Thomae Aquinatis Postilla in Psalmos : Justifications de quelques choix critiques de l'édition

page créée le 6.11.2024, mise à jour le 9.11.2024

2.4 Justification de certains choix critiques de l’édition.. 1

Super Ps. Prol. I § 2. 2

Super Ps. Prol. I § 9. 2

Super Ps. 2 II § 5 [1] 2

Super Ps. 9 [15] 3

Super Ps. 16 [6] 3

Super Ps. 16 [6] 3

Super Ps. 17 xii  [7] 4

Super Ps. 17 x bis [6] 4

Super Ps. 17 xiii  [8] 5

Super Ps. 17 xxxiii  [17] 5

Super Ps. 18 vi § 2 [3] 6

Super Ps. 18 x § 9  [5] 7

Super Ps. 21 v [4] 7

Super Ps. 21xi [8] 8

Super Ps. 21 xii [9] 9

Super Ps. 21xii [9] 9

Super Ps. 21 xiv [10] 9

Super Ps. 21 xv [10] 10

Super Ps. 21 xvii [13] 10

Super Ps. 21 xxiv [18] 10

Super Ps. 21 xxvi [19] 11

Super Ps. 26 i § 4 [1] 11

Super Ps. 26 v [2] 11

Super Ps. 26 vi [2] 12

Super Ps. 44 I [1] 12

Super Ps. 44 II [2] 12

Super Ps. 44 v [3] 13

Super Ps. 44 x [5] 13

Super Ps. 44 xvi § 3 [9] 14

Super Ps. 44 XVII § 2 [10] 14

Super Ps. 44 xvii § 2 [10] 15

Super Ps. 44 xvii § 3 [10] 15

Super Ps. 47 [6] 16

Super Ps. 52 i [1] 17

Super Ps. 52 iii [2] 17

Super Ps. 54 ii [2] 18

Super Ps. 54 ix [8] 18

Super Ps. 54 xviii [14] 19

 


 

 

 

 

Nous reproduisons ici, avec un apparat allégé, les passages de l’édition ou des textes cités dont l’établissement critique appelle une justification. Les termes spécifiquement concernés par la discussion, signalés dans l’édition par le signe *,  sont en caractères gras.

 

Super Ps. Prol. I § 2

« Materia quidem *[1] est uniuersalis ».

Tous les manuscrits, sauf V2 ont lu quod, mais quand on sait les problèmes que les copistes du scriptorium de saint Thomas ont eu pour lire les quidem de la main A du manuscrit 781, origine de l’archétype du De Veritate[2] on ne s’étonnera pas que nos copistes se soient ici laissé piéger. Si cette erreur avait la même cause que dans le De Veritate, il faudrait y voir un indice de plus en faveur de l’attribution de la reportation à Raynald de Piperno (main A).

 

Super Ps. Prol. I § 9

« Finis[3] huius[4] proportionatur[5] forme[6]. Finis[7] orantis[8], eleuatio mentis in Deum ».

Aucune des abréviations transmises par les manuscrits n’est correcte mais le sens de notre conjecture  est conforme à la pensée de saint Thomas (cf. lieux parallèles cités). E1 et E2 puis E3 ont progressivement remanié le texte obscur transmis par les manuscrits.

 

Super Ps. 2 II § 5 [1]

« Sunt uerba delictorum meorum longe a salute mea id est mei ueteris*[9] hominis inquantum habeo humanam naturam ».

Le Christ peut parler au nom du ‘vieil homme’ dans la mesure où lui-même est homme en raison de sa nature humaine. Bo écrit ueteri hominis. La syntaxe demande le génitif qu’on retrouve chez P. Lombard qui a ici ueteris hominis. Cet accord avec la source principale du commentaire et le sens général du paragraphe paraît devoir imposer la lectio difficilior : ueteri corrigée en ueteris, de préférence à ueri qui est une correction de l’original par la relecture a relayée par F et €

 

Super Ps. 9 [15]

« Ieronimus habet Parturiunt*[10] uie eius ».

La reportation posait certainement à cet endroit un problème de lecture. Le groupe F transcrit par erreur percutiunt là où devait exister l’abréviation pcuriunt que Bo laisse deviner en écrivant pcuciunt, prenant le r  pour un c. L’abréviation par-  pouvant être lue per- ; le c et le t étant identiques, il suffisait de confondre le second r avec un t pour générer la leçon fautive de la tradition. Le sens de l’explication de Thomas plaide cependant en faveur de la leçon du Psalterium juxta Hebreos : parturiunt que nous restituons.

