mise en ligne par Martin Morard le 26 décembre 2022; mise à jour le 7.3.2025
1.
Le manuscrit
47 du fonds patrimonial de la bibliothèque municipale de Toulouse, volume de
parchemin de 199 feuillets (350 x 210 mm), ne contient pas le texte de la Catena aurea, comme indiqué parfois, mais un index
thématique et lexical alphabétique sophistiqué, destiné à l’exploitation
intellectuelle de la Catena par les prédicateurs et les théologiens. Cet
exceptionnel exemple d’intertextualité prénumérique est anonyme. Il nous est
parvenu dans un manuscrit unique, commandé probablement par un prélat dominicain
proche de la Curie pontificale d’Avignon dans le second quart du 14e
siècle. Il constitue le seul cas connu d’instrument de travail
codicologiquement indépendant du texte de la Catena et spécifiquement
destiné à sa consultation.
2. La préface et le guide d’utilisation qui lui fait suite le présentent tour à tour comme une « table », un « répertoire d’autorités » (titre), une « concordance » verbale, un index des matières ou index rerum. L’ouvrage répond effectivement à ces qualifications. C’est un répertoire dans la mesure où il permet, à partir de mots–clés, de retrouver la référence des passages de la Catena qui traitent des termes lemmatisés. C’est une concordance dans la mesure où des renvois permettent à partir d’associations verbales, de rebondir d’un lemme extrait d’un passage donné de la Catena à d’autres lemmes auxquels sont associés d’autres passages de la Catena. C’est un recueil de sentences parce qu’il reproduit un grand nombre d’extraits de la Catena, très légèrement transformés pour leur donner l’aspect de propositions doctrinales ou exégétiques, assimilables aux sentences, qui ont fait le génie du 12e siècle des écoles ; c’est même un recueil de sentences ‘au carré’ puisque Thomas d’Aquin avait déjà lui–même fait ce travail de transformations des originalia en sentences au moment de la rédaction de la Catena. Enfin, c’est un recueil d’"autorités" parce qu’il permet de remonter aux originalia des sentences à partir d’un système de références à la Catena qui mentionne le lemme attributif complet des sentences citées (auteur, auteur et titre lorsque la Catena le mentionne). Le mot auctoritas revient à six reprises dans les pièces liminaires. Dans le contexte de la fin du 13e et du 14e siècles en particulier, il désigne non des individus mais des textes, plus précisément des sentences attribuées à des auteurs anciens qui, associés l’un à l’autre, font autorité dans l’argumentation des théologiens.
3. L’oeuvre de Thomas d’Aquin, les débuts difficiles de sa réception et ensuite son succès, ont donné lieu à la composition de concordances visant à le mettre en contradiction avec lui–même ou à lever les contradictions que lui opposaient ses détracteurs à partir de sentences extraites de ses oeuvres spéculatives[1]. Mais les répertoires d’autorités exégétiques qui nous occuppent ici sont d’un autre ordre. La nouveauté de Fons ascendens est d’exploiter Thomas d’Aquin comme relai des traditions anciennes du patrimoine de la foi. On lui permettait ainsi de rejoindre la grand courant du retour aux sources qui accompagne les évolutions de la théologie des 12e et 13e siècle, depuis Abélard jusqu’à la Catena. La table Fons ascendens est la première tentative de recomposition systématique de la Catena dans un contexte où le commentaire continu des Ecritures commençait à céder le pas, même dans les écoles de théologie, au profit de recompositions nouvelles, thématiques et surtout liturgiques (voir ici: tradition indirecte 1).
4. Par ailleurs, la production de répertoires d’auctoritates est au 14e siècle ce que la Glose a été au 12e siècle : l’instrument de travail à la mode de la théologie de l’époque[2] . Fons ascendens permet à la Catena de ‘rester à la page’ en montrant qu’elle peut aussi répondre au besoin de citations d’auteurs destinées à alimenter les disputes théologiques et doctrinales. Pour éviter toute ambiguïté, dans notre traduction du prologue, nous avons cependant délibérément remplacé « autorité » par sentence. On notera que Thomas d’Aquin lui–même utilise les deux termes pour désigner la même réalité[3] .
5. A Toulouse, les bibliothèques possédaient d’autres instruments de conception similaire à Fons ascendens. Il faut citer le Milleloquium augustinien de artolomeo d’Urbino (OESA, + 1350) préparé à Bologne et dédicacé à Clément VI en 1343/1344. L’exemplaire du fonds des Jacobins, plus nettement méridional que Fons ascendens, est datable par le style de l’épître dédicatoire, son écriture et son décor de la décennie 1345–1355[4].
6. Un autre exemple, de facture plus modeste mais directement exégétique, est apporté par le ms. 60. Postérieur aux années 1360[5], il classe le contenu des postilles de Nicolas de Lyre par lettres de l’alphabet et, pour chacune d’entre elle, par livre biblique: « A: Genesis…. Apoc. »
7. Pour chaque livre, une série de sentences y résume un argument ou une information avec indication de la référence biblique. L’auteur du répertoire est certainement franciscain comme on peut le déduire de la mention de « la règle de notre père saint François » citée dans les quelques lignes que je transcris ici pour faciliter la comparaison avec Fons ascendens (voir f. 90). Le texte original du prologue sur les Psaumes de la postille de Nicolas de Lyre se contentait d’écrire « in regula frarum minorum »[6].
f. 3va […] « § Absalon patris persecutor significat tiranum aposthatem a fide persequens /f. 3vb/ Christum patrem suum in membris suis qualis fuit Iulianus aposthata, 3° capitulo[7].
« § Almut secundum hebreos habet triplex significantionem uno modo est nomen instrumenti musici ; alio significat iuventutem ; tertio modo significat occultationem, et hoc modo accipitur ab Augustino et Cassiodoro et aliis doctoribus. 9° capitulo tractatur. »
f. 4a […] « § Apostoli a monte Syon exierunt ad predicandum verbum Dei per orbem ubi erat templum in quo Christus pluries personaliter predicavit precepta moralia Dei 2° capitulo.
§ Apostoli dicuntur celi metaphorice quia fuerunt excellenter illuminati et in deum elevati et etiam sic vocantur multi homines ut habetur 18° capitulo.
§ Apostoli in monte Syon spiritum sanctum recipientes exierunt divisi per orebem ad predicandum gloriam christi ut notatur 109° capitulo. » […] [f. 90rb] […]
§ Psalterium ter fuit translatum a beato Ieronimo primo secundum septuaginta interpretes quod dicitur psalterium Romanum de quo fit mencio in Regula beati patris nostri Francisci, 2° fecit aliam translationem que vocatur psalterium gallicanum de quo dicitur in regula eadem clerici faciant divinum officium secundum ordinem sancte romane ecclesie et illo utimur in ordine nostro, 3° fecit aliam translationem ad preces Sophonii et illud vocatur psalterium Ieronimi iuxta hebraycam veritatem quod declaratur in prohemio in fine. »
8. Contrairement à la table de Nicolas de Lyre du ms. 60, la table Fons ascendens est d’exécution très soignée, copiée dans une grosse libraria française de la première moitié (2e quart ?) du 14e siècle, dans une encre brune claire, décorée par un ornemaniste professionnel. La préface est ornée d’une lettrine peinte à motifs végétaux or, bleu, vert, rose, se prolongeant le long du cadre de justification et terminée au coin supérieur droit par un dragon ailé happant une grappe de raisins (Figure 3 et Figure 7), tandis que l’élément inférieur du cadre supporte un autre dragon dressé sur ses pattes arrières dans l’entrecolonne, la gueule ouverte, la langue tirée, en train
Figure 7 Toulouse, BM, 47, f. 1r: gland manicule et titulature de saint Thomas d'Aquin
d’avaler un gland tombant de sa cupule encore attachée au rameau de chêne du cadre supérieur ; le mouvement est figé comme par un instantanné photographique[8]. Un second gland est représenté en train de tomber en tourbillonnant, figé à la manière d’une manicule, à la hauteur de la titulature emphatique de « saint Thomas d’Aquin, glorieux et docteur sans pareil de l’ordre des frères prêcheurs » (Figure 7). Le décor sur fond d’or éclatant est trop bien conservé pour avoir traversé les siècles dans la bibliothèque des Jacobins dont les manuscrits sont globalement plus marqués par le temps. L’introduction et les premières initiales de chaque lettre de l’alphabet sont traitées en « puzzle » à découpage arrondis, alternativement rouge et bleu, avec – une seule fois (f. 1v) – un motif de filigranes en pelotes d’où s’échappent des faisceaux qui esquissent le mouvement d’une roue à aube tournant de gauche à droite. Les initiales secondaires sont filigranées plus sobrement, avec fils plus courts, peu développés et vrilles serrées.
9. L’écriture du manuscrit est typique des habitudes graphiques de la fin du premier tiers du 14e siècle[9]. Le style des initiales ornées est plus difficile à situer. Il est caractérisé par des contours précis et des couleurs franches associant au rouge et bleu clair de l’influence parisienne, mais timidement encore, le bleu canart et le violet qu’on retrouve fréquemment dans les manuscrits médiévaux copiés et conservés dans le midi de la France et spécialement à Toulouse.
