Depuis que le texte est texte, dès qu’il prend une certaine ampleur, ses éditeurs ont l’habitude de le subdiviser et de hiérarchiser ses subdivisions en trois niveaux intermédiaires. L’oeuvre est ainsi divisée en livres, chapitres et paragraphes ou alinéas. Le Psautier constitue un cas particulier.
Contexte
La division de la Bible en versets ou alinéas remonte à ses versions anciennes : l’hébreu (1 verset = 1 phrase grammaticale), le grec (per cola et comata) et le latin (coma et comata définis par la période oratoire ou le temps de respiration nécessaire à la lecture d’une période)[1].
Le décompte de ces vers ou stiches (στίχος) est une pratique adoptée par les copistes de la Bible, empruntée à la copie des textes classiques. Elle consistait à indiquer à la fin d’un livre le nombre total d’aliénas copiés. Elle permettait de vérifier que l’intégralité du texte avait bien été reproduite. Elle n’impliquait pas l’ajout d’un numéro différent inscrit au début de chaque alinéa.
Surtout à partir du 13e siècle, on observe des systèmes de référence propres à certains manuscrits, plus rarement à certaines oeuvres, destinés à l’établissement d’index ou de tables de référence à granularité plus fine que l’aperture (livre ouvert) ou la page (côté de feuillet). Ainsi Nicolas de Cues avait-il numéroté de façon continue les versets des quatre évangiles de sa bible portative, sans recommencer le décompte à chaque chapitre ou au début de chaque évangile[2].
Le cas des concordances verbales
Le premier système de numérotation appliqué à la Bible de façon systématique a été mis au point par les dominicains de Paris pour l’établissement des concordances verbales de la bible dans les années 1220-1240. La ponctuation et l’usage des majuscules, ainsi que le texte des bibles étaient très instables en raison de leur copie manuelle. Les chapitres de la Bible ne comportaient plus de sous-divisions en versets, sinon exceptionnellement et spécialement pour les parties lyriques de celle-ci (Psaumes, Lamentations, cantiques bibliques et quelques passages assimilés). La numérotation en versets n’était pas envisageable. L’organisation du texte sur la page manuscrite était aléatoire ; elle dépendait de facteurs non maîtrisables qui rendaient vaine toute tentative de système normalisé basé sur le texte copié, comme la subdivision des colonnes en un nombre quelconque de sous-parties. On subdivisa donc les chapitres bibliques virtuellement en sept parties numérotés de ‘a’ à ‘g’. Pour les raisons qu’on vient de dire, à quelques exceptions qui se comptent sur les doigts[3], nul ne songea donc à reproduire ces numérotations alphabétiques dans les entrecolonnes des bibles manuscrites.
Les humanistes
La numérotation des versets bibliques, et plus encore l’adoption d’un système uniforme, est inconnu jusque tard dans le courant du 16e siècle. La chose est d’autant plus surprenante que, dans le cas du Psautier, la pratique liturgique de la psalmodie alternée avant imposé et poli, comme les galets d’une rivière, une division du texte de chaque psaume en versets beaucoup plus stable que pour tout le reste de la Bible. Pourtant, même dans les concordances de Saint-Jacques, même dans leurs versions les plus tardives, les références aux Psaumes sont les seules à ne pas s’accompagner de référence alphabétique[4].
L’attribution à Robert I Estienne (+1559) de la division de la Bible en versets et de leur numérotation telle qu’elle figure soit dans nos éditions actuelles en langues vernaculaires, soit dans les éditions savantes de la Vulgate, appartient à ces approximations historiques qui s’imposent par tradition sans qu’il soit toujours possible de les vérifier. Les éléments de la preuve sont difficiles à rassembler. Car il ne suffit pas d’examiner les éditions de la Bible ; il faut encore tenir compte de l’ensemble des travaux effectués par les humanistes de la fin du xve et du xvie siècles : concordances, Thesauri, traductions. Tant que toutes les éditions de la Bible parues au xvie siècle n’auront pas été examinées sous cet angle, il serait téméraire de parler de façon catégorique. Cette prudence s’applique également aux lignes qui suivent, bien que des circonstances heureuses nous aient permis d’avoir entre les mains plus d’une quarantaine d’éditions de la Bible et de travaux exégétiques, parus au cours de cette période. Cette note rend compte de leur examen direct[5].
