la substance du traité, il n’y avait plus lieu de le reproduire pour lui-même.

23.   On peut donc supposer, comme hypothèse de travail, que la Glose ordinaire a d’abord annexé le traité en position finale pour pallier la pauvreté de l’exégèse d’Apc. 21, 19-21, puis en a intégré les éléments sous la forme des sentences marginales qui figurent dans l’édition princeps de la Glose ‘universitaire’ (Rusch). Le traité aurait donc eu une existence indépendante, avant d’être intégré à la version la version vulgate de la Glose adoptée dans les écoles, et d’irriguer par elle à nouveau l’exégèse lemmatique de l’Apocalypse.

24.   Le Traité des Douze pierres associé aux versions glosées de l’Apocalypse latin est de nature différente du DDL du pseudo Bède. Les manuscrits de l’Apocalypse glosé ne véhiculent pas une version unique du traité. Je me suis contenté ici de compiler six versions différentes.     
1. La version PL40 est reproduite par la Patrologie latine de Migne (PL 40, 1229-1230) parmi les oeuvres apocryphes d’Augustin (spuria). Elle ne semble pas représentative du texte plus prolixe associé aux manuscrits glosés de l’Apocalypse.
2. Anselme A.
Nous transcrivons à fins de comparaison le commentaire lemmatique que Guy Lobrichon considère comme authentiquement anselmien (Giraud 2010, p. 96) à partir
du ms. Clm2605. Il apparaît qu’il n'a eu d’influence textuelle ni sur la Glose ordinaire ni sur le traité des douze pierre qui font plutôt écho à la version Anselme B. – Codd. : Anselmus Laodunensis, In Apc. (Ioannes apostolus et evangelista in Pathmos insula) (Apc. 21, 19-21) [RB-1367-1369], München, BSB, Clm3605, f. 137r-138v      
3. Anselme B. La
version de la Patrologie latinetrès fautive, est extraite d’un des commentaires de l’Apocalypse attribué à Anselme de Laon (Deus et Dominus Pater, RB-1361 ; ici PL 162, 1579-1580) . Quel qu’en soit l’auteur, ce commentaire lemmatique est celui qui se rapproche le plus de la version vulgate de la Glossa ordinaria. Ce seul constat ne saurait cependant suffire à prouver un rapport d’antériorité du commentaire par rapport à la Glose. L’auteur de Deus et Dominus fait suivre l’explication lemmatique d’Apc. 21, 19-21 de l’hymne Cives celestis patriae.[7] Il est probable qu’Anselme ait lui-même développé une source carolingienne préexistante. L’excerption en forme de traité occulte le lien avec l’hymne Cives celestis. - Anselmus Laodonensis, In Apc. 21, PL 162, 1579-1580 ;  Glossa ordinaria (Apc. -12Lap.) : Bg99, f. 146r-147v ;Troyes, BM, ms. 1552, f. 58r ; le manuscrit de Bruges, provenant de l’abbaye des Dunes, est de meilleure qualité philologique que Tr1552. Se rattache également à cette version du traité les sentences de l’Apocalypse glosé du ms. 85 de la Bibliothèque de Laon, provenant de l’abbaye cistercienne de Vauclair. Ce manuscrit a deux particularités : 1° il ne contient pas la Glose ordinaire, mais un corpus exégétique qui résume souvent à la lettre le commentaire Deus Dominus d’Anselme. 2° Le traité des 12 pierres n'est pas ajouté à la fin de l’Apocalypse, comme c’est le cas le plus souvent, mais il est inséré sous forme de glose encadrante autour de Apc. 21, 19-21. La85 semble isolé. Il appartient donc à la catégorie des « gloses vagantes », fabriquées isolément à partir d’un commentaire lemmatique (ici Anselme B), hors de tout contexte académique et sans diffusion notable.           
4. La version La102, provenant de Vauclair près de Laon, associée à la version laonnoise de la Glose ordinaire de l’Apocalypse, n’offre encore, elle aussi, qu’une version très sobre et succinte du traité. - Glossa ordinaria (Apc.) : La102, f. 43r, s12 2/2, prov. Vauclair (extraits).  
5. La version
Som170, associée à la Glose ordinaire parisienne, occuppe un à deux feuillets. Elle est dérivée – avec de nombreuses variations et additions – de la version Anselme B, tout comme la Glose ordinaire, mais de façon différente (passages sententiarisés et mode d’excerption différents). Il est possible que les écarts et additions observées ici ne concernent que la version PL 162 et que l'un ou l'autre des manuscrits de l'oeuvre présentent un taux plus élevé d’accords textuels. - Glossa ordinaria (Apc.) : Som170, f. 146v-147r, s13 2/3, prov. St-Bertin.     
Le manuscrit Sg74
donnne une version qui s’écarte en partie de la version PL d’Anselme Deus et Dominus.   
6. La version P3371 est indépendante de la tradition directe des commentaires de l’Apocalypse. Nous transcrivons des extraits du commentaire de l’hymne Cives celestis patriae, tirés d’un hymnaire liturgique glosé méridional, exemplaire unique provenant peut-être d’un prieuré grandmontain (notice BnF). -
Paris, BnF, lat. 3371, f. 50va-52rb, France : Sud, s14 ¼ ? , prov. Grandmont ?; — f. 52-52v : commentaire  sur la Jérusalem céleste, mais sans traité des douze pierres : « Beatus Johannes evangelista qui supra pectus Domini in cena recubuit... — ... ita ut vivant in Deo ». Le ms Dublin, Trinity College 270 (D.4.9) 185-192, 204v-212v signalé comme autre témoin du commentaire des hymnes liturgiques de ce ms.  par la bibliographie du ms. de la BnF ne concerne pas ce texte d’après les informations données par Scriptorium 28, 1974.1, p. 71 et note 23, contrairement à ce que je comprends de la fiche bibliographique BnF sur ce manuscrit.