10. Les initiales filigranées du ms. 47 sont aussi à comparer à de celles du ms. 332 des postilles sur les évangiles du Carême de l’augustin Philippe de Moncalieri (fl. 1345) qui cite abondamment la Catena aurea. La table n’a pourtant pas été utilisée. Malgré plusieurs sondages, il n’a pas été possible de retrouver les sentences citées sous les lemmes concernés de la table Fons ascendens[10].
11. L’exécution de Fons ascendens, sans aucun trait italianisant[11], porte des traces de l’influence indirecte du vocabulaire stylistique de l’ornemaniste parisien Jacquet Maci [Mathey / Macy] dont notre manuscrit se distingue pourtant avec netteté. Le fait que Maci ait orné la grande collection des oeuvres de Thomas d’Aquin et Armand de Belvézer commanditée par Jean XXII à l’époque de la canonisation de Thomas incite à regarder avec attention ce qui peut s’y rapporter de près ou de loin. Selon François Avril, le style de Maci est caractérisé par trois signatures graphiques: la demi fleur de lys répétée le long des bandes d’I, la fleur de lys, l’angle bicéphale et le dragon dessinés par un champ d’entrelacs[12]. Les bandes d’I du ms. 47 de Toulouse sont parfois piquées de demi fleurs de lys à la manière de Maci (f. 2v)[13]. On trouve quelques initiales à champs réticulés ajourés qui rappellent certains éléments de la grammaire de Maci (Figure 14 Figure 15). Un autre clin d’oeil à Jacquet Maci est le dragon deux fois répété sur la première page mais de manière figurative, réaliste et partiellement anthropomorphe, alors que les dragons–signatures de Maci sont à peine esquissés[14]. Tandis que le Maci de la maturité travaille à main levée et que ses filigrannes foisonnent en chignons ébouriffés ‘à la bonne française’ comme aurait dit François de Sales en sa langue fleurie, l’artisan de Fons ascendens applique un traitement des filigranes plus sobre, plus appliqué, avec une préférence ponctuelle pour des débordements à angles droits terminés par des clés pendantes (f. 1va, 7v). Les vrilles drues qui s’échappent dans la marge sont différentes de celles de Maci: elles se terminent avec précision par une boucle fermée en forme de noeud coulant, similaires à celles de Toulouse, BM, ms. 365 légué au couvent de Toulouse par le cardinal Guillaume de Pierre Godin en 1336 et donc exécuté avant cette date (Figure 17); on retrouvé dans ce même manuscrits les têtes de cigognes esquissée de la table Fons ascendes (Figure 15). La forme encore très arrondie des lobes des feuilles de vigne indique un style, sinon une datation, bien différent de celui des décors de Maci, très tourmentés, ou des manuscrits de la fin du 14e siècle, très découpés. Si Maci est actif dans le second quart du 14e siècle voir au–delà[15], tout indique que l’ornemaniste de Fons ascendens a un style à la fois proche et propre qui pourrait être le fait d’un ancien apprenti de Maci.
12. Avouons–le: il y a comparaisons stylistiques plus concluantes, bien que les classements relatifs, permettant de situer la manière d’une ornementation en relation avec une autre, sont souvent plus fiables que des datations millésimées qui ne se réfèrent qu’à l’estimation des oracles pythiques de la science du moment. Quoiqu’il en soit, il sera toujours difficile de choisir ici entre la poule et l’oeuf. Puisque tout pousse à dater la rédaction du texte au plus tôt dans la décennie 1326–1336, ou, pour simplifier dans le second quart du siècle, force est d’admettre que la comparaison avec Maci ne doit pas conduire à situer nos manuscrits avant ou après lui mais à constater au sud de la France, en dehors des influences parisiennes, l’existence simultanée de systèmes d’ornementation secondaire des manuscrits très différents des pratiques parisiennes mais néanmoins inspirées d’elles à la marge.
13. Il faut distinguer ici la question de l’auteur du texte de celle de son commenditaire ou donateur. Commençons par examiner – et éliminer – certaines pistes ouvertes par les observations qui précèdent.
14. Le ms. Rossi 259 du Vatican décoré par Maci et son apprenti est décicacé dans les festons supérieurs du premier feuillet à Grégoire (de Rimini), théologien, futur maître général de l’ordre des Ermites de Saint–Augustin (+1358). Il est suivi par la table des autorités extraites des lettres de saint Augustin préparée par ce même Grégoire, copiée et ornée par une main italienne[16]. Elle est précédée d’une courte introduction pratique et factuelle qui justifie le système de référence utilisé. On y retrouve pas le style ampoulé et les périodes interminables des pièces liminaires de Fons ascendens. Les lemmes sont traités plus sobrement que dans Fons ascendens avec des sentences courtes et sans renvois secondaires. Seuls les deux premiers livres du commentaire des Sentences de Grégoire de Rimini ont été conservés. Les tables de l’édition critique ne laissent pas entrevoir l’influence des auteurs grecs caractéristiques de la Catena aurea de Thomas d’Aquin dont le contenu se prête davantage, il est vrai, à la matière des 3e et 4e livres des Sentences[17]. On peut donc écarter Grégoire des auteurs et des utilisateurs potentiels de Fons ascendens, tout comme on a écarté tout à l’heure son confrère et contemporain Philippe de Moncalieri. Leur appartenance au même ordre que les Augustins de Toulouse, possesseurs de Fons ascendens, aurait pu laisser espérer des rapports plus étroits.
15. Les documents sur la succession du cardinal dominicain Guillaume de Pierre Godin, mort en Avignon en 1336 et enterré à Toulouse ne mentionne ni la Catena ni la table Fons ascendens. Le cardinal avait disposé de ses livres par trois documents conservés. En 1304, avec la permission du maître de l’ordre dominicain, il donne au couvent de Bayonne, où il avait fait profession, des livres acquis hors du contexte de sa formation religieuses[18]. Parmi eux se trouvent des « tabule super originalia ». Il reconnaît également avoir gardé en sa possession des livres empruntés dont des « auctoritates sanctorum sub ordine alphabeti ». En cas de non respect de ses dispositions par un bénéficiaire, la donation des livres serait transférée à la communauté provinciale de Toulouse, c’est–à–dire au couvent des Jacobins, résidence du prieur provincial. En 1335, son testament fait peu de place aux livres et ceux qui y sont mentionnés ne concernent en rien notre question[19]. En 1336, un codicille dispose d’un lot de plus de 25 volumes en faveur de plusieurs bénéficiaires, couvent et personnes physiques. De Catena il n’y est pas question, de table ou de recueils d’autorités non plus[20]. Si le système graphique et l’ornementation du ms. 47 de Toulouse, la mention de Thomas comme saint, excluent que le manuscritl ait pu être copié dans les premières années du 14e siècle, rien interdit de dater son contenu des dernières années de la vie de Guillaume Godin. Il faudrait alors supposer qu’il ait été confectionné et offert à sa demande de son vivant comme un cadeau à un confrère ou à un couvent.
16. Je n’ai pas su en trouver la trace du manuscrit dans les archives des collecteurs pontificaux du droit de dépouille[21]. Les donations et legs écrits connus qui ont été faits à l’intention des couvents de la province dominicaine de Toulouse ne le mentionnent pas.
17. Le manuscrit a peut–être appartenu au fonds des dominicains de Toulouse ou à un prélat de cet ordre, bien qu’il ne soit pas possible d’en avoir l’assurance, faute d’ex–libris ou d’inventaire ancien. Les feuillets de garde, notamment la première garde volante inférieure, mutilée en son centre (avant restauration), laissent supposer une ou plusieurs marques de provenances anciennes développées, peut–être aussi une clause interdisant son aliénation, disparues à la suite d’un transfert de propriété. Ce manuscrit pourrait n’avoir appartenu aux Jacobins que précocément. On n’en trouve pas mention dans le catalogue de 1683 qui recense les manuscrits les plus importants de la bibliothèque des Jacobins de Toulouse[22]. Les autres sources de l’histoire de la bibliothèque, toutes postérieures au 15e siècle, n’en portent aucune trace. Le manuscrit pourrait avoir été acquis par un autre fonds ecclésiastique toulousain, comme le fonds des Augustins qui sont entrés en possession, avant le 18e siècle, et dans des circonstances qui restent à éclaircir, de plusieurs manuscrits médiévaux d’auteurs dominicains, certains provenant initialement du couvent des Jacobins[23]. Le seul exemplaire manuscrit de la Catena aurea conservé à Toulouse est un recueil factice incomplet de la CMT et de la CIO qui appartenait au fonds des augustins dès avant le catalogue qui en a été dressé en 1764. Le même catalogue mentionne un volume d’«auctoritates pro qualibet materia in fol. » qui pourrait bien correspondre à la table Fons ascendens (AD H 127, p. 328). Encore ces attestations tardives ne disent–elles rien des possesseurs initiaux. Les marques de possession antérieures des manuscrits ont été intentionnellement mutilées ou arrachées avec les premiers et derniers feuillets des corps d’ouvrage[24]. Elles prouvent par leur absence que ces manuscrits n’appartenaient pas initialement au fond des augustins. Par ailleurs on observe les même mutilations dans certains manuscrits d’auteurs augustins possédés par les jacobins à la Révolution (par ex. BMT332 et le splendide Milleloquium en 4 volumes cité plus haut). L’hypothèse d’échanges ou de mises en gage sans retour dans des périodes de vaches maigres ne saurait être exclue. Celui qui aura la patience d’éplucher et de comparer les documents comptables des deux couvents entre la fin du 15e et la fin du 17e siècle y trouvera peut–être la clé de cette énigme.