L’apparition la division en versets numérotés daterait donc de la Bible éditée par Robert I Estienne en 1555, selon la Bibliotheca sacra de Jacques Le Long[6]. Il s’appuyait pour ce faire sur la préface des Concordantiæ graecolatinæ de 1594 où Henri II Estienne (+1598) rapporte comment son père entreprit ce travail, pour le Nouveau Testament, entre deux relais de poste sur la route de Lyon[7]. Selon Le Long, des concordances de toute la Bible utilisant la même division parurent simultanément en 1551[8].
La réalité est plus complexe et nous renvoie d’abord au Psautier. En 1509, Lefèvre d’Etaples, édité chez Henri I Estienne, numérote son Quintuplex Psalterium selon la division liturgique[9]. Aussi originale qu’elle puisse nous paraître aujourd’hui, cette application d’un numéro à chaque verset du Psautier n’en était pas pour autant absolument nouvelle à l’époque. En 1496 et 1498, deux des premières éditions de la Postille sur les Psaumes de Hugues de Saint-Cher, numérotent dans la marge chaque verset, reproduit dans le texte sous forme de lemme intercalaire[10]. Cette même numérotation est attestée dès la fin du xiiie siècle dans le manuscrit latin 15570 de la Bibliothèque nationale de France, copié vers 1270, qui contient le commentaire des Psaumes du Pseudo-Albert le Grand. Chaque verset y est numéroté en rouge, selon la division liturgique, par une main contemporaine du manuscrit, conformément aux indications en attente à la mine de plomb, encore visibles aujourd’hui[11]. Bien que ce soit le seul exemple observé parmi les manuscrits consultés pour cette étude, le procédé découle d’une pratique beaucoup plus ancienne, attestée par de nombreux manuscrits de la Bible latine, qui consistait à préciser in globo, dans l’explicit rubriqué de chaque livre biblique, le nombre de versets qu’il contenait[12].
En outre, le fait d’attribuer un numéro d’ordre aux versets des Psaumes, pour mieux y référer, se rencontre dès la fin du xiiie siècle. Si les correctoires bibliques usent principalement de la division alphabétique des chapitres de A à G pour situer les lemmes corrigés, tout comme les concordances et le Prototype de la liturgie dominicaine[13], il leur arrive accidentellement de recourir, pour désigner les versets des Psaumes, à un système numérique d’appoint[14]. De même, la table des matières qui fait suite au commentaire des Psaumes de Guillaume Lon, rédigée à la fin de la première moitié du xive siècle, renvoie non seulement aux numéros des Psaumes, mais encore à ceux des versets concernés[15]. A la même époque, le commentaire des Psaumes de Jean de Aversa le jeune, dans la version du manuscrit de Milan, fait référence aux versets des Psaumes en renvoyant à leur numéro d’ordre[16]. Cette pratique est encore attestée par le manuscrit latin 14403 de la Bibliothèque nationale de France. Ce psautier glosé datant de la fin du xiie siècle, appartenait jadis à l’abbaye de Saint-Victor de Paris où une main de la fin du xve siècle a ajouté en marge non seulement le numéro d’ordre de chaque Psaume mais encore le nombre de versets ‘liturgiques’ contenu dans chacun d’entre eux (titres bibliques non compris).
La démarche de Lefèvre d’Etaples semble donc avoir été préparée par la pratique des siècles et des décennies précédentes ; même du point de vue typographique elle ne constitue pas une innovation. Néanmoins, l’idée n’était pas encore ancrée dans les esprits ; chez Lefèvre lui-même, le principe de la numérotation des versets ne s’étendit pas aux autres livres de la Bible : en 1534, sa traduction française de la « Sainte Bible » adoptera à nouveau uniformément l’ancienne division alphabétique, Psautier compris[17].