 

Super Ps. 16 [6]

« Alie littere *[11]… »

Les abréviations des manuscrits, V2 excepté, n’interdisent pas une lecture au pluriel qui nous paraît demandée par le fait que deux leçons variantes sont avancées à la suite de cette indication.

 

Super Ps. 16 [6]

« Ysaie[12] 26. : « Tollatur impius ne uideat gloriam Dei »[13] (secundum LXX. Nostra littera dicit « In terra sanctorum » etc. *[14]  « non uidebit gloriam Domini »[15]), ego autem satiabor ».

L’expression illi satiantur porcina qui termine le paragraphe précédent n’est pas une variante secundum lxx de l’alia littera déjà citée, comme le suggère la construction des témoins issus de α, mais le simple corrollaire de replebor omnibus bonis : ‘je serai comblé de bien, tandis qu’eux sont saturés d’immondices’.

La recension α a inséré avant la référence à Is 26 une incise qui signale en fait l’origine grecque de la version ancienne d’Isaïe lue par Thomas dans la postille d’Hugues de St-Cher sur les Psaumes et qui en donne la traduction correspondante dans la Vulgate (« nostra littera… »). Cette remarque n’a de sens qu’après la citation qu’elle commente mais elle a été placée avant par α pour sauvegarder l’enchaînement de la citation d’Isaïe et du lemme commenté (« Ego autem satiabor ») et surtout parce que illi satiantur porcina a été considéré à tort comme une alia littera.

Bo omet cette incise à  cet endroit (f. 20va42) mais certains accidents du texte montrent qu’elle a existé à un stade antérieur de la tradition, sinon dans sa teneur litterale, du moins dans sa substance, et qu’elle était placée à la suite de la citation d’Isaïe. En effet, 1° la formule Videat gloriam Dei est répétée une deuxième fois à la ligne 44, après un intervalle de 4 lettres laissé en blanc (l. 43). Cette dittographie précédée d’une lacune correspond en fait à la fin de la citation d’Is 26, 10 selon la Vulgate, abrégée, dans le groupe F, par un etc. mis pour : « …inique gessit et non uidebit gloriam Domini ». Les initiales sont identiques à celles de la version de la Vetus latina et justifient la confusion opérée par Bo. Le copiste de ce manuscrit reproduit donc bien ici, en tentant de le déchiffrer, ce qu’il voyait sur l’original. S’il s’était agit d’un problème de lecture propre à Bo, un espace plus conforme à la longueur du texte omis aurait été aménagé. La reportation devait donc être défectueuse à cet endroit mais elle témoigne, dans sa maladresse même, de la présence probable dans l’original d’une remarque comportant en son terme la répétition de la citation d’Isaïe dans sa version ‘vulgate’. Par conséquent, la leçon de F et des éditions ne constitue pas un ajout secondaire. Notre édition l’a donc maintenue, mais restituée à la place qu’elle semble avoir occupé dans Bo. L’enchaînement des citations que α avait voulu sauvegarder, est mis en évidence par l’utilisation de parenthèses et des signes diacritiques qui faisaient défaut aux copistes médiévaux.

 

Super Ps. 17 xii  [7]

«  et propterea habet[16]* motum tortuosum »

La leçon « propter ht » de Bo peut expliquer celle que l’édition princeps a introduite dans la tradition imprimée, sans requérir nécessairement un recours direct de celle-ci à Bo. Conjecturant que la leçon Bo vient d’un oubli de tilde ou de « a » suscrit, la leçon Φ a été retenue pour des motifs de cohérence du passage.

 

Super Ps. 17 x bis [6]

« Deus irasci dicitur quia ad modum irati se habet[17]* »

Ce passage est une citation littérale (voir notre apparat des lieux parallèles) dont la teneur a été rétablie, la variante de Bo étant probablement un repentir du reportateur. Cf. Le langage du Super Psalmos : reportation et phénomènes d’audition.

 

Super Ps. 17 xiii  [8]

« Ieremie 32 « Fortissime, magne, potens, Dominus exercituum nomen tibi, magnus conscilio et inreprehensibilis[18] cogitatu ». et dicit specialiter Super cherubin quia non solum ascendit ut esset etiam eis superior, sed quia eis inreprehensibilis[19] est. »

Lectio difficilior que la leçon des deux premières éditions : « incondemnabilis » semble corroborer. L’hypthèse d’une erreur lecture du lemme biblique « incomprehensibilis » se justifie difficilement par la paléographie. Par ailleurs, le sens du passage semble suggérer une double transcendance ontologique et morale, à moins qu’il ne s’agisse d’une improbable synonimie de « incomprehensibilis » et de « inreprehensibilis », entendu comme « ce qui ne peut être saisi ». A noter que les éditeurs de saint Thomas ont toujours retenu jusqu’ici, dans les autres œuvres éditées, la forme classique « irreprehensibilis ». 