***

25.   Au vu de leurs leçons communes, les traités Lee3 et Tr1552, ajoutés de seconde main à la suite de la version laonnoise de l’Apocalypse glosé (glose en 3 colonnes) descendent d’un même archétype, probablement cisterciens, rédigé à partir de la version Anselme B.

26.   Anselme A ne semble pas avoir servi à la composition d’un traité indépendant. Les sentences de la Glose ordinaire de la version Rusch sont pour ainsi dire identiques à celle de la Som170, soit la version universitaire de la Glose ordinaire (glose puzzle). La sentence propre à chaque pierre a conservé le numéro d’ordre qu’elle possédait dans le traité auquel elle a été empruntée. Rédigées à partir d’Anselme B, ces sentences ne citent pas littéralement le commentaire lemmatique

27.   Sans jeu de mots, ce traité anodin est donc une des pierres de touche des évolutions de la Glose ordinaire. Les Apocalypse glosés des 12e et 13e siècle de la filiation laonnoise  pourraient être répartis en trois versions :      
A) texte ‘laonnois’ primitif sans exégèse des douze pierre ;           
B) texte ‘laonnois’ augmenté de l’exégèse des douze pierre sous forme de traité ajouté, le plus souvent en position finale ;    
C) le texte ‘laonnois’ avec traité des douze pierres transformé en sentences insérées directement dans les marges d’Apc. 21, 19-20,
- d’abord sous la forme d’Apocalypse glosé à partir d’Anselme B (La85)  
- ensuite sous la forme compilée de la Glose universitaire (mise en page puzzle) fixée par l’édition princeps (Rusch).

Témoins

28.   – RB-11854     Plus de 30 témoins associés à des exemplaires glosés de l’Apocalypse sont recensés dans GLOSSEM. Ce chiffre n’est que provisoire.

-          Il faut y ajouter divers recueils dans lesquels le traité a été repéré tardivement, de manière très incomplète et sans lien avec la Glose.   
RB-1711.2             Barcelona, Bibl. Central, 103 (daté de 1322 f. 107) f. 105 (Catalogue 1989, p. 227) : à la suite de Berengaudus in Apc. (RB-1711) commence par l’hymne « Cives celestis patriae », suivie de « Iaspis primus ponitur in fundamenta civitatis Dei... ».

RB-1711.2             Barcelona, Bibl. Central, 558: Iaspis primus ponitur etc.[8]

L’édition électronique

29.   Conformément aux objectifs de Sacra Pagina nous éditons les différentes versions recensées, du moins les principales. Pour chaque pierre, on trouvera sous la strophe de l’hymne concernée, l’une après l’autre, chacune des versions identifiées, si possible dans l’ordre chronologique du témoin le plus ancien de chaque version. En caractères gras, les mots repris à la lettre d’Anselme B.

30.   L’astérisque à la suite de l’appel de note signale que le texte de base (PL ou Rusch) a été corrigé. Les orthographes sont normalisées selon les principe éditoriaux de Sacra-Pagina.