C’est à Lyon en 1527 que l’érudit dominicain Sante Pagnino (1470-1536) choisit d’étendre le principe de la numérotation des versets à tout l’Ancien Testament, dont il donnait une nouvelle traduction latine sur l’hébreu, à l’occasion de l’édition princeps de la Bible imprimée chez Antoine du Ry[18]. Cette traduction avait été mise en chantier dès 1493 semble-t-il, quelques années avant la parution des Postilles de Hugues de Saint-Cher de 1496 et du Psautier de Lefèvre d’Etaple[19]. C’est en tout cas en 1520 que fut commençée l’impression d’un psautier tétraglotte, financée par Léon X (1513-1521) et interrompue au dernier verset du Psaume 28, après quelque 180 pages, en raison de la mort du mécène survenue le 1er décembre 1521[20]. Chaque chapitre y est divisé en autant de versets que les codices hébreux utilisés[21]. Et cette fois, les versets des Psaumes sont comptés selon la division hébraïque, à partir du titre. Le procédé est appliqué dans le Thesaurus linguæ sanctæ publié en 1529 à Lyon par le même Pagnino. Celui-ci explique dans sa préface qu’il a choisi d’indiquer les versets des chapitres tels qu’ils figurent dans les livres hébreux afin de faciliter la tâche de ses lecteurs[22].
Ainsi, dès 1527 / 1529, la division numérique moderne est déjà en place pour toute la Bible, bien qu’elle ne s’applique pas encore au Psautier de la Vulgate, ni même à celui du Iuxta Hebreos hiéronimien, mais aux traductions effectuées sur l’hébreu[23]. L’originalité de Pagnino n’est donc pas d’avoir numéroté les versets de la Bible, principe déjà appliqué au Psautier, ni même d’avoir appliqué cette méthode à toute la Bible – il n’a pas édité le Nouveau Testament – mais d’étendre la numérotation des versets à tout l’Ancien Testament.
Désormais, chez les érudits, la numérotation des versets ne va pas tarder à se généraliser et à s’affiner. En 1528, la bible de Robert I Estienne, à Paris, conservait encore la division alphabétique médiévale, à l’exception toutefois du Psautier gallican dont chaque verset était numéroté selon la division liturgique[24]. Mais en 1545, dans le psautier quadruple édité par l’éditeur Knobloch à Strasbourg, les versets des différentes versions sont disposés en synopses et numérotés avec un soin méticuleux. L’éditeur dans sa préface explique vouloir suivre la versification de l’hébreu et mettre en évidence les différences avec celle du Psautier gallican. Mais curieusement les titres sont omis et le comput part du premier verset, ce qui réduit l’écart numérique entre les deux versions[25]. Ce modèle, à ma connaissance, n’a pas fait école, mais il témoigne de la diversité des tentatives qui aboutiront à la situation actuelle et du rôle expérimental joué à cet égard par le psautier auprès des éditeurs du xvie siècle.
Cependant, en 1551, Robert Estienne publie deux éditions bilingues du Nouveau Testament : dans la première les versets du texte grec sont numérotés tandis que leur traduction latine vulgate, disposée sur une colonne parallèle, est accompagnée de la seule division alphabétique[26] ; dans la seconde, la traduction d’Erasme et celle de la Vulgate flanquent de part et d’autre le texte grec. Il est clair que la numérotation des versets n’y est appliquée qu’au texte grec et à la traduction d’Erasme[27]. La Vulgate n’est qu’indirectement concernée[28]. C’est à cette édition que Henri Estienne faisait allusion dans le texte cité plus haut. Ce serait la première fois qu’est apparue la division numérique du Nouveau Testament dans l’état que nous lui connaissons encore aujourd’hui[29]. Mais elle semble avoir été établie sur des bases moins objectives que chez Pagnino prédédemment[30]. La même année 1551, Jean Crespin édite à Genève une traduction française de la Bible où ne figure encore que la division alphabétique, y compris pour le Psautier[31].
En 1552 paraît la première édition du Nouveau Testament français avec numérotation des versets ; Robert Estienne y donne en regard le texte de la Vulgate en petits caractères, la numérotation des versets dans l’entre colonne, et une traduction française en gros caractères[32]. En 1553, la traduction française de toute la Bible publiée à Genève sous la marque de Robert II Estienne adopte la division numérique, avec quelques différences par rapport à Pagnino, mais le psautier est identique, numéroté selon l’hébreu[33]. Ce serait la première bible complète avec indication de versets numérotés.
L’édition de 1555, publiée à Genève chez Conrad Badius par Robert I Estienne, n’est donc que la première bible latine complète à offrir cette numérotation, déjà appliquée aux versions en langues originales, grecque ou hébraïque et aux traductions en langues vernaculaires[34]. Cette édition est en fait l’instrument complémentaire des Concordances publiées la même année[35]. Dans la préface qu’il leur consacre, il affirme clairement, en des termes qui semblent empruntés à Pagnino[36], que ces versets sont découpés d’après le patron de la division des manuscrits hébreux ; si les Concordances en appliquent la numérotation aux mots de la « vielle version de la Bible » , c’est-à-dire de la Vulgate éditée en complément, c’est pour assurer la précision des références[37]. Estienne n’a donc fait qu’appliquer, en professionnel de l’imprimerie, les principes mis au point par Pagnino en professionnel de la philologie biblique.