 

Super Ps. 17 xxxiii  [17]

« Ibi non*[20] dicit frangam murum’ quia[21] non[22] possumus[23] esse in mundo sine peccato ».

Une faute, qui remonte probablement à l’original, s’est glissée dans ce passage et appelle une intervention de l’éditeur d’autant plus délicate que la tradition est confuse en cet endroit. Ni la leçon des manuscrits ni celle des éditions ne s’accordent avec le sens du passage et la tradition interprétative du verset commenté. La mention de saint Jérôme par les éditions ne correspond à aucune source et résulte d’une confusion paléographique entre Inõ et hi’o. Le Psalterium iuxta Hebreos a transiliam, le Psautier romain transgrediar et le radical hébreu  דַּלַג utilisé ici ne peut pas se traduire par frangere ou un synonyme. D’autre part la proposition affirmative Inde/Unde dicit frangam est un contre-sens qui ne se retrouve pas dans les sources habituelles. Toutes les interprétations indiquent au contraire que le mur ne peut être brisé en cette vie mais qu’il peut être traversé ou contourné.   L’irréel exprimé par le subjonctif imparfait possemus de F ne s’explique que dans ce contexte. Tel est bien l’enseignement de Thomas d’Aquin : le désordre du péché ne peut être anéanti en tant qu’inclination au mal, mais la faute peut être évitée par la mystérieuse alchimie de la grâce et de la liberté[24]. Il faut donc supposer le développement fautif d’une abbréviation comme ipour Ibi non, lue  (unde) par Bo, Inde par F et hieronymus par €. Dans le cas contraire, frangam résulterait de la lecture fautive d’une abbréviation insolite de transgrediar comme trãg’īr, ou quelque chose de semblable. Bo interprète d’ailleurs frangam comme une version du texte commenté puisqu’il souligne. Nous proposons cependant de lire Ibi non dicitur frangam murum.

 

Super Ps. 18 vi § 2 [3]

« Et conuenienter ponitur tabernaculum quia huiusmodi est locus uiatorum non habitantium. Sol autem est*[25] in continuo motu ».

La corruption de ce passage remonte manifestement à la reportation et autorise trois lectures. Nous avons retenu ici la lecture de la tradition indirecte (M)[26]. Bien qu’elle prive le verbe de la phrase précédente de complément d’objet direct,  elle concorde avec la copie de Bo qui a probablement confondu est avec un enim abrégé par un simple e.

La lecture de Φ paraît quant à elle un arrangement commode mais lourd. Enfin, dans Bo, après habitantium, on lit tout d’abord soluūt , écrit sans solution de continuité. Le mot n’a guère de sens ici et s’explique mieux par une mauvaise lecture de sol aut<em>. La séquence des jambages de  Bo pourrait également justifier une autre lecture : « …habitantium solm (?). Sunt enim… »  Le tilde de soluūt combiné avec le dernier jambage précédant le t peut en effet être lu également comme la crosse d’un ‘s long’ mal formé : st = sunt. Reste à interpréter solm soit par solem soit par solum. Dans les deux cas, l’abréviation est fautive et il faut choisir entre deux leçons également justifiées par le contexte : solum indique le lieu stable qui fait défaut aux nomades ; solem signifie, par allusion au Psaume, que la tente est le terme approprié pour désigner l’habitation des nomades terrestres et qu’il est utilisé ici par analogie pour désigner le lieu de Celui dont ont dit qu’Il « est aux cieux »[27]. La leçon retenue paraît néanmoins celle qui concorde le mieux avec le sens du passage.

 

Super Ps. 18 x § 9  [5]

« Lex autem illa humana non prestat sapientiam. Aliqua enim sapientia est in humanis in qua est aliqua ueritas ut philosophica et quedam sapientia est qua utebantur sacerdotes in templis [28]*, et hec est falsa. Et hec multis proponebantur[29] sed illa philosophica paucis. Sed diuina paruulis quia populis… ».

