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Nicolas de Fréauville (salle du chapitre de San Nicolo de Trévise, fresque de 1352)
1. Les titres donnés à une oeuvre sont parfois moins révélateurs de l’intention de l’auteur que de la façon dont elle a été reçue. Les titres des commentaires bibliques, spécialement à la période scolastique et ce dès le 12e siècle, sont à interpréter avec une extrême prudence. Ils ne révèlent le plus souvent que les présupposés de ceux qui les formulent, des bibliothécaires, des habitudes locales, des libraires et professionnels de la conservation du livre; ils diffèrent parfois à l'intérieur du même volume ou sous la plume du même auteur, à la même période et dans les mêmes milieux. Parce que la compréhension de la typologie et du contenu réels des oeuvres évolue avec les milieux récepteurs, la façon dont ils sont désignés peut aussi évoluer.
2. Thomas d’Aquin n’a pas donné de titre à son œuvre. L’épître dédicatoire de la CMT se contente de la définir comme une « explication continue de l’évangile à partir des écrits de plusieurs docteurs »[1]. Seuls certains documents ont hérigé cette formule en un titre comprenant l’expression expositio continua.
3. D’après la doxa historiographique, la plus ancienne attestation du titre de « Catena aurea » apppliqué à l’exposition continua super evangelia daterait de 1321. En réalité, Catena est absent des manuscrits, à l’exception d’un seul, copié à Rome et daté de 1465 (V795). L’expression Catena aurea a d’abord été utilisée comme un surnom ou un sobriquet, ajouté en seconde intention. Il est absent des listes anciennes des écrits de Thomas[2] et des premières éditions (Ed1470 Ed1475A Ed1475B). Il ne s’est répandu comme titre principal de façon certaine qu’à partir de 1475, à l’occasion de l’édition parue à Augsbourg, chez Günther Zainer[3].
4. L’adoption de l’expression Catena aurea comme titre uniforme de l’Expositio continua super evangelia est le résultat tardif d’un processus lent, indissociable d’un renouvellement de la conscience herméneutique à la fin du 15e siècle, en lien avec le développement du concept de chaîne exégétique, alors que les titres médiévaux de la Catena mettent davantage en valeur sa nature de commentaire et de livre glosé.
5. Dans l’état actuel de nos recherches, le titre de Catena aurea apparaît pour la première fois à Rome dans le frontispice armorié d’une Catena en trois volumes (la CMT est perdue ou n’a jamais été exécutée), copiée et somptueusement décorée en 1465 : « Incipit expositio super Marcum et Lucam quam beatus Thomas Aquinas doctor eximius ex diversis sanctis dictis excerpsit et catenam auream appellavit » (f. Iv). « Incipit expositio super Marcum et Lucam quam beatus Thomas Aquinas doctor eximius ex diversis sanctis dictis excerpsit et catenam auream appellavit ». (f. IIv) Le colophon du copiste fait écho au frontispide : « ... scripsi hanc cathenam auream » (f. 384v).
6. Le commanditaire de ce chef-d’oeuvre est l’évêque de Trévise Teodoro de Lelii (1427-1466), précédemment évêque de Fletre, ancien auditeur de la rote romaine, rédacteur d’un des mémoires qui contribua à la réhabilitation de Jeanne d’Arc en 1452, docteur en droit et canoniste, élève des écoles de Padoue[4]. On ne manquera pas d’être étonné par la formule « ... quam (Thomas Aquinas) catenam auream appellavit ». Je reviendrai plus loin sur les raisons de cette attribution.
7. Cinq ans plus tard, le titre est repris discrètement dans l’épître dédicatoire que Giovanni Andrea Bussi ( †4.2.1475) publie en tête de certains exemplaires de l’édition princeps de la Catena qu’il vient de faire imprimer à Rome pour la première fois. Cette dédicace est une éloge funèbre posthume à la gloire de son bienfaiteur le cardinal de Saint–Ange Juan de Carvajal († 6.12.1469) mort jour pour jour un an avant la date de l’impressum de la Catena. On y apprend que c’est à l’instigation de Carvajal que Bussi a mis en chantier cette édition su « Continuum de saint Thomas que les uns appellent Oeuvre d’or, les autres Catena aurea »[i]. Il est manifeste que Bussi reste sur la réserve à l’égard des titres secondaire du Continuum. Le titre « opus aureum » figure par exemple dans le catalogue du 15e siècle de la bibliothèque des franciscains de Sante Croce de Florence. Mais l’édition imprimée proprement dite s’en tient aux expressions anciennes et omet ces deux sobriquets. L’affirmation péremptoire de Teodoro de Leliis « quam Thomas Catenam auream appellavit » n’est pas reprise.
8. Il faut encore attendre cinq ans et la publication des éditions quasi contemporaines d’Augsbourg (Ed1475A parue à la fin 1474) [5] et de Essling dont le texte est d’une autre origine (Ed1475C) pour que l’expression Cathena aurea apparaisse comme titre principal de l’oeuvre publiée, reléguant au second plan les titres anciens : « Liber Kathena Aurea nuncupatus per sacre theologie professorem egregium sanctum Thomam de Aquino Catena aurea, alias continuum sive glosa continua nuncupatus et intitulatus ».
9. Aussitôt, dès janvier 1475, le titre est repris en tête du commentaire sur les évangiles de l’année produit par le chartreux Heinrich de Dissen qui réagence la Catena selon l’ordre du lectionnaire du diocèse de Cologne[6].
10. Encore le titre nouveau n’a-t-il pas été immédiatement adopté par tous. L’édition de Koberger à Nurember (Ed1475b) s’en tient encore aux intitulés classiques de « continuum » et de « glossa continua ».
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