Dans l’édition de1555, le Psautier bénéficiait encore d’un traitement à part. Les deux traductions gallicane et Iuxta Hebreos y sont éditées en synopse. La numérotation n’y concerne directement que le Psautier Iuxta Hebreos, incluant les titres des Psaumes[38]. Le Psautier gallican, édité sur une colonne parallèle et en caractères plus petits, conserve pour sa part la division alphabétique. Ainsi, plusieurs versets du Psautier gallican y correspondent fréquemment au même verset numéroté du Psautier Iuxta Hebreos, comme on le constatera encore dans l’édition de 1557, la dernière des huit éditions de la Bible latine publiées par Robert I Estienne :
Ps. 109 (Ga) |
Ps. 110 (He) |
|
A |
Psalmus David Dixit Dominus Domino meo : sede a dextris meis. Donec ponam inimicos tuos : scabellum pedum tuorum Virgam virtutis tuæ emittet Dominus ex Sion : dominare in medio inimicorum tuorum. […] |
1. Psalmus David Dixit Dominus Domino meo sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum. 2. Virgam fortitudinis tuæ emittet Dominus ex Sion dominare in medio inimicorum tuorum. […] |
La Bible de Jean Frellon, publiée à Lyon en 1555 et 1556, affirme suivre l’innovation de Pagnino en matière de versets. Elle adopte en fait les divisions de Pagnino corrigées par Robert Estienne[39].
Malgré tout, le système numérique ne s’est pas imposé d’emblée. En 1565, Robert II Estienne publie une bible en format portatif ; on y trouve un psautier duplex où la version ‘gallicane’ est doublée de la traduction de Pagnino sur l’hébreu corrigée à partir des notes de Vatable. Ni le psautier ni les autres livres ne comportent de division numérique, sans doute pour éviter la confusion avec les très nombreux appels de note numériques qui en constellent le texte[40]. En 1569, le même éditeur publie un Nouveau Testament grec, toujours sans aucune numérotation des versets. Les Estienne n’ont donc pas abouti à systématiser la division moderne, ni à en imposer l’application ; eux-même ne l’ont pas uniformément appliquée. Le fait paraît certain en ce qui concerne le Psautier gallican, seul version faisant autorité dans les éditions de la Vulgate à laquelle le concile de Trente venait de conférer une autorité canonique intangible[41].
Au vu des éditions que nous avons eues entre les mains, la numérotation actuelle du Psautier de la Vulgate est donc le résultat de l’application d’une numérotation conçue initialement en fonction du Psautier Iuxta Hebreos, fixée dès 1527, d’abord par les savants, spécialement le dominicain Pagnino, puis par les traducteurs de la Bible en langue vernaculaire, en dernier lieu seulement par les éditeurs du Psautier gallican figurant dans les bibles vulgates latines. Il était normal que l’innovation de Pagnino reprise par Estienne, consistant à utiliser les versets numérotés des manuscrits hébreux comme repères lexicographiques pour ses Concordances, aboutisse tôt ou tard au compromis actuel qui applique directement la numérotation hébraïque au texte du Psautier gallican. On la voit mise en œuvre (pour la première fois ?) par Arias Montano dans la Bible polyglotte en sept volumes qu’il édite à Anvers chez Plantin entre 1567 et 1572[42]. Au tome 3, les 6 versions du texte des Psaumes y sont toutes numérotées verset par verset selon la division du texte hébreu, mais le Psautier gallican traditionnel y est corrigé d’après le grec tandis que la stichométrie classique du Psautier vulgate est fortement modifiée par endroits. La même année 1567, Plantin fait paraître une bible en format de poche où ne figure, cette fois-ci, que le Psautier gallican, mais avec la numérotation selon l’hébreu doublée par la division alphabétique qui était absente de sa Polyglotte[43]. Une autre édition parue en 1572 à Anvers chez Jean Steels (veuve et fils) adoptera la même présentation[44], mais ce n’est probablement pas la première à suivre Plantin sur ce point.