Thomas continue à opposer la loi et la sagesse divines révélées aux lois humaines et particulièrement à celles des anciens. Bien que leur législation n’apporte pas la Sagesse révélée, il concède, en bon disciple d’Aristote, qu’il existe une sagesse humaine. Mais il distingue entre la philosophie, sagesse authentique, porteuse de vérité, et une fausse sagesse, celles des prêtres et des oracles des cultes païens. La concision du passage, notamment la forme templo au singulier, pourrait prêter ici à confusion et faire penser que Thomas attaque le sacerdoce lévitique, celui du temple de Jérusalem, à l’instar des prophètes de l’Ancien Testament ; cf. p. ex. Hier. 8, 8.10b :

« Quomodo dicitis ‘sapientes nos sumus et lex Domini nobiscum est’ ? Vere mendacium operatus est stilus mendax scribarum […] Quia, a minimo usque ad maximum, omnes auaritiam sequuntur a propheta usque ad sacerdotem, cuncti faciunt mendacium ».

En fait, le commentaire vise bien ici les prêtres des cultes païens. Tous les témoins lisent ici templo, mais ce singulier doit être compris, au mieux, comme une synecdoque. Nous pensons qu’il s’agit même d’une erreur de lecteur du premier transcripteur de la reportation, confronté à une abréviation du type : templ’ pour templis, qu’il aura lue templo.

 

Super Ps. 21 v [4]

« Aliqui in nouo testamento sunt temporalibus liberationibus liberati et in ueteri testamento aliqui sunt spiritualibus afflictionibus eruditi ut ostendatur Deus esse actor *[30] utriusque testamenti ».

Dans ce passage, l’Esprit-Saint est présenté par Bo comme actor utriusque testamenti. La tradition postérieure (Φ €) a corrigé : auctor… mais le sens originel du passage vise moins l’exercice d’une ‘autorité’ d’ordre doctrinal qu’une action providentielle dans l’histoire des deux Alliances.

Au vu des occurrences de ces deux termes dans le Super Psalmos, Φ semblerait confirmer la distinction sémantique signalée jadis par M.-D. Chenu[31] : auctor désigne l’Esprit-Saint, source de l’autorité du texte sacré : « auctor quia ipse Spiritus sanctus hoc reuelans »[32] tandis que actor désigne l’auteur humain et pour ainsi dire la cause efficiente instrumentale du livre sacré : « Actor psalmi qui est lingua »[33].

En fait, dans le commentaire du Ps. 44, un certain flottement se manifeste ; actor y est préféré à auctor par toute la tradition manuscrite : « Principalis actor huius psalmi est Spiritus Sanctus »[34]. Ce passage, et particulièrement Bo, renforce le poids ses graphies archaïsantes signalées jadis par Chenu dans certains manuscrits qui préfèrent également actor à auctor : « Fait curieux, dans des textes incessamment copiés et recopiés, tels ceux de Thomas d'Aquin, alors que, en d’innombrables passages, l’orthographe auctor l’a universellement emporté par l’accoutumance des copistes, il est deux ou trois endroits où la tradition manuscrite est restée fidèle à la première ortographe » [35].

Certes, il est permis de penser que, une fois de plus, la rigueur sémantique a fait les frais des caprices de l’oralité et de la désinvolture des copistes. Mais l’accumulation des occurrences dans de ‘bons’ manuscrits conduit également à se demander si la distinction auctor / actor était aussi tranchée que l’a affirmé le P. Chenu sur la base d’un dossier somme toute assez mince. Ce qui demeure par contre assuré, au-delà des différences graphiques, c’est la distinction formelle opérée par la théologie médiévale entre les deux énonciateurs du texte sacré : Dieu, auctor principalis, et l’auteur inspiré, auctor ministralis vel instrumentalis [36]. Plutôt que de corriger le texte en fonction de principes arbitraires, nous avons donc conservé la leçon du témoin privilégié.

 

Super Ps. 21xi [8]

« Et ideo dicit Tu es Deus meus de uentre matris mee’ id est ex quo factus sum homo quia ante non erat Deus homo[37] ».

Tous les manuscrits ont Deus filii (en toutes lettres) qui n’a aucun sens. Dei filius homo est correct théologiquement, mais ne paraît pas justifié par la tradition manuscrite. Nous supposons que filii est une mauvaise lecture de homo abrégé hm ou h°m de sorte que la haste montante du h combinée au o suscrit a été lue s long et le premier des jambages du m lu l. Cette erreur remonte sans doute à l’original.

 

Super Ps. 21 xii [9]

«’’ … Consilium fecerunt in unum[38]’’. Non autem dicit hoc pro se. Necessitas autem est duplex : tribulatio que imminet et auxilium quod deficit. Vnde dicit… »

Dans Bo, on lit in unum entre defecit et Vnde dicit. J’ai considéré cette leçon comme l’intégration mal à propos d’un complément marginal de la citation du Ps 70, 9-10 qui figurait dans l’exemplaire copié par Bo et je l’ai restitué à sa place d’origine selon l’ordre du texte sacré.