18. L’origine du manuscrit demeure donc un mystère. On peut raisonnablement admettre qu’il a été conçu et préparé dans les milieux de la cour pontificale, à destination d’un haut prélat – peut–être un des maîtres de la Curie pontificale dominicain du 14e siècle – qui en aura fait don à la bibliothèque de la maison mère de l’ordre des prêcheurs.
19. Le contenu des pièces liminaires – prologue et mode d’emploi – n’apporte guère plus de lumière, sauf qu’il s’agit encore d’une pièce unique que son style et son contenu ne permettent guère de rattacher à d’autres textes du même genre.
20. La titulature de Thomas d’Aquin, mentionnée par le prologue – « gloriosus vir et doctor egregius sanctus Thomas de Aquino, predicatorum ordinis » (§ 4) – oblige à dater le texte après la canonisation de 1323. Le titre de « docteur egregius » lui est appliqué au moins depuis la déposition de Bathélemy de Capoue au procès de canonisation de Naples en 1319[25]. L’expression « Sanctus Thomas de Acquino ordinis predicatorum doctor egregius » est l’incipit même de la Vita de saint Thomas rédigée par le même Bernard Gui, source des leçons de l’office de saint Thomas adopté entre 1228 et 1334[26].
21. L’auteur parle à la première personne (« ego ») mais tait son nom ; il s’exprime comme un fervent admirateur de Thomas. Le titre de Doctor communis est omis, contrairement à l’usage d’Armand de Belvézer et de Dominique Grima qui en faisaient état déjà avant la canonisation[27]. Dans Fons ascendens, l’auréole de la canonisation éclipse le bonnet doctoral non pour le discréditer mais parce qu’elle l’inclut dans la cohorte des sancti homines et doctores ecclesiastici (§ 14).
Certaines graphies des lemmes de la tables pourraient aider à localiser l’auteur de la table.
22. L’ensemble de ces paramètres oriente vers la fin du premier tiers du 14e siècle. La qualité du manuscrit suggère un ouvrage exécuté pour un prélat de haut rang proche des dominicains ou dominicain lui–même comme l’est probablement l’auteur même de la table. Il est bon, somme toute, que Fons ascendens ne puisse être attribuée à un personnage connu. Le document n’en apparaît que mieux comme la réalisation emblématique de l’école biblico–thomiste du 14e siècle méridional. Dominique Grima, Armand de Belvézer, Guillaume de Pierre Godin pourraient en être chacun l’auteur. Guillaume de Pierre Godin est pour ainsi dire le seul de sa génération, dans la période 1330–1340, à pouvoir faire exécuter un ouvrage aussi soigné. L’absence d’épître dédicatoire dont auteurs et bénéficiaires sont très friands à cette époque, pourrait indiquer que la table a été financée par son auteur. Le premier cahier étant complet (8 f.) on peut difficilement supposer qu’elle ait été perdue.
23. Gageons que la lecture du texte du prologue et spécialement du mode d’emploi suggèrera au lecteur érudit des comparaisons stylistiques et des hypothèses nouvelles.
Le prologue
24. L’ouvrage est muni d’une préface et d’un long discours de la méthode que nous éditons et cherché à traduire.
25. Le prologue est une introduction théologique à la table, à ce dont elle traite et comment elle le fait. L’allégorie de la source et du fleuve est un écho direct aux derniers mots de l’épître dédicatoire de la Catena sur Matthieu (CMTprol.33), citation de Eccl. (Qo.) 1, 7: «Omnia flumina intrant mare et mare non redundat. Ad locum unde exeunt flumina revertuntur ut iterum fluant»[28]. Dans la foulée, Fons ascendens développe un schéma néo–platonicien d’exitus–reditus appliqué à l’histoire de la Révélation, à l’aide d’une métaphore hydraulique inspirée du thème des fleuves du Paradis mentionnés dans Gn. 2, 10–14. Le processus de la révélation part de la création, source de la connaissance du divin et première opportunité pour l’intelligence humaine de connaître Dieu par la contemplation de l’univers, créé selon l’exemplarité du Verbe.
26. L’exitus se prolonge par la révélation aux apôtres transmise par la pluralité des quatre évangiles. Il se heurte alors aux difficultés herméneutiques que la profondeur du message pose aux limites de l’intelligence humaine.
27. Les médiations humaines du reditus sont multiples: 1° l’intelligence créée qui remonte de la compréhension de la contingence ontologique à la connaissance de la cause première ; 2° la prédication apostolique et les quatre évangiles ; 3° l’exégèse patristique ; 4° la théologie de Thomas par le biais de la Catena aurea ; 5° la table Fons ascendens elle–même.
28. Tout se passe comme si un seul élan d’exitus se diffractait en plusieurs étapes, chacune suscitée par l’insuffisance de la réponse de l’étape antérieure. Chaque élan de reditus supplée aux limites du précédent sans pour autant le remplacer.
29. La force suggestive de la métaphore hydrologique renforce le concept de l’homogénéité du flux noétique qui part de Dieu et retourne à lui au fil des étapes, distinguées mais indissociées, de l’histoire du salut et de l’intelligence théologique. Le temps de la prédication de l’évangile n’est pas coupé de celui des étapes de la révélation. Il est présenté au contraire comme la poursuite d’une même dynamique initiée par l’acte créateur, prolongée par la révélation évangélique, poursuivie dans les efforts herméneutiques et méthodologiques de la théologie. Même les pratiques de l’écrit (Catena, tables de la Catena) sont intégrées dans la dynamique de ce reditus. La survalorisation des médiations ecclésiastiques qui en découle ne doit pas échapper. Elle s’intrège au contexte culturel et sociale de l’émergence des professionnels de la Parole comme corps social: prédicateurs et théologiens. Leur médiation est présentée comme indissociable de la sublimité – ici de la profondeur – de la doctrine qu’ils ont mission de diffuser, de rendre intelligible et surtout de ramener à l’unité concordante qui fonde l’unité de l’Eglise et – par elle – du corps social. Ce faisant l’auteur apporte une justification théologique à un phénomène sociologique.
30. La structure littéraire du prologue s’inspire des schémas classiques mis en oeuvre dans les prologues scolaires sur la Bible[29]. La similitude avec certains accents de l’épître dédicatoire du commentaire des évangiles du franciscain Ponce Carbonell (entre 1329-1334) intrigue. Ponce Carbonnel et l’auteur de Fons ascendens décrivent un même parcours à l’aide d’expressions et de références bibliques proches. Au-delà de la possibilité d’une consultation de Fons ascendens par Carbonell, ce rapprochement est révélateur d’une conception commune de la structure du flux noétique de la Révélation qui part de Dieu et ramène l’homme à lui par le triple vecteur de l’Incarnation de Dieu assumant le système langagier humain, prolongée par les évangélistes et l’oeuvre herméneutique des docteurs ecclésiastiques:
« Inter omnia, ac super omnia, que debent Christiane menti esse infixa, precipua sunt vita et doctrina Salvatoris. Que quidem pulchre explicat Discipulus ille, qui ea vidit, audivit et scripsit, scilicet beatus Ioannes dicens in Apocalypsi: Vidi angelum volantem per medium coelum, habentem evangelium eternum, ut evangelizaret sedentibus terram. Christus enim Dominus noster est super ; est magni consilii Angelus, ut in Isaia secundum Septuaginta scribitur et in Ecclesia decantatur. Qui quidem volavit per medium celi, id est Ecclesie, conversando scilicet vita celica et ab omni terrestreitate elevata habuitque Evangelium eternum, id est in eternum perdurans et ad eterna perducens in sua anima beatifica et evangelizavit omnibus predicatione publica et mirifica. Ut vero id ipsum, quod facto et Verbo evangelizavit pro salute omnium, sincerum et inviolatum ad omnes pertingere posset, dans voci suce vocem virtutis, conscribi illud inspiravit a quatuor Evangelistis, de toto mundo electis, iuxta quatuor mundi climata distinctum in quatuor Evangelia, tanquam quatuor flumina terram irrigantia quibus evangelizantibus dedit verbum virtute multa ipse Dominus Rex virtutum, in tantum quòd omnibus Evangeliis scriptis a quibuscumque aliis decidentibus , hec sola ab his quatuor scripta, divina et Ecclesiastica auctoritate fulta, immobilia, et solida in perpetuum perseverant. Hec autem Sacrosancta quatuor Evangelia a quam pluribus sacris doctoribus copiosissime sunt exposita et luculentissime declarata de quorum expositionibus cum grandi labore et studio aliqua , ut brevius potui , excerpsi, et in unum collegi, ut a me et mei similibus citius et facilius possit sacrorum Evangeliorum intentio apprehendi... »[30].