En résumé, la division actuelle du Psautier en versets s’est opérée en sept étapes au moins : 1° le Psautier a été le premier livre de la Bible à bénéficier d’une division numérotée des versets, d’abord selon la stichométrie du Psautier liturgique, et ce dès le xiiie siècle ; 2° en 1527, Pagnino eut le premier l’idée de diviser tout l’Ancien Testament en versets numérotés, selon la stichométire des manuscrits hébreux ; 3° en 1551, Robert Estienne étend le principe au texte grec du Nouveau Testament, puis, en 1555, à toute la Bible, en opérant quelques remaniements ; seul la version Iuxta Hebreos du Psautier bénéficie alors formellement de versets numérotés ; 4° en 1567 au plus tard, Montano utilise le texte hébreu comme étalon pour numéroter simultanément six traductions latines de la Bible ; il établit alors une correspondance numérique entre les versets du Psautier gallican amendé et les versets du texte hébreu ; 5° finalement, la même année, Plantin applique cette numérotation au Psautier de la Vulgate.
Dans le cas du Psautier, cette numérotation de compromis ne saurait être vraiment imputée à l’humanisme des Estienne qui avaient parfaitement conscience de l’indépendance des deux versions traditionnelles du Psautier latin et l’avaient toujours mise en valeur dans la mise en page de leurs éditions.
Le processus qui avait commencé par les Psaumes ne s’achève pas avec eux. Le découpage en versets du reste de la Vulgate est un phénomène encore plus complexe qui fit l’objet de plusieurs tentatives avant de se fixer à la fin du xvie siècle. Alors que la traduction française de la Bible par les Jésuites de Louvain, parue deux ans auparavant, avait adopté la division numérique d’Estienne dans son intégralité[45], l’édition de la version grecque de la Septante par Sixte V, parue à Rome en 1587 chez Zanetti, divise encore la Bible par lettres de l’alphabet[46]. La Vulgate de Sixte V, parue à Rome en 1590, adopte les versets numérotés mais selon une répartition qui diffère encore considérablement de celle d’Estienne[47]. Il faudra attendre 1592 pour que la Vulgate Sixto-Clémentine assimile les divisions de Robert Estienne[48]. Nous ne saurions dire que le progrès est alors définitivement acquis. En 1599, l’édition corrigée de la Bible polyglotte de François Vatable numérote les versets du texte grec et hébreu ; les deux traductions latines proposées ne le sont encore que par parallélisme[49].
L’histoire de la numérotation des versets du Psautier n’est en fait qu’un moment de la conscience linguistique de l’Occident chrétien. Au moment où la Réforme protestante et l’imprimerie multipliaient les traductions du texte sacré, la commodité d’un système de référence universel et le primat de l’hébreu eurent finalement raison, sur ce point, de ceux qui entendaient respecter l’alliance du rythme et de la langue propre à la version gallicane. Elle caractérisera, pour quatre siècles encore, la psalmodie alternée des liturgies latines. Mais on oubliera vite que le verset des Psaumes, bientôt assimilé au chiffre qui le désigne, est avant toute chose, dans le respect du génie de chaque langue, la mesure d’un sens par la mesure d’un rythme.
« … et non impedias musicam » (Eccli. 32, 5).
[1] Cette note reprend et développe la «Note additionnelle sur la division du Psautier latin en versets » rédigée dans le cadre de ma thèse d’école des Chartes ; cf. M. Morard, Le Commentaire des Psaumes de saint Thomas d'Aquin: édition critique partielle et introduction historique, thèse pour l’obtention du titre d’archiviste paléographe, diss. dactyl., 5 vol., Paris, École nationale des chartes, 2002, p. 280-286.
[2] Cf. J. Marx, Verzeichnis der Handschriften Sammlung des Hospital zu Cues bei Bernkastel a./Mosel, Trier, Sebstverlag des Hospital, 1905, p. 3, ms. 3 (non recensé par Ch. Ruzzier 2022).
[3] Voir Ruzzier 2022, p. ##.
[4] Par exemple, Bologna, Collegio di Spagna, cod. 3, s14/15, f. 103v « flagellum » = Saint-Omer, BM, ms. 28, s. 14 ½, f. 111rc.
[5] Pour remettre ce chapitre dans le contexte de l’exégèse du xvie siècle, cf. G.-Th. Bedouelle, « L’humanisme et la Bible », p. 53-121 ; voir aussi F. Delforge, La Bible en France, p. 46-83 et 323 note 54.