 

Super Ps. 21xii [9]

« Possumus dicere quod Dauid mutat tempora. Tamen*[39] Augustinus aliter soluit ».

V1  et F ont trois jambages courts surmontés d’un tilde ; Bo ne peut être lu autrement que unde. Pour une fois je suis V2 qui a peut-être raison en interprétant le premier des trois jambage comme un t que les copistes successifs auraient diversément interprété. Inde ou unde supposeraient un lien logique avec la proposition précédente que le texte d’Augustin ne permet pas de justifier.

 

Super Ps. 21 xiv [10]

« Natura leonis est ut capta preda rugiat*[40] ».

Tous les manuscrits ont fugiat mais rien ne justifie cette leçon dans le contexte immédiat de la phrase ni chez Albert le Grand ni dans les sources de celui-ci que nous avons examinées : Aristote, Histoire des Animaux (éd. P. Louis, Les Belles Lettres, 3 vol., Paris 1964, 1968, 1969 ; toutes les occurrences de leon ont été vérifiées) ; Pline l’Ancien, Histoire naturelle, viii, (éd. A. Ernout, Les Belles Lettres, Paris 1962, xvii-xxi, § 45-58 p. 39-45). Un seul passage autorise un lointain rapprochement en suggérant que le lion se retire après avoir saisi sa proie : cf. Albertus magnus, De animalibus, xxii, 2, § 61, (ed. Borgnet, t. 12, p. 413) : « [Leo] est autem animal magnis gaudens et liberalibus […] et quia communicativum est prædæ, ideo […] abhorret iterum redire ad sui cibi reliquias sed permittit accipi a quocumque et maxime ab homine ». Dans ce cas la transformation apportée à la source serait considérable. Nous conjecturons donc avec les éditions imprimées une erreur de lecture de l’original à la racine de la tradition manuscrite.

 

Super Ps. 21 xv [10]

« Dicit ergo ‘Persecuntur me et nocent’ quia quantum ad temporalem*[41] salutem totaliter inualuerunt ».

« Temporalem » a été choisi au nom du principe Lectio difficilior potior  : le Christ peut dire que ses ennemis lui nuisent (nocent) parce qu’ils mettent toutes leurs forces à se développer (inualuerunt) au niveau de la prospérité temporelle. La relecture a commet ici un contresens qui voudrait traduire inualesco par « être impuissant ». Mais dans ce cas la phrase n’a pas de sens.

 

Super Ps. 21 xvii [13]

« Ante crucifixionem Christi *[42] fuerunt facta duo ».

« Ante crucifixionem Christi * [43] fuerunt facta duo. Primo fuit captus… »

Lectio difficilior qui suppose que Bo n’a pas su lire « xpi » (Christi) et a reproduit « qr ». Ces deux lettres, mises pour quare ou queritur, n’ont pas d’autres sens ici et ne se justifient par l’attraction d’aucun mot proche. Je conjecture qu’elles reflètent une particularité de l’original ou un ajout de Bo.

 

Super Ps. 21 xxiv [18]

« Primo quod[44] inanimauit[45] discipulos[46] ore proprio quando aperuit illis sensus[47] ut intelligerent Scripturas ».

Quod.  Dans les manuscrits qd’ (Bo) ; quid (F), quid’ (V1), quidem (V2) correspondent à la progression des développements aberrants ordinairement constatés chez nos témoins, même si quidem pourrait aussi se justifier ici.

Inanimauit discipulos. — Les formes narrauit, manifestauit, inanimauit ont fait l’objet de confusions significatives dans ces passages. Ainsi plus loin V2 lira successivement narrabit pour manifestabit et inanimabo pour manifestabo, m pris pour in étant abrégé î. Certes Bo aurait pu tomber dans le même piège mais 1° sa lecture dissociant légèrement îaî de uit suppose une hésitation qui ne le rend que plus crédible ; 2° l’accusatif discipulos, attesté par trois manuscrits, n’est demandé ni par narrauit ni par manifestauit. Seul le verbe retenu se justifie ici au triple plan du sens, de la syntaxe et de la paléographie et il faut présumer un arrangement bancal à la source de F. Le datif des imprimés est une correction stylistique peut-être induite par une abréviation prudente comme dicipul’ (=V2). Je lis donc inanimauit discipulos.