31. Après le traitement du thème biblique sur le mode allégorique (2–4), Fons ascendens déploie la métaphore des quatre fleuves ; les quatre causes aristotéliciennes sont sous–jacentes mais notre texte en évite élégamment le jargon:
– la cause ‘matérielle’ ou le sujet traité:
– le Verbe divin (2)
– ses diffractions évangéliques (3)
– la difficulté de sa compréhension (4)
– les causes efficientes au service de son intelligence
– la tradition ancienne (5)
– Thomas d’Aquin (6)
– les causes formelles
– modus: la méthode de la Catena (7)
– usus ou utilitas:
– utilité pratique de la Catena (8–9)
– utilité de la Catena par rapport à l’intelligence des héritages anciens (10)
– la cause finale: la construction de l’unité doctrinale permet de rejoindre l’unicité de la source première.
Le guide d’utilisation
32. La suite du
texte, introduite par un titre rubriqué, est un guide d’utilisation de la table
qui en explique la composition (§ 18–24). La table se veut être une concordance
à la fois réelle et lexicale.
33. Fons sapientie prétend réorganiser l’intégralité de la Catena aurea de Thomas d’Aquin selon l’ordre alphabétique des lemmes qui en sont extraits. Elle réalise en fait une véritable lemmatisation dont l’auteur explique les principes et la méthode (§ 19). L’ordre alphabétique est celui de l’époque (nombreux mots commençant par Y au lieu de I, classés sous X au lieu de Ch, absence de différence entre U et V). Fons sapientie prétend réorganiser l’intégralité de la Catena aurea de Thomas d’Aquin selon l’ordre alphabétique des lemmes qui en sont extraits. Elle réalise en fait une véritable lemmatisation dont l’auteur explique les principes et la méthode (§ 19).
34. L’ordre alphabétique est celui de l’époque (nombreux mots commençant par Y au lieu de I, classés sous X au lieu de Ch, K est absent, U et V sont considérés comme une seule et même lettre). Quelques entrées ne sont pas à leur place alphabétique correcte (Garrulus entre Grex et Gubernatio, etc.), d'autres sont doublées (Gehenna et Iehenna, Hiems et Yems).
35. Chaque lemme est illustré par une ou plusieurs sentences qui en expriment l’idée maîtresse. Les entrées les plus importantes sont subdivisées par des lettres de l’alphabet grâce auxquelles un système de renvois internes, signalés par la lette Q. (Quere), évite les répétitions: par exemple: « ARCHA. quere IUDEUS.a. SAPIENTIA.g. » (f. 12ra).
36. Les entrées de la Table n’ont pour ainsi dire aucun rapport avec les index rerum des éditions imprimées postérieures. Les entrées principales prennent la forme de bref regestes analytiques de plusieurs lignes. L'auteur s'est ingénié à extraire de l'oeuvre tout ce qui pouvait avoir forme de définitions et de sentences. Certaines font l’objet de longs développements : VERBUM (3 col.), VERBUM DEI (4 col.), etc. Le choix des termes, plus que les textes cités, est évidemment très révélateur des intérêts et schémas mentaux de l’auteur.
37. Sa fidélité à la lettre de la Catena en fait un instrument lisse, transparent, dont l’utilisation laisse peut de trace. Il est cependant suffisamment sélectif pour qu’on ait pu constater avec déception qu’il n’avait servi ni à Philippe de Moncalieri, ni même à Dominique Grima qui utilise lui–même la Catena comme un répertoire à partir duquel il remonte aux originalia des auteurs à partir desquels il fait ses citations[31].
38. Le style du mode d’emploi est d’une particulière pesanteur. Il se caractérise notamment par de longues périodes de propositions subordonnées juxtaposées, voire enclavées, des séries parataxyques et le goût des appositions. La lecture est rendue difficile par d’incessantes répétitions et redondances. Plusieurs sens sont parfois possibles. Restituer les périodes et le rythme des phrases latines en aurait inutilement empesé la substance. Nous nous sommes donc volontairement affranchi du souci de la littéralité, sans nous écarter de la moelle du sens, autant que la faiblesse de notre esprit nous l’a permis. La fréquentation de la table elle-même a beaucoup aidé à comprendre ce que son auteur a cherché à nous en dire.
On notera que les § 19 à 24 semblent être soit un ajout postérieur complétant après usage certains manques de la première version , soit la compilation d’une autre version du même mode d’emploi, soit un emprunt au prologue d’une autre table. Le § 24 est une répétition du § 18.
39. Le vocabulaire, surtout celui du mode d’emploi, exploite plusieurs champs lexicaux spécifiques au premier rang desquels celui de la terminologie des instruments de travail des professionnels de la parole et des pratiques de l’écrit (littera, alphabetum, auctoritas, flores, tabula, expositio, excerpo, capitulum, pars, portiuncula, compilatio, concordantia, concordantia realis, concordantia vocabularis, liber, tractatus, homelia, remissio = renvoi) et le vocabulaire linguistique (significatum, dictio, vox, oratio, vocaliter, realiter).
40. La simple transposition des termes en français pourrait prêter à confusion soit avec le sens qu’ils prennent ailleurs au Moyen Âge, soit avec d’autres emplois homonymes en français, soit avec le sens que nous donnons aujourd’hui aux mêmes termes vernaculaires, spécialement dans le cadre des études techniques sur la Glose et les chaînes. J’ai volontairement remplacé la traduction littérale de ces mots par le terme technique correspondant, en usage dans la taxinomie moderne quand ce terme désigne rigoureusement la même réalité:
1. dictio est traduit par lemme quand le terme désigne un mot lemmatisé, c’est–à–dire morphologiquement neutralisé pour servir d’entrée à la table alphabétique. Parfois le mot peut se traduire simplement par « parole » ou « terme ».
2. auctoritas est traduit par sentence. Le prologue utilise le terme auctoritas / autorité au sens de texte extrait d’un auteur reçu comme une autorité et non au sens de l’auteur qui donne au texte sa valeur. C’est le texte qui est reçu comme une autorité, non la personne qui l’a initialement rédigé. On notera que le terme latin sententia n’est utilisé qu’une fois à partir de Thomas d’Aquin pour désigner la proposition ou l’affirmation raisonnée de la vérité et jamais au sens d’unité textuelle que lui donne le vocabulaire des glossateurs et maîtres des 12e et 13e siècle. En lui préférant auctoritas, l’auteur signe son appartenance au 14e siècle.
3. portiuncula désigne la partition artificielle d’une unité textuelle. Le mot prend deux sens dans le § 14:
- segment quand il désigne la partie d’une sentence extraite par l’auteur de la table pour illustré un lemme.
- sous–partie quand il désigne la 6e partie du commentaire d’une péricope de la Catena que l’auteur de la table divise mentalement en fonction des six premières lettres de l’alphabet (a b c d e f), quelle que soit la longueur du commentaire de Thomas et le nombre des sentences de la division concernée, à la manière des concordances bibliques. Rappelons que les divisions de la Catena peuvent compter de 4 à une soixantaine de sentences. Je ne connais pas de manuscrit de la Catena (je n’ai pas encore pu les examiner tous) ni d’édition où des lettres effectivement reproduites en marge, matérialisent et fixent ce système de référence interne des péricopes[32]. Pour surseoir à l’imprécision de ce système et permettre la référenciation scientifique qui faisait défaut jusqu’ici, la CAE est la première édition à proposer une numérotation continue des sentences, recommencée à chaque divisio textus.
Edition et traduction
Sur la traduction, voir plus-haut, introduction : style[33].