Martin Morard 2022 (rev.MM2023, MM2024)


 



[1] Kitson 1978. Pour un panorama plus large des sources de la science lapidaire médiévale fondamentale, voir de préférence Mattia Cipriani, «Un aspect de l'encyclopédisme de Thomas de Cantimpré. La section De lapidibus pretiosis du Liber de natura rerum », Médiévales, 72, 2017, p. 155-174.

[2] Sur cet commentaire et son attribution, cf. Derk Visser, Apocalypse as Utopian Expectation (800-1500). The Apocalypse Commentary of Berengaudus of Ferrières and the Relationship between exegesis, liturgy and iconography, Leiden-New York-Köln, E.J. Brill (Studies in the History of Christian Thought, 73), 1996, 240 p.

[3] Berengaudus Ferrariensis fl. 890, RB-1711+S ; éd. PL 17, 765-970. Sur ce traité et son attribution, on consultera avec prudence Derk Visser, Apocalypse as Utopian Expectation (800-1500). The Apocalypse Commentary of Berengaudus of Ferrières and the Relationship between exegesis, liturgy and iconography, Leiden-New York-Köln, E.J. Brill (Studies in the History of Christian Thought, 73), 1996, et, p. 200-213, un recensement des manuscrits qui ignore la Clavis Scriptorum Latinorum Medii Aevii, t. 1, Turnhout, 1994, p. 234-235 et l’étude citée à la note suivante ; l’un et l’autre census sont incomplets ; voir désormais GLOSSEM : Apc. Berengaudus qui y apporte au moins deux nouveaux manuscrits.

[4] L’hymne apparaît anonymement vers la fin du 10e siècle dans  des hymnaires manuscrits, dont l’hymnaire noté de Moissac, cf. Hymnarius Moissiacensis, § 133, in : Analecta hymnica, ed. G. M. Dreves, Leipzig, 1888, p. 94. Voir aussi PL 171, 1771-1772 et Hauréau, Notices, I, 76-77 ; sur son auteur, M. Manitius, Geschichte der Lateinischen Litteratur des Mittelalters, III, 726. Kitson 1983, p. 73-123 en édite le texte à partir d’une vingtaine de témoins mais sans tenir compte de la version de Clairvaux Tr729 qu’il ignore. Kitson soutient que l’auteur est anglais en raison de grécismes du vocabulaire et de formules énigmatiques utilisées ainsi que d’un vocabulaire rare qui ne serait pas habituel sur le continent. Son édition conduit à situer Tr729 dans la branche anglaise de la tradition, tandis que Anselme A et B sont à rattacher à la branche continentale. Ce dernier voudrait qu’elle soit l’oeuvre d’un moine anglais du 10e siècle. La date était imposée par l’hymnaire de Moissac, ce qui, effectivement, oblige à écarter les attributions de l’hymne à des auteurs postérieurs. Mais le traité des douze pierres n’a pas à être attribué à l’auteur de l’hymne.

[5] Avis paléographique de Maria Gurrado (2024).

[6] Liber de natura rerum, éd. Helmut Boese,  Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1973, p. 351-374. Voir par exemple, Paris, BnF, lat. 3197A, f. 69ra-75va. Un lecteur du 14e siècle a indiqué en marge des pierres mentionnées par l’Apocalypse un numéro d’ordre qui ne correspond pas à celui de la Bible suivi par le traité. Cf. Mattia Cipriani, «Un aspect de l'encyclopédisme de Thomas de Cantimpré. La section De lapidibus pretiosis du Liber de natura rerum », Médiévales, 72, 2017, p. 155-174.

[7] Sur ce commentaire, cf. C. Giraud, Per verba magistri, p. 98-99 et la bibliographie citée.

[8] RB-1711.1 Tortosa, Cabildo, 228 (s14), f. 91r-91v. Expl: « se similes illis; -- Unitas alia singularitatis, alia unionis ... supernae maledictionis; -- Tria sunt opera. Opus Dei creare ... vel cuiuscumque rei naturaliter producit » n’est pas notre traité mais le De nativitate antichristi attribué à Bérengaud.


Comment citer cette page ?
Martin Morard, Le 'Tractatus de duodecim lapidibus' (Apc. 21, 19-21), pierre de touche des évolutions de la Glose ordinaire sur l’Apocalypse in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2024. Consultation du 21/11/2024. (Permalink : https://gloss-e.irht.cnrs.fr/php/page.php?id=149)