 

Super Ps. 21 xxvi [19]

« Deuteronomii 10° « Et nunc Israel quid Dominus Deus tuus petit a te nisi ut timeas eum et ambules in uiis eius ? »

La version Bo est une citation de mémoire : « Audi Israel et nõ<ta> quid nõ Dominus Deus tuus repetit a te ». L’interprétation de ces deux n’est pas claire. Je considère que le premier est une glose de Thomas et le second l’intégration dans le texte d’un ajout marginal : n<ot>a

 

Super Ps. 26 i § 4 [1]

« melius tamen uidetur ut referatur ad Christum : due unctiones in nouo testamento ponuntur*[48], scilicet regis et sacerdotis, et Christus fuit unctus oleo Spiritus sancti, Ps. « Unxit te Deus » etc., in regem et sacerdotem ».

L’abréviation a posé problème au point d’être supprimée par les éditions imprimées. Priorum ou  psalmorum qui sont pratiquement les seules autres lectures possibles n’auraient ici aucun sens.

 

Super Ps. 26 v [2]

« Homo debet habere securitatem in duobus : in preparatione malorum, secundo in eorum passione ibi Si exurgat*[49] ».

Deux témoins anciens abrègent exurgã que Bo a dû lire également dans la reportation et qu’il a développé par exurgam, conformément aux règles de la paléographie ; les éditions modernes font de même (cf. par ex. Ed13 Ed19 Ed20). Mais le Psaume cité ne peut être que Ps 26, 3b : « Si exurgat aduersum me prelium ». Il faut donc corriger en conjecturant que l’abréviation des manuscrits peut être soit une licence personnelle du reportateur, soit la correction par  les copistes de Bo et α d’un exurga (sic) phonétique saisi par le reportateur. P.-M. Gils a signalé la fréquente disparition du t  final sous la plume de saint Thomas[50]. . La reportation, en rejoignant les observations faites sur les autographes, ne viendrait-elle pas souligner l’origine orale de tels accidents ? Seule une accumulation de données pourrait permettre de conclure.

 

Super Ps. 26 vi [2]

« Ergo*[51] Si consistant aduersum me castra : castra sunt ubi steterunt milites ».

La tradition imprimée lit Glosa. Nous n’avons trouvé ce passage ni dans la Glosa ord. in loc. cit. ni chez Pierre Lombard. Il s’agit certainement d’une mauvaise lecture de la graphie insolite du G initial de l’abréviation <er>go qui figure à cet endroit dans Bo et F (cf. Préface de l’édition : accords Bo F). On hésite également à lire secundo en raison de la graphie particulière du g (cf. Préface de l’édition : Paléographie / un S insolite).

 

Super Ps. 44 I [1]

« Iste psalmus dicitur epithalamius*[52] »

Bien que saint Thomas écrive plus loin epithalamicus, aucun témoin du Super Psalmos ne propose cette graphie à cet endroit. La graphie de F  a été retenue parce qu’elle correspond à celle de la Glose de Pierre Lombard, héritée de Bède et reprise fidèlement par Hugues de Saint-Cher (ed. 1600, f. 115vb) et Nicolas de Gorran (cf. Documents annexes : In Ps 44, 1) dans leur commentaire du Ps 44. Dans cette fidélité littérale aux sources littéraires réside l’intérêt de la graphie que nous n’avions pas à corriger. Epithalaminus proposé par Bo semble une erreur de copiste (voir Variantes rejetées). Epitalamus est une correction de F.

Super Ps. 44 II [2]

« Scribit quia indicia sue sapientie imprimit in rationabilibus creaturis»[53].

L’expression indicia sapientie reprend et développe un thème plusieurs fois traité par Thomas d’Aquin, notamment dans l’épître dédicatoire de la Catena aurea (CMTep.2). Les éditions imprimées du Super Psalmos ont lu iudicia au lieu de indicia, peut-être sous l’influence de Rom. 11, 33 : «O altitudo divitiarum sapientie et scientie Dei. Quam incomprehensibilia sunt iudicia eius et investigabiles vie eius », mais les manuscrits s’accordent tous à lire indicia abrégé īdicia. Cette réminiscence biblique a aussi pollué très tôt la lecture du texte médiéval de la Catena. Bien que diffusé par exemplar, à la différence du Super Psalmos, les témoins de la Catena adoptent à part égale chacune des deux leçons, tandis que la tradition imprimée est, pour une fois, correcte et stable sur ce point. (cf. loc. cit. apparat). On retrouve la même hésitation dans la tradition manuscrite des lieux parallèles. Le groupe des lieux parallèles et le contexte sémantique du Super Ps., ultime évolution de la pensée de Thomas d’Aquin sur ce thème, forment finalement l’argument décisif en faveur de indicia. La similarité graphique des deux leçons et la prédominance du biais cognitif induit par  la réminiscence implicite de Rom. 11, 33 diminuent très fortement le poids philologique de la collation des témoins.