1. Prologus in Tabulam seu repertorium auctoritatum et dictorum notabilium in sancti Thome de Acquino ordinis predicatorum, compilatione diversarum expositionum super quatuor evangelia contentarum et ab eisdem expositionibus excerptarum. |
<titre> Prologue sur la table ou répertoire des autorités et termes remarquables contenus dans la compilation de plusieurs explications sur les quatre évangiles que saint Thomas d’Aquin, de l’ordre des prêcheurs, a extraites de ces mêmes explications. |
2. Fons ascendens e terra, irrigans ipsius terre superficiem universam[1], et fluvius de loco egrediens voluptatis, irrigans paradisum qui inde in quatuor dividitur capita fluviorum[2], ab ipso creationis exordio, machine mundialis archano misterio et consona preostensione prophetica, figura<ve>runt fontem sapientie Verbi Dei que, effundens flumina et quasi trames aquarum defluens sicut fluvius Dorix, et velut aquaductus a paradiso exiens per quatuor evangelistarum tramites fluviales, rigat ortum plantationum sancte matris Ecclesie et fructum inebriat partus sui[3]. |
<thème: le Verbe source> « La source qui s’élève de la terre pour en irriguer toute la surface, le fleuve qui sourd du lieu de volupté pour irriguer le paradis, se déverse par quatre embouchures » depuis les origines de la création. Par le secret mystère de la structure du monde, prophétie concordante qui fait voir à l’avance, ils figurent le Verbe de Dieu, fontaine de sagesse, qui déroule ses eaux comme une route. Comme le fleuve Dorix, il s’étend ; aqueduc, il sourd du paradis ; par les bras aquifères des quatre évangélistes, il irrige le verger de la sainte mère Eglise ; il enivre le fruit de son enfantement. |
3. Nam aqua doctrine et sapientie salutaris[4], Christi scilicet dicta, gesta et miracula, quatuor evangelicis diffusa canalibus in ortum nascentis Ecclesie, plantulas infallib<i>li veritate, solidissime radicatas monitis salutaribus, irrigaverunt[5]. Radica vere, miraculis ac germinare, florere et fructum fecerunt producere lucentibus operibus virtuosis. |
<les fleuves des évangiles de la doctrine du Christ> L’eau de la doctrine et de la sagesse salutaire – c’est-à-dire les dits, la geste et les miracles du Christ - diffusée par les canaux des quatre évangélistes dans le jardin de l’Eglise naissante, irrigue les jeunes plants par la vérité infaillible, les enracine très solidement par de saines monitions. Ce qu’ils ont planté en vérité, ils le font germer et fleurir par des miracles, porter un fruit succulent par des oeuvres de vertu. |
4. Set, quoniam doctrinales aque predictorum fluminum, licet in sensus litteralis transparenti superficie interiorem delectent oculum et, suo armonioso decursu, demulceant pariter {f. 1va} et auditum, inexplicabili tamen misteriorum profunditate adeo quemcumque creatum reverberant intellectum quod in quo aquas prefatorum fluminum, propter putei altitudinem, idem intellectus hauriat nondum habet. |
<difficultés inhérentes à la profondeur de la doctrine évangélique> Les eaux de ces fleuves de doctrine charment l’oeil intérieur par la surface transparente du sens littéral ; leur cours harmonieux apaise tout autant l’ouïe. Pourtant, à cause de la profondeur inexplicable des mystères, elle réverbèrent chaque intellect créé au point qu’il n’a pas encore de quoi puiser les eaux de ces fleuves à cause de la profondeur du puits. |
5. Quapropter, accensi zelo ferventis fidei et Spiritu Sancto inspirati, sancti Dei homines, doctores, scilicet ecclesiastici, istorum profundissima fluviorum alii ipsos vel eorum partes confidenter ingressi, modo commentariis, interdum omeliis ac tractatibus et scripturis aliis quasi innumerabilibus et non nunquam litteralibus, aliquando misticis nisi sint expositionibus, aperire. |
<rôle des auteurs ecclésiastiques> C’est pourquoi, enflammés par le zèle d’une foi brûlante, inspirés par l’Esprit saint, les saints hommes de Dieu, autrement dit les docteurs ecclésiastiques[6], entrés avec confiance dans les fleuves eux–mêmes ou certains de leurs bras, en ouvrirent les grandes profondeurs ici par des commentaires, ailleurs par des homélies, traités ou autres écrits quasi innombrables, expositions souvent littérales quand elles ne portent pas sur les mystères[7]. |
6. Set demum gloriosus vir et doctor egregius sanctus Thomas de Aquino, predicatorum ordinis, licet tempore postremus, ut pie creditur in eterna preordinatione divina, eiusdem Spiritus inspiratione coevus, insoliti adinventione scrutinii prefatorum fluviorum artificiosius penetravit abissum. |
<rôle de Thomas d’Aquin> Or voilà qu’enfin –dernier venu selon l’ordre du temps mais, comme il est de bonne croyance, contemporain dans l’éternelle préordination divine, selon l’inspiration du même Esprit – saint Thomas d’Aquin, de l’ordre des prêcheurs, glorieux homme et docteur sans pareil, a pénétré l’abysse de ces fleuves de façon plus adroite que quiconque par la mise en oeuvre d’un procédé d’analyse exceptionnel. |
7. Et singulorum evangeliorum capitula, velut quosdam rivos latissimos et profundos, in particulas, quasi in transmeabiles rivulos subdistinguens, diversis expositionibus doctorum precedentium nunc iuxta sensum hystoricum, modo secundum misticum vel moralem, ex diversis eorumdem libris ac, librorum assumptis partibus singulis, predictorum capitulorum particulis congruissime coaptatis, sacrosanctorum evangeliorum sacramenta profundissima patefecit. |
<la méthode de la Catena> Il a subdivisé les chapitres de chaque évangile en parties, comme des rivières très larges et profondes qu’on répartirait en cours d’eau guéables. Il a ouvert l’accès aux très profonds sacrements des très saints évangiles par diverses explications extraites des livres de docteurs plus anciens, tantôt selon le sens historique, tantôt selon le sens mystique ou moral. Après avoir extrait un à un les éléments de ces livres, il les a adaptés très adéquatement aux parties des chapitres dont on vient de parler de la façon la plus convenable. |
8. Dum ea que, sparsim in diversis sanctorum libris, qui communiter non habentur de sacrosanctorum evangeliorum expositionibus, inseruntur, que non sine magnis laboribus a studiosis etiam lectoribus ipsos libros habentibus poterant inveniri, |
<utilité pratique de la Catena> Il insère ainsi des explications des saints évangiles éparpillées dans des livres peu communs que les lecteurs les plus appliqués ne pouvaient trouver sans grands labeurs même en ayant ces livres. |
9. et, aliqua perstringendo et nonnulla declamando set etiam aliqua, servata veritatis sententia, resecando, in uno volumine coacervans et librorum huiusmodi /f. 2ra/ utcumque supplevit inopiam ac fastidiosos lectores a labore revolvendorum multorum voluminum pro inveniendis huiusmodi expositionibus relevavit. |
Il resserre certains propos, il en explicite plusieurs autres, ils en retranche même certains tout en sauvegardant l’expression de la vérité ; il rassemble le tout dans un seul volume[8]. Ce faisant il supplée à la pénurie et soulage ses lecteurs lassés de la peine d’avoir à feuilleter de nombreux volumes pour y trouver de telles explications. |
10. Set et plura de dictis sanctorum que quasi abscondita in profundissimorum fluviorum, latibulis multis erant incognita et innota ad communem notitiam tam mirabiliter quam utiliter propalavit ut illud Iob sibi competere specialiter videatur: « Profunda quoque fluviorum scrutatus est et abscondita produxit in lucem ». |
<utilité herméneutique par rapport à la tradition patristique> De nombreux dits des saints étaient demeurés comme enfouis dans les grandes profondeurs des fleuves, inconnus au fond de multiples cachettes, ignorés du savoir commun. Il les a mis au jour de façon aussi admirable qu’utile, au point que ces mots de Job paraissent lui être spécialement destinées: « Lui aussi a scruté les profondeurs des fleuves et tiré vers la lumière les choses qui lui étaient cachées » [9]. |
11. O viri ineffabilis gloriosum laborem magnis laudum preconiis extollendum per cuius operose investigationis sollicitam diligentiam - zelo catholice fidei et animarum salutis concitam et accensam - Scripturarum expresse continentium opus redemptionis humane, necdum reserantur obscura et dubia declarantur et aperiuntur mistica sacramenta, verum etiam nonnulle dissonantie, minus in eius exercitatis intellectibus superficietenus apparentes[10], in unam veritatem inconcussam et inviolabilem concordare uniformiter declarantur. Quorum et aliorum consimilium suorum bonorum laborum fructum gloriosum in eterna beatitudine percipit cum beatis. |
<finalité: la construction du consensus doctrinal> Oui ! Proclamons haut et fort la louange du glorieux labeur de cet homme ineffable. Porté et enflammé par le zèle de la foi catholique et du salut des âmes, il s’est appliqué sans relâche à l’investigation acharnée des Écritures qui contiennent expressément l’oeuvre la rédemption de l’homme ; les obscurités en sont clarifiées, les doutes résolus, les mystères cachés dévoilés, mais surtout les dissonances qui émergeaient à la surface des esprits les moins exercés se révèlent concorder uniformément en une seule vérité, inébranlable et inviolable[11]. De ces travaux, d’autres semblables, et de ses bonnes actions, il perçoit le fruit glorieux dans l’éternelle béatitude avec les bienheureux. |
12. De utilitate huius tabule et modo inveniendi per eam auctoritates ad diversa proposita facientes. |