[6] J. Le Long, Bibliotheca sacra, t. 1, p. 557-558 ; cf. A. A. Renouard, Annales de l’imprimerie des Estienne, p. 86.
[7] Je cite la seconde édition : Concordantiæ graecolatinæ Testamenti Novi, Oliva Pauli Stephani, 1600, f. [§§iii]v : « …Lutetia Lugdunum petens, hanc, qua de agitur, Capitis cuiusque catacopen confecit, et quidem magnam eius, inter equitandum, partem » ; A. A. Renouard, Annales de l’imprimerie des Estienne, p. 153.
[8] Samuel Berger affirme, quant à lui, que l’édition du Nouveau Testament « par Estienne en 1551 est la première dans laquelle aient été distingués les versets » ; cf. S. Berger, La Bible au seizième siècle, p. 130.
[9] Iacobi Fabri Stapulensis, Quincuplex Psalterium, apud Henricum Stephanum, Parisiis, 1509 ; cf. aussi l’éd. de 1513 (Paris, Bibl. Ste-Gen., A 592 Rés.) ; sur ce psautier et ses éditions, cf. G.-Th. Bedouelle, Le Quincuplex Psalterium…, en particulier p. 54-59.
[10] Les titres bibliques ne sont pas comptés ni reproduits avec le texte sacré ; Postilla super Psalterium, Venetiis, apud Ioh. et Greg. de Gregoriis, 1496 (Hain 8972) et Id., Nurenberge, per A. Koberger, ultimo januarii 1498 (Hain-Copinger * 8973). Ces deux éditions reproduisent un texte commun qui présente quelques variantes notables avec celui des éditions postérieures.
[11] Voir par ex. f. 135ra. – Cette numérotation est à l’origine de celle qui figure dans l’édition moderne de ce commentaire pour laquelle la division liturgique primitive a été adaptée à la division moderne en vigueur depuis le xvie s. (Albertus Magnus, Opera omnia, éd. Borgnet, t. 15 à 17). — Brugge, Stadsbibl. 41 (Hugues de Saint-Cher In Ps.) divise par une grande lettre majuscule (de A à E) située dans la marge de gouttière le commentaire de chaque psaume, mais non le psaume lui-même.
[12] Voir par exemple la Bible de saint Étienne Harding (Dijon, Bibl. mun., 9, vers 1109) ou encore la Bible de chœur de la chartreuse de la Part-Dieu, d’origine parisienne et beaucoup plus tardive (Fribourg-CH, Bibl. cant. et univ., ms. 75/I, fin xiie siècle).
[13] Rome, AGOP XIV.L. 1; cf. G. Dahan, « Les textes bibliques dans le lectionnaire du Prototype », p. 10.
[14] Cf. Documents annexes : Correctoire des Psaumes I (Guillaume de la Mare, Ps. 21, v. 32 : « …In antiquis nullum obelum inuenio. Quidam tamen apponunt, ut uidetur presumptum de vii uersu xlix psalmi ». La division alphabétique consiste à diviser chaque chapitre, quelle qu’en soit la longueur, en fonction d’un nombre toujours égal de lettres de l’alphabet allant de A à G.
[15] Cf. Quétif-Echard, SOP, I, p. 616b « Huic codici subiicitur alius eiusdem formae itidem membraneus hoc titulo : ‘Tabula copiosissima ordine alphabetico super expositionem duorum nocturnorum psalterii, quae tabula signata est duobus numeris, quorum primus significat quoto psalmo, secundus vero quoto versu psalmi illud quod queritur pertractatur. Ad calcem codicis : ‘Explicit tabula ordinata per F. Gerardum Berelli uicarium Pissiaci super expositionem duorum nocturnorum psalterii’ ; Intellige vicarium monasterii illius regii ».
[16] Cf. Documents annexes : Jean de Aversa le jeune, Ps. 1, 1, ms. M, f. 4rb.
[17] Anvers, chez Martin L’Empereur, 1534 ; cf. Paris, Bibl. Ste-Gen. A 171 Rés.
[18] In utriusque Instrumenti noua translatio, Lugduni, 1528. — Sur Pagnino, cf. T. M. Centi, , « L’attività letteraria di Santi Pagnini », 1945 et G.-Th. Bedouelle, « L’humanisme et la Bible », p. 77-78 qui a bien perçu l’originalité de cet auteur en la matière mais la présente peut-être de façon trop absolue en soutenant que c’est « à proprement parler la première fois dans l’histoire de la Bible latine » que le texte est divisé en versets numérotés.