Super Ps. 44 v [3]

« Primo ergo ponit <preparationem armorum, secundo> naturalem fortitudinem[54]*».

Nous avons cru devoir corriger le texte de ce passage. L’ordre des parties annoncées est manifestement déficient : alors que la traditions manuscrite unanime écrit « naturalem fortitudinem », la suite du texte répond à la « preparatio armorum », tandis que l’exposé sur la ‘force naturelle’ intervient quant esà lui à la fin du commentaire du verset. Les éditions ont perçu le problème mais leur correction a le désavantage de se substituer à la leçon des manuscrits. Il a paru préférable de restituer la version des manuscrits et l’ordre annoncé des parties, sous peine de rendre le passage incompréhensible.

 

Super Ps. 44 x [5]

« Christus per passionem meruit exaltationem in fide omnium populorum, et sic li[55]* Propterea designat causam finalem ».

Bo V1 et € ont lu « littera Propterea designat causam finalem » ; mais devant la rareté de la formule : « littera » suivi du lemme, nous suivons F et V2 en conjecturant que les copistes ont développé à tort li en littera. Quoiqu’il en soit, dans le Super Psalmos, « littera » n’est jamais utilisé de la sorte. Il faut certes noter, quelques lignes plus loin : « sed dicit Deus Deus. hec littera Deus uel est nominatiui casus uel uocatiui » ; mais ici un pronom précède. (Sur les clausules introductives des lemmes commentés, voir La Langue du Super Psalmos : le petit ‘li’ des scolastiques).

 

Super Ps. 44 xvi § 3 [9]

« Ergo in doctrina sapientie diuine, que per aurum designatur, est magna gloria et tamen est circumdita uarietate, idest ornata et uestita uariis linguis, idest uariis  modis dicendi , tamen eamdem   ueritatem[56]* sonant , Actuum 2 ‘Loquebantur uariis linguis apostoli’ <magnalia Dei>… »

Bo et F n’ont pas été suivis ici malgré leur accord. Ils semblent triburaires d’une confusion entre deux mots paléographiquement très proches. Cependant, leur leçon n’est pas sans signification. L’alternative éditoriale  aurait été de lire avec eux, en ponctuant différemment :

« … uariis linguis idest uariis modis dicendi tamen eadem. Varietatem sonant, Actuum 2 ‘Loquebantur uariis linguis apostoli… »,

autrement dit : « … ornée de diverses langues,  c’est-à-dire de divers modes de s’exprimer <pour dire> cependant les mêmes choses. <Les apôtres> font résonner la diversité… » ; lectio difficilior que nous n’avons cependant pas cru devoir retenir.

 

Super Ps. 44 XVII § 2 [10]

« Ieronimus habet aliter Omnis gloria eius[57] filie regis pre fascis [58]* aureis uestita ». 

La référence  au Iuxta Hebreos de saint Jérôme permet ici de comprendre la genèse du texte transmis par la tradition et l’évolution de ses accidents. L’ensemble des témoins a buté sur la transcription du p barré, lu pro par Bo et per par F. L’hébreu פְּנִימָה, confirmé par la variante de seconde main du manuscrit He. (ΘG2) (Paris, BN, lat. 11937), oblige à corriger et à écrire : pre (cf. Les Psautiers du Super Psalmos : Variantes textuelles et éléments d’identification).

D’autre part profascis, perfascis n’appartiennent pas au vocabulaire latin et sont à l’évidence le résultat de la fusion erronée de la préposition et du mot qu’elle introduit. Cette erreur a été provoquée par la présence de la préposition a (Bo), ab (F) qui demande l’ablatif. Il s’agit en fait d’une erreur du reportateur.  Entendant saint Thomas se référer à saint Jérôme et commencer sa citation par un texte identique à la version du Psautier ‘gallican’ –  omnis gloria filie regis ab intus – le reportateur a continué d’écrire le verset tel qu’il le connaissait de mémoire. Il a ensuite continué en écrivant la leçon variante que lisait saint Thomas.

Quand il s’est agi de mettre le passage au propre, les éditeur ont conservé le texte tel quel sans trop réfléchir. Dans ces conditions, une correction paraît devoir s’imposer.