<guide d’utilisation de la table> A propos de l’usage de cette table et de la façon de trouver par elle les autorités qui traitent de plusieurs propositions. |
13.Licet igitur pene omnia que a prefato sancto Thomas ex dictis doctorum precedentium ad exponendum evangeliorum particulas ex diversis – ut pretactum est – voluminibus excerpuntur, sint verba notabilia et flores codicum diversorum, inter illa, sub diversis evangeliorum capitulis et capitulorum partibus sparsim multa dicta moralia et auctorum flosculi continentur. Que, propter dispersionem et situm /f. 1vb/ discontinuum, querentibus facile non occurrunt. Quasi ad aliquem redigerentur ordinem, ipsis querentibus promptius et commodius deservirent. |
Pour expliquer les parties des évangiles, presque tout ce que saint Thomas a extrait des paroles des docteurs antérieurs – elles–mêmes tirées de différents volumes, comme on l’a indiqué – sont des expressions notables et des fleurs de codex différents. Parmi elles, il y a beaucoup de propos concernant les moeurs et des sentences d’auteurs semées comme autant de petites fleurs[12] sous différents capitules[13] ou parties de chapitres évangéliques. Ces extraits ne se laissent pas trouver facilement par les chercheurs parce qu’ils sont dispersés et répartis de façon discontinue[14]. Il faut les ramener à un certain ordre pour qu’ils soient mis à disposition de ces chercheurs plus promptement et plus commodément. |
14. Quapropter ego – ad instar apis qui negocians circa florem ipsum totum, licet habeat substantiam utilem, speciem et odorem ad opus suum non accipit set excerpit inde quedam congruentia athoma unde, innata sibi arte mirabili, conficiat mel et ceram – quedam dicta sanctorum et auctoritatum portiunculas ex eiusdem sancti Thome compilationibus prelibatis excerpens, ea sub quibusdam dictionibus principalioribus in eisdem dictis sanctorum et particulis auctoritatum contentis colocans, easdem dictiones ordinavi ad modum concordanciarum, iuxta litterarum ordinem alphabeti, tangendo in fine dicti vel auctoritatis cuilibet quanto capitulo cuiusvis evangelii quota parte capituli, necnon qua porciuncula partis scribantur signando portiunculas per ordinem sex primatum litterarum ipsius alphabeti et deinde scribitur a quo doctore et a quo eius libro huius dictum vel auctoritas assumatur ut per hoc necdum inveniatur facilius ubi in compilatione predicti sancti Thome de materia cuius dictionis significati complectius[15] agitur. Verum etiam, sine principali compilationis libro, dicta et auctoritates sanctorum quamplures ad propositorum diversorum conclusiones varias habeantur. |
<méthode> Voilà pourquoi, moi, j’ai agi comme une abeille qui s’affaire autour de la fleur entière. Bien qu’elle dispose de la substance utile, elle ne retient pas pour son travail l’espèce et l’odeur mais en extrait les atomes[16] adéquats d’où elle confectionne le miel et la cire avec l’art admirable qu’elle tient de sa naissance. J’ai donc extrait des compilations de saint Thomas mentionnées et les lemmes des saints auteurs et des segments de leurs sentences. Je les ai placées sous certains lemmes[17] principaux, contenus dans les propos des saints et les segments des sentences. J’ai ordonné ces lemmes à la manière de concordances selon l’ordre des lettres de l’alphabet. <système de référence> J’ai indiqué à la fin du lemme ou de la sentence, la référence à l’évangile, au chapitre de l’évangile, à la partie du chapitre[18] ainsi qu’à la sous–partie[19] où les lemmes sont écrits. Pour ce faire, j’ai désigné ces sous–parties selon l’ordre des six premières lettres de l’alphabet. J’ai indiqué à la suite de quel docteur, et de quel livre de celui–ci, la proposition ou l’autorité est extraite afin qu’on trouve ainsi plus facilement où dans la compilation de saint Thomas la matière du lemme signifié est traitée plus complètement, tant il est vrai que, sans le <titre du> livre principal compilé, il y aurait beaucoup de lemmes et de sentences des saints qui se rapporteraient aux conclusions différentes de propos multiples.
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15. In fine vero fere auctoritatum sub dictione qualibet contentarum fit remissio ad auctoritates diversas que sub aliis dictionibus continentur. In quibus quidem auctoritatibus, de natura significati dictionis a qua fit remissio, aliquid habeatur. |
<lemmes avec sentences> À la suite des sentences placée sous presque chaque lemme, on renvoie aux autres sentences qui sont traitées sous d’autres lemmes, sentences qui contiennent, en effet, quelque chose de la nature du signifié du lemme à partir duquel on renvoie. |
16. Et, ut huiusmodi auctoritas ad quam fit remissio occurat querenti citius et facilius, auctoritates contente sub qualibet dictione, si sint plures, signantur in margine per litteras alphabeti. Unde prima signatur /f. 2ra/ per A, secunda per B et sic de aliis, ut, per litteras scriptas post qualibet dictione ad cuius auctoritates fit remissio, ad auctoritatem consignatam in margine per illam litteram recurratur et, ad querendum aliquid ad propositum, per auctoritates consignatas litteris aliis non vagetur. Quod, si positionem[20] ad quam fit remissio aliqua littera non scribatur, signum est quod, per omnes auctoritates sub illa dictione contentas, realiter vel vocaliter inveniatur aliquid de natura significati huiusmodi dictionis. |
<système de renvois internes> Afin que le chercheur trouve plus vite et plus facilement la sentence à laquelle il est renvoyé, les sentences associées à chaque lemme, si il y en a plusieurs, sont désignées en marge par des lettres de l’alphabet[21]. La première est ainsi désignée par .A., la seconde par .B. et ainsi de suite, de sorte que, à partir des lettres écrites après chaque lemme pour lequel il y a des sentences auxquelles on renvoie, on remontera à la sentence repérable en marge par la lettre correspondante. Ainsi, pour chercher quelque chose d’à propos, on n’aura pas à se perdre parmi les sentences assignées à d’autres lettres. Si la position à laquelle on renvoie par une lettre n’est pas spécifiée[22], cela signifie que dans toutes les sentences contenues sous ce lemme on peut trouver quelque chose – selon la réalité ou le vocabulaire – qui concerne la nature du signifié de ce lemme[23]. |
17. Ceterum, quia in auctoritatibus que sub predictis principalibus dictionibus continentur, sunt quamplures voces propter quas ipsemet auctoritates, non solum ad principales auctoritatum huiusmodi dictiones pertinere noscuntur sed, propter ipsas voces et orationes ex eisdem compositas quas continent, possunt multis et variis propositis et conclusionibus convenire. Ideo in sequenti tabula interseruntur, sub suo ordine, dictiones quamplures que proprias consequenter conscriptas auctoritates non habent. Sed ab ipsis dictionibus fit remissio ad auctoritates consignatas eisdem litteris que sub pretaxatis principalibus continentur, ubi de materia huius dictionis a qua fit remissio aliquid conveniens, secundum vocalem vel realem concordanciam aut utramque, valeat reperiri. |
<lemme sans sentences> En outre, dans les sentences placées sous les lemmes principaux, il y a certes de nombreux mots à cause desquels ces sentences sont rattachées aux lemmes principaux. Mais, en raison des mots et phrases mêmes qui les composent, elles peuvent aussi convenir à beaucoup de propos et de conclusions différentes. Voilà pourquoi on a inséré selon leur ordre dans la table qui suit de nombreux lemmes qui ne sont pas suivis du texte de sentences propres. On renvoie cependant de ces lemmes aux sentences désignées par les lettres qui se trouvent sous les lemmes principaux concernés: aux endroits où il a été possible de repérer quelque chose qui convienne à la matière du lemme à partir duquel on a renvoyé, selon une concordance soit lexicale, soit réelle, soit selon l’une et l’autre. |
18. Prout in premissis omnibus magis poterit quilibet per usum et experientiam instrui quam scripturis vel sermonibus informari. |
Sur tout ce qui précède, on apprendra plus par l’usage et l’expérience que par les informations des écrits et des discours. |
19. Sane licet, ut evitetur numerositas dictionum a quibus vel ad quas fit remissio, in tabula subsequenti nonnumquam remittatur ad abstra<c>tum pro concreto vel econtra, ut ad « nudus » pro « nuditate »; ad femininum pro masculino sicut ad « sponsus » pro « sponsa »; ad positivum pro comparativo vel supellativo velut ad « iustus » pro « iustior » vel « iustissimus »; vel ad unum synonimorum pro alio, ut /f. 2rb/ ad « mare » pro « pelago » ; ad principale pro diminutivo, ut ad « planta » pro « plantula » ; ad dictionem simplicis figure pro alia composite idem vel quasi significantur ut ad « persuadere » pro « suadere », vel ad verbum pro suis gerundivis participibus et nominibus verbalibus vel e contra ut ad « credere » pro « credendum », « credens » etc. |
<principes de lemmatisation> Dans la table, on a pensé bon d’éviter de multiplier les renvois vers ou à partir de lemmes trop nombreux; on renvoie donc parfois - à l’abstrait au lieu du concret ou inversément, par exemple: à “nu” au lieu de “nudité” ; - au féminin à la place du masculin, comme “époux” au lieu d’”épouse” ; - au positif à la place du comparatif ou du superlatif comme “juste” pour “plus juste” et “très juste”; - à un synonyme à la place de l’autre comme “mer” pour “abysse”; - à la forme principale au lieu du diminutif, comme “plante” pour “plantule” ; - à l’expression simple d’une figure à la place d’une autre composée qui signifie la même chose ou quasiment, comme persuadere (persuader) pour suadere (convaincre) ; - ou au verbe à la place des participes gérondifs ou d’autres formes verbales, ou inversément ; par exemple "croire" au lieu de "ce qu’il faut croire", "croyant", etc. |