[19] Cf. T. M. Centi, « L’attività letteraria di Santi Pagnini », 1945, p. 7-9.
[20] Psalterium nuper translatum ex Hebræo, Chaldæo et Greco per R. P. Fratrem Sanctum Pagninum Lucensem Prædicatorii Ordinis Congregationis Thusciæ cum Commentariis Hebræorum per eumdem translatis, et scholiis eiusdem cum orthodoxa atque Catholica expositione. De ce psautier, seules deux copies sont connues selon Centi, « L’attività letteraria di Santi Pagnini », 1945, p. 13, cf. p. 43. La description qu’il en donne ne permet pas de savoir si les versets du psautier y sont numérotés. — Plus tard, la version complète de la Bible de Pagnino fera l’objet des approbations successives des papes Adrien VI (1522-1523) et Clément VII (1523-1534).
[21] « … Singulis in capitibus quot sint versus in hebræis codicibus recensetur… » (page de titre de la Bible polyglotte qui porte la date de 1528) ; cf. Paris, Bibl. Ste-Gen. 4° A 327 inv. 325 Rés.
[22] Ed. 1529 f. [3* verso] « Citamus capita, citamus versus capitum, quos vocant פַסוּקִים (sic), ut hebraice discere cupientibus, omnem auferamus laborem, ut quam citissime, quod cupiunt perquiruntque, inueniant ».
[23] La division en versets des autres livres de l’Ancien Testament correspond presque à la division actuelle, sauf pour les livres dont la tradition textuelle perturbée a suscité quelques remaniements. Le premier chapitre du premier livre des Maccabées passera ainsi de 15 à 67 versets chez Robert Estienne en 1555. Le Nouveau Testament édité par R. Estienne, dès 1551, passera par ex. de 17 versets chez Pagnino à 51 pour Ioh. 1 ; de 34 à 80 pour Luc. 1 ; de 9 à 32 versets pour Rom. 1.
[24] Sa Summa Totius Sacræ Scripturæ » (Nouveau Testament), publiée à Paris en 1542 (Paris, Bibl. Ste-Gen. A 680 Rés.) conservera encore la division alphabétique.
[25] Liber Psalmorum cum translationibus quatuor et paraphrasibus duabus, e regione sic positis ut uersus uersui pulchre respondeat. Interpres sunt Autor editionis vulgatae, D. Hieronymus, Felix Pratensis, Sebastianus Monsterius, Paraphrastae : Autor Chaldaeus, Ioannes Campensis, Argentorati, ex officina Knoblochiana, per Georgium Machaeropoeum, 1545, f. [* 3] (Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels, Divers 596) : « Versus singulos debitis numeris ab initio consignavimus ; secuti tamen in hoc sumus Ebraicam veritatem, ut quam (praeter Vulgatam pauculis in locis discrepantem) omnes reliqui habebant interpretes… ».
[26] Paris, Bibl. Ste-Gen., Réserve Δ 65026.
[27] Cf. op. cit. f. [a.ii] r° : « Novum Testamentum ad vetustissima manuscripta exemplaria excusum… » (Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels 21890).
[28] Le Nouveau Testament latin publié par R. I Estienne à Paris en 1541 vient également à l’appui de cette insertion puisque n’y intervient encore que la division alphabétique des chapitres.
[29] Cf. R. Laufer, « L’espace visuel du livre ancien », p. 497, note 5 et F. Delforge, La Bible en France, p. 82.
[30] Cf. plus haut, note 149.
[31] Cf. Paris, Bibl. Ste-Gen., Réserve 4 A 357.
[32] Le Sainct Evangile de Jesus Christ selon sainct Matthieu, cf. F. Delforge, La Bible en France, p. 81.
[33] La Bible qui est toute la Saincte Escripture contenant le Vieil et Nouveau Testament ou Alliance, cf. Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels 1766.
[34] Cf. J. Le Long, Bibliotheca sacra, t. 1, p. 557-558 et R. Laufer, « L’espace visuel du livre ancien », p. 495.