20. Interseruntur tamen alique dictiones que parum neccessarie prima facie viderentur, a quibus fit remissio ad certas auctoritates que sub principalibus dictionibus continentur. |
<lemmes additionnels> On a cependant ajouté quelques lemmes qui pourraient paraître superflus au premier regard, pour renvoyer à certaines sentences précises qui sont rangées sous des lemmes principaux. |
21. Quod ideo lector voverit esse factum quia – quamvis una auctoritas plures dictiones et orationes quandoque contineat, ut frequentius sub una sola principali scribitur dictione, et cum quilibet totam auctoritatem lectam vel auditam, obducta oblivione, memoria interdum non retineat nec etiam sub qua de principalibus dictionibus sit querenda, sed, per aliquam dictionem vel orationem contentam in eadem auctoritate, de ipsa qualemcumque reminiscenciam[24]* – sibi foret# sub qua forte non scribitur. |
<au service de la réminiscence> Le lecteur a souhaité cela parce qu’il pourrait lui arriver qu’on ait omis d’écrire le lemme <utile>: bien qu’une seule sentence contienne parfois plusieurs paroles et phrases qui sont le plus souvent écrites sous un seul lemme principal, à cause de l’oubli, il n’est pas donné à n’importe qui de retenir de mémoire toute une sentence lue ou entendue, ni même le lemme principal sous lequel il faut la chercher, alors qu’il suffit parfois d’une simple réminiscence par le truchement d’un mot ou d’une phrase quelconques contenus dans la sentence. |
22. Ea propter pene omnes dictiones contente in quibusvis auctoritatibus, in eadem tabula sub dictionibus remissis[25] suo ordine secundum alphabeti litteras inseruntur, et ab earum dictionum singulis ad auctoritatem in qua continetur remittitur, ut, per qua<m>cumque eamdem auctoritatem de suis dictionibus queri contigerit prompte et faciliter valeat reperiri. |
<intercommunication des idiomes> Voilà pourquoi presque tous les mots[26] contenus dans n’importe quelle sentence sont insérés dans la même table sous des lemmes auxquels il est renvoyé, ordonnés selon l’ordre des lettres de l’alphabet; et, par chacun de ces lemmes, on remonte à la sentence où il est contenu, de sorte que, s’il arrive qu’on cherche une sentence par n’importe lequel des lemmes qui la composent on puisse la repérer promptement et facilement [27]. |
23. Minus igitur dispendiosum esse credidi me solum semel scribendo nonnullas dictiones preter neccessarias, excessivum quam pluries, et, frequenter querendo auctoritates sub dictionibus sub quibus forsitan non scribuntur, cassis laboribus vagaturum. |
<lemmes ajoutés> J’ai donc cru qu’il était moins dispendieux que j’écrive seul en une fois plus de lemmes que nécessaires, parfois jusqu’à l’excès, pour devoir ensuite errer fréquemment en de vains labeurs à chercher des sentences sous les lemmes sous lesquels elles n’avaient peut–être pas été écrites. |
24. Quod per usum et exercitium eiusdem tabule non solum manifestius /f. 3ra/ declarabitur sed etiam docente experientia cognoscetur. |
Tout cela apparaîtra plus clairement à l’usage et par la pratique de cette table, tant il est vrai qu’on acquière la connaissance à l’école de l’expérience. |
[1] Cf. Gn. 2, 6: « Sed fons ascendebat e terra, irrigans universam superficiem terrae ».
[2] Cf. Gn. 2, 10: « Et fluvius egrediebatur de loco voluptatis ad irrigandum paradisum, qui inde dividitur in quatuor capita. »
[3] Cf. Sir. 24, 40-42: « Ego sapientiam effudi flumina ; ego quasi trames aquae immensae de fluvio, ego quasi fluvii Dioryx [Dorix ], et sicut aquaeductus exivi de paradiso. Dixi: Rigabo hortum meum plantationum, et inebriabo partus [sic cum Ω] mei fructum ». – La Vulgate – ici traduction vieille latine antérieure à Jérôme – a fait un nom propre du nom commun διῶρυξ qui signifie un canal aquifère (aquaeductus) et, par anthonomase, l’ensemble des eaux qui sortent du paradis. (cf. Septante Sir. 24, 30: « Κἀγὼ ὡς διῶρυξ ἀπὸ ποταμοῦ »). Il est donc normal qu’on ne trouve pas ce fleuve mentionné dans Gn. 2. L’exégèse latine a cherché à faire concorder la Genèse et Siracide en déduisant que Dorix est le fleuve source d’où dérivent les quatre fleuves nommés par Gn. 2, 11.
[4] Cf. Sir. 15, 3: « Cibabit illum pane vitae et intellectus, et aqua sapientiae salutaris potabit illum: et firmabitur in illo, et non flectetur. »
[5] On voudrait comprendre que c’est par l’eau de la doctrine, que les acta et passa du Christ ont irrigué le jardin de l’Eglise, mais scilicet place aqua... et dicta... en apposition au nominatif et oblige à les considérer ensemble comme le sujet des deux verbes irrigaverunt et fecerunt, même si la syntaxe française oblige à les traduire au singulier. Je rends ces verbes au présent dans la mesure où ils expriment ici l’aspect d’une action commencée dans le passé qui se poursuit dans le temps de l’Eglise. C’est tout l’intérêt de cette phrase, et plus généralement de ce texte, de mettre en évidence la continuité de l’action du Christ, des évangélistes et de l’enseignement des auteurs ecclésiastiques. Sous peine de contresens, un théologien de l’école thomiste ne pouvait envisager que l’irrigation de l’Eglise par l’enseignement du Christ soit un acte passé.
[6] On remarquera qu’il n’est pas ici question de Pères, mais bien de tous ceux qui enseignent dans l’Eglise.
[7] Allusion à la distinction fondamentale de l’exégèse patristique et médiévale entre sens littéral et sens spirituel. Mysticus renvoie dans le vocabulaire technique de l’exégèse médiévale à ce qui recèle un sens caché, et plus particulièrement, dans l’exégèse dominicaine de la postérité d’Hugues de Saint-Cher, à la signification des textes bibliques relative au mystère de l’Eglise et de ses membres, corps « mystique », c’est-à-dire non physique. Le choix du verbe aperire n’est pas anodin : la fonction des théologiens les situe à la fois dans le prolongement de la mission évangélisatrice du Christi qui « ouvre les Ecritures » aux disciples (Lc. 24, 32 : aperire Scripturas), et en anticipation de l’ouverture eschatologique du livre aux sept sceaux par l’Agneau de l’Apocalypse (Apc. 5, 2-9 : « ... aperire librum... »).
[8] Ce paragraphe résume le discours de la méthode de l’épître dédicatoire de la CMT en précisant son utilité pour les utilisateurs, cf. CMTprol.8-9.
[9] Iob. 28, 11. Job est la figure biblique de l’homme qui se désole de ne pas comprendre le sens des desseins de la Providence: elle semble le punir sans raison et sans proportion. La contemplation de la complexité de l’univers, et spécialement des abysses marins (Iob. 8, 14 ; 28, 14 ; 38, 16 et passim) lui fait trouver la confiance. Le Dieu qui soutient la machine du monde avec une maîtrise qui dépasse toute science ne peut moins bien réussir quand il préside à la destinée de l’homme, même si les raisons supérieures des événements échappent à notre compréhension. Job se tait après avoir confessé avoir « vu » Dieu en comprenant qu’Il était celui qui agissait en connaissance de cause, mais à une autre échelle que celle des capacités cognitives de l’intelligence humaine: « insipienter locutus sum et que ultra modum excederent scientiam meam [...] nunc autem oculus meus videt te » (Iob. 42, 5).
[10] « Minus in eius exercitatis intellectibus » : cf. Ricardus de Sancto Victore, De duodecim patriarchis siue Beniamin minor, 23, SChr. 419, p. 150.5-7 : « Est enim prae ceteris rudibus quidem adhuc mentibus minus que exercitatis, et ad intelligendum facilior, et ad audiendum iocundior ».
[11] Allusion probable à la littérature des Correctoria corruptorii, aux condamnations diverses et au contexte des controverses qui ont agité les débuts du thomisme ; voir ici note 10 et Torrell 1993, chapitre 15.
[12] L’auteur file la métaphore végétale ; flosculus a le sens de sentence chez Sénèque, Ep. 33, 1 (Gaffiot) que nous retenons tout en cherchant à restituer l’image d’origine dans un syntagme français: « semis de fleurs » = sparsim flosculi continentur.
[13] Les péricopes ou sous-divisions des chapitres évangéliques adoptées par la Catena.
[14] Un même passage d’un auteur peut être scindé en plusieurs sentences entrelardées d’extraits d’autres auteurs.
[15] complectius] sic pro completius
[16] L’auteur joue peut-être sur l’assonance de athoma (atome, littéralement: particule insécable) avec a Thoma qui signifie « à partir de Thomas »). On doit donc comprendre simultanément qu’il extrait « les atomes adéquats » et qu’il extrait « de Thomas ce qui est adéquat ».
[17] L’auteur utilise le terme dictum, mais le contexte permet d’en ramener le sens au terme technique actuel de « lemme » qui qualifie exactement l’opération du rédacteur de la table.
[18] partie du chapitre: les péricopes ou divisions de notre édition, ou les pseudo-leçons des éditions modernes.
[19] sous-partie (portiuncula): les sentences de la Catena.
[20] positionem ] coniec., post pr. m., sec. marg.: …onem [à vérifier sur original, illisible sur photo à cause du pli].
[21] Ces indices alphabétiques propres à la table permettent les renvois internes.
[22] Comprendre: si l’oubli d’une lettre de renvoi empêche de retrouver la sentence à laquelle renvoie un lemme.
[23] La distinction realiter, vocaliter ne se trouve pas chez Thomas d’Aquin, mais elle est attestée déjà chez Pierre le Chantre, Albert le Grand, Bonaventure, Ockam, Dun Scot, Olivi, etc.
[24] reminiscentia] corr., reiminiscentia T47
[25] remissis] coniec., remissi’s T47
[26] mots : dictio
[27] des lemmes qui la composent: suis dictionibus
[28] Il y aurait matière à étudier le goût de Thomas pour l’hydrographie qui l’aurai conduit jusqu’à commencer un traité sur l’art des aqueducs, comme le signale la lettre de condoléance adressée par la faculté des arts de Paris au chapitre général de Lyon (2 mai 1274) : « ... quedam scripta ad philosophia spectantia, Parisius inchoata ab eo, in suo recessu reliquerit imperfecta [...] ... nobis benivolentia vestra cito communicari procuret et specialiter [...] De aquarum conductibus et ingeniis erigendis, de quibus nobis mittendis speciali promissione fecerat mentionem » (ed. M. H. Laurent, Fontes vitae S. Thomae Aquinatis notis historicis et criticis illustrati, 6: Documenta, Revue Thomiste, Saint Maximin, 1937 § 31, p. 585).
[29] Cf. A. Minnis, Medieval Theory of Autorship. Scholastic literary attitudes in the later Middle Age, [London, Scolar Press, 1984], 2e éd., Aldershot, 1988.
[30] Cf. édition dans Castaño 1790, p. 128-129 ; cf. t. 7 : Toledo, Castilla-La Mancha, ms. 220, f. 11r, prov. OFM (San Juan de los Reyes de Toledo).
[31] Voir Dominique Grima, Principium biblicum, § 2.3.1 et CMTprol.33 in: M. Morard, « Domique Grima ou l’Ecriture sainte en ses traditions: d’une bibliothèque à l’autre » (inédit).
[32] L’édition Piana (Ed1570) divise les feuillets – et non les péricopes - par les 10 premières lettres de la Catena (A-K) dans l’entrecolonne, mais ne propose pas de tables propres à la Catena.
[33] Je remercie Cédric Giraud pour l’amitié de sa relecture attentive et de ses corrections (23.5.2022).
[34] Cf. Gn. 2, 6: « Sed fons ascendebat e terra, irrigans universam superficiem terrae ».
[35] Cf. Gn. 2, 10: « Et fluvius egrediebatur de loco voluptatis ad irrigandum paradisum, qui inde dividitur in quatuor capita. »
[36] Cf. Sir. 24, 40-42: « Ego sapientiam effudi flumina ; ego quasi trames aquae immensae de fluvio, ego quasi fluvii Dioryx [Dorix ], et sicut aquaeductus exivi de paradiso. Dixi: Rigabo hortum meum plantationum, et inebriabo partus [sic cum Ω] mei fructum ». – La Vulgate – ici traduction vieille latine antérieure à Jérôme – a fait un nom propre du nom commun διῶρυξ qui signifie un canal aquifère (aquaeductus) et, par anthonomase, l’ensemble des eaux qui sortent du paradis. (cf. Septante Sir. 24, 30: « Κἀγὼ ὡς διῶρυξ ἀπὸ ποταμοῦ »). Il est donc normal qu’on ne trouve pas ce fleuve mentionné dans Gn. 2. L’exégèse latine a cherché à faire concorder la Genèse et Siracide en déduisant que Dorix est le fleuve source d’où dérivent les quatre fleuves nommés par Gn. 2, 11.
[37] Cf. Sir. 15, 3: « Cibabit illum pane vitae et intellectus, et aqua sapientiae salutaris potabit illum: et firmabitur in illo, et non flectetur. »
[38] On voudrait comprendre que c’est par l’eau de la doctrine, que les acta et passa du Christ ont irrigué le jardin de l’Eglise, mais scilicet place aqua... et dicta... en apposition au nominatif et oblige à les considérer ensemble comme le sujet des deux verbes irrigaverunt et fecerunt, même si la syntaxe française oblige à les traduire au singulier. Je rends ces verbes au présent dans la mesure où ils expriment ici l’aspect d’une action commencée dans le passé qui se poursuit dans le temps de l’Eglise. C’est tout l’intérêt de cette phrase, et plus généralement de ce texte, de mettre en évidence la continuité de l’action du Christ, des évangélistes et de l’enseignement des auteurs ecclésiastiques. Sous peine de contresens, un théologien de l’école thomiste ne pouvait envisager que l’irrigation de l’Eglise par l’enseignement du Christ soit un acte passé.
[39] On remarquera qu’il n’est pas ici question de Pères, mais bien de tous ceux qui enseignent dans l’Eglise.
[40] Allusion à la distinction fondamentale de l’exégèse patristique et médiévale entre sens littéral et sens spirituel. Mysticus renvoie dans le vocabulaire technique de l’exégèse médiévale à ce qui recèle un sens caché, et plus particulièrement, dans l’exégèse dominicaine de la postérité d’Hugues de Saint-Cher, à la signification des textes bibliques relative au mystère de l’Eglise et de ses membres, corps « mystique », c’est-à-dire non physique. Le choix du verbe aperire n’est pas anodin : la fonction des théologiens les situe à la fois dans le prolongement de la mission évangélisatrice du Christi qui « ouvre les Ecritures » aux disciples (Lc. 24, 32 : aperire Scripturas), et en anticipation de l’ouverture eschatologique du livre aux sept sceaux par l’Agneau de l’Apocalypse (Apc. 5, 2-9 : « ... aperire librum... »).
[41] Ce paragraphe résume le discours de la méthode de l’épître dédicatoire de la CMT en précisant son utilité pour les utilisateurs, cf. CMTprol.8-9.
[42] Iob. 28, 11. Job est la figure biblique de l’homme qui se désole de ne pas comprendre le sens des desseins de la Providence: elle semble le punir sans raison et sans proportion. La contemplation de la complexité de l’univers, et spécialement des abysses marins (Iob. 8, 14 ; 28, 14 ; 38, 16 et passim) lui fait trouver la confiance. Le Dieu qui soutient la machine du monde avec une maîtrise qui dépasse toute science ne peut moins bien réussir quand il préside à la destinée de l’homme, même si les raisons supérieures des événements échappent à notre compréhension. Job se tait après avoir confessé avoir « vu » Dieu en comprenant qu’Il était celui qui agissait en connaissance de cause, mais à une autre échelle que celle des capacités cognitives de l’intelligence humaine: « insipienter locutus sum et que ultra modum excederent scientiam meam [...] nunc autem oculus meus videt te » (Iob. 42, 5).
[43] « Minus in eius exercitatis intellectibus » : cf. Ricardus de Sancto Victore, De duodecim patriarchis siue Beniamin minor, 23, SChr. 419, p. 150.5-7 : « Est enim prae ceteris rudibus quidem adhuc mentibus minus que exercitatis, et ad intelligendum facilior, et ad audiendum iocundior ».
[44] Allusion probable à la littérature des Correctoria corruptorii, aux condamnations diverses et au contexte des controverses qui ont agité les débuts du thomisme ; voir ici note 10 et Torrell 1993, chapitre 15.
[45] L’auteur file la métaphore végétale ; flosculus a le sens de sentence chez Sénèque, Ep. 33, 1 (Gaffiot) que nous retenons tout en cherchant à restituer l’image d’origine dans un syntagme français: « semis de fleurs » = sparsim flosculi continentur.
[46] Les péricopes ou sous-divisions des chapitres évangéliques adoptées par la Catena.
[47] Un même passage d’un auteur peut être scindé en plusieurs sentences entrelardées d’extraits d’autres auteurs.
[48] complectius] sic pro completius
[49] L’auteur joue peut-être sur l’assonance de athoma (atome, littéralement: particule insécable) avec a Thoma qui signifie « à partir de Thomas »). On doit donc comprendre simultanément qu’il extrait « les atomes adéquats » et qu’il extrait « de Thomas ce qui est adéquat ».
[50] L’auteur utilise le terme dictum, mais le contexte permet d’en ramener le sens au terme technique actuel de « lemme » qui qualifie exactement l’opération du rédacteur de la table.
[51] partie du chapitre: les péricopes ou divisions de notre édition, ou les pseudo-leçons des éditions modernes.
[52] sous-partie (portiuncula): les sentences de la Catena.
[53] positionem ] coniec., post pr. m., sec. marg.: …onem [à vérifier sur original, illisible sur photo à cause du pli].
[54] Ces indices alphabétiques propres à la table permettent les renvois internes.
[55] Comprendre: si l’oubli d’une lettre de renvoi empêche de retrouver la sentence à laquelle renvoie un lemme.
[56] La distinction realiter, vocaliter ne se trouve pas chez Thomas d’Aquin, mais elle est attestée déjà chez Pierre le Chantre, Albert le Grand, Bonaventure, Ockam, Dun Scot, Olivi, etc.
[57] reminiscentia] corr., reiminiscentia T47
[58] remissis] coniec., remissi’s T47
[59] mots : dictio
[60] des lemmes qui la composent: suis dictionibus