[35] « En tibi Bibliorum vulgata editio, in qua juxta Hebraicorum versuum rationem singula capita versibus distincta sunt, numeris praefixis, qui versuum numeris quos in concordantiis nostris novis et integris, post literas marginales ABCDEFG addidimus, respondent : ut quaerendi molestia leveris, quum tibi tanquam digito, quod quaeris demonstrabunt ».
[36] Voir plus haut note 163.
[37] Concordantiæ bibliorum utriusque Testamenti, Veteris et Novi, novæ et integræ quas re vera Maiores appellare possis, Robert Estienne, 1555, f. 1v (Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels, xvie 583) : « Porro in operis novitate haec quoque pars aliquid laudis meretur quod praeter literas illas marginales consuetas ABCDEFG in quas prior ille Concordantiarum author singula partitus est, habebis numeros versuum cuiusque capitis post illas litteras adscriptos iuxta rationem Hebraicam, hoc est ut Hebraei versus suos numerant ; quos ideo adiecimus ut promptius atque expeditius quod quaesieris reperias […]. Quo vero praesentiorem commoditatem ex his versuum numeris percipias, Bibliam iuxta veterem interpretem excudimus, in quibus versus illi distincti ac numeris notati atque insigniti sunt »; voir aussi F. Delforge, La Bible en France, p. 323 note 54.
[38] Cf. Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels 1837 [t. 1 : Ancien Testament] et 905 [t. 2 : Nouveau Testament].
[39] Non vidi ; cf. R. Laufer, « L’espace visuel du livre ancien », p. 495. De fait, le titre du Psautier publié en 1556 [1 janvier 1557] (s.l.) par Robert II Estienne indique clairement que les Estienne avaient connaissance et suivaient de près les travaux de Pagnino : Liber Psalmorum Davidis translatio avaient connaissance et suivaient de près les travaux de Pagnino : Liber Psalmorum Davidis. Translatio duplex vetus et nova. Haec posterior Sanctis Pagnini partim ab ipso recognita, partim ex Francisci Vatabli hebraicarum litterarum professor (Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels, 21886). Contrairement à ce qu’affirme F. Delforge, La Bible en France, p. 83, Robert Estienne ne s’est pas contenté de réviser la division des livres deutérocanoniques de Pagnino ; il a également retouché la Bible hébraïque.
[39] Cf. Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels 15219.
[40] Cf. Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels 15219.
[41] Sessio IV, 8 avril 1546, Decretum de vulgata editione Bibliorum, dans Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion symbolorum, § 1506 et 1508.
[42] Biblia sacra hebraice chaldaice græce et latine…, Antverpiæ, excud. Christophorus Plantinus, 1567-1572 ; cf. Paris, Bibl. Ste-Gen. Δ 823 Rés.
[43] Fribourg (CH), Bibl. cantonale et univ., G.B.162.
[44] Biblia sacra ad vetustissima exemplaria castigata in quibus praeter ea, quae subsequens praefatio indicat, capita singula ita versibus distincta sunt ut numeri praefixi lectorem nec remorentur et loca quaesita tanquam digito demonstrent ; cf. Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels, 15226.
[45] La Saincte Bible contenant le Vieil et Nouueau Testament, Traduicte de Latin en François par les Theologiens de l’Université de Louvain…avec une docte table Faicte Françoise de la Latine de M. Jean Harlemius, Lyon, chez Jean Pillehotte, 1585 (Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels 97872) ; voir aussi Biblia Hebraica eorundum latina interpretatio Xantis Pagnini Lucensis recenter Benedicti Ariæ Montani, Antverpiæ, ex officina Christophori Plantini, 1584 ((Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels, xvie 504).
[46] Cf. Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels, 1882.
[47] Biblia Sacra vulgatæ editionis, 3 vol., cf. Paris, Bibl. Ste-Gen. A Œ 72 Rés. : Gen. 1 : 29 versets (contre 31 actuellement ) ; Lev. 5 : 8 (contre 19 ) ; II Esdr. 13 : 25 (contre 31 ) ; I Paral. 28 : 18 (contre 21) ; Esther 14 : 11 (contre 19), etc.
[48] Cf. R. Laufer, « L’espace visuel du livre ancien », p. 495.
[49] Cf. Sacra Biblia Hebraice, graece et latine cum annotationibus Francisci Vatabli […], editio postrema multo quam antehac emendatior […], 2 vol., Ex officina Commeliniana, 1599 (Paris, Inst. Cath., Bibl. de Fels, Réserve, 126).