Super Ps. 44 xvii § 2 [10]

« In hebreo aliter : Pre inclusione auri  uestimenta idest circumamicta , et post insuper : Cum subtilibus – que sunt plumarie que cauca [59] * attingunt –  adducentur sic indute ».

Tous les témoins, sauf Bo, ont corrigé, la plupart par eam qui n’a aucun sens ici. Nous avons préféré interpréter cauca comme la graphie phonétique du neutre pluriel de calceum-i, signifiant les chaussures, prononcé caucea ou caucia par suite de l’équivalence des préfixes cauc- et calc-. L’absorption phonétique du -i (-e) par le -c suivis de deux voyelles n’est pas invraisemblable. Nous laissons ce cas curieux à la compétence des philologues, tout en rappelant une fois de plus qu’une reportation non revue par l’auteur est susceptible de témoigner de formes d’expression orales et populaires assez différentes de la langue officielle. On ne parle pas toujours comme on écrit mais on écrit parfois comme on parle. (Voir aussi Le lexique du Super Psalmos).

 

Super Ps. 44 xvii § 3 [10]

« De illis dicit adducentur quia leuius conuertuntur ad Christum. De istis dicit afferentur quia importunius trahuntur,  II <ad> Timotheum 4°« Insta opportune, importune », si uero accipiantur ut diuerse.* Sic per uirgines intelliguntur perfecti et isti adducuntur, quasi[60] per[61] se ire ualentes[62] ». 

Entre la fin du commentaire du verset xvii et le début de celui du verset xviii, le texte est manifestement incomplet. Au paragraphe précédent, saint Thomas avait annoncé deux lectures possibles des termes uigines et proxime : soit ils désignent une seule et même réalité, soit ils désignent chacun une réalité allégorique différente. Le présent passage correspond au second volet de cette analyse. Les éditions l’avaient ponctué d’une façon qui rendait le texte bancal, en plaçant un point après importune et une virgule après diuerse. De cette façon, le texte pouvait donner l’impression d’avoir été bouleversé par l’insertion mal à propos d’une annotation marginale : l’alternative de illis / de istis de la première phrase semble se rattacher au premier volet annoncé ;  il n’est plus question que des uirgines, allégorie des perfecti ; l’allégorie des proxime manque. En fait, l’équilibre du passage est partiellement rétabli avec une ponctuation différente : une virgule placée avant si uero et un point avant sic. L’alternative de illis / de istis s’éclaire alors par la proposition conditionnelle « si uero accipiantur ut diuerse » qui marque le commencement du second volet annoncé, tandis que le début de la seconde phrase « Sic per uirgines » devient le premier membre de l’explication binaire annoncée par l’auteur. Le second membre, correspondant à l’allégorie des proxime, fait indéniablement défaut dans la reportation, ainsi que le début du commentaire du verset suivant. Une leçon tardive de V2, reprise par Ed12,  témoigne d’une tentative de correction par insertion d’un non portant sur ualentes. Il figure néanmoins  dans le passage parallèle de la Magna glosatura qui sert une fois de plus de canevas à notre Lectura super Psalmos et auquel il faut se référer pour comprendre la démarche herméneutique de l’auteur.

 

Super Ps. 47 [6]

« Et distribuite domos eius. Ieronimus habet Separate palatia eius. Domos eius distinguite.  Distinguite scilicet per rectum iudicium ».

Tous les manuscrits et les éditions portent en fait « Separate – domos eius distinguite – palatia eius ». On a ici l’exemple typique de l’état confus de la reportation où le reportateur pressé par le temps entremêla la version hiéronimienne et la lecture de Pierre Lombard entreprise par Thomas. Domos eius distinguite est une reprise littérale de Pierre Lombard, In ps 47, n° 12 (PL 191, 463B) « Distribuite, id est distinguite, domos eius, domum scilicet domo » et, par son intermédiaire, de saint Augustin, Enar. in ps 47, 14 (CCSL … l. 2) : « Quid hic intellegimus : ponite corda uestra in uirtute eius, et distribuite domos eius? id est : distinguite domum a domo, nolite confundere ».

Après avoir noté le début de la version Iuxta Hebreos, le reportateur a poursuivi son travail avant de pouvoir compléter la citation de Jérôme dans un moment de répit en ajoutant palatia eius dans l’interligne. La restitution des copistes postérieurs a produit un parallélisme de structure : Separate domos eius / Distinguite palatia eius qui ne peut être imputé à la lecture de Thomas d'Aquin. L’édition du passage rétablira donc l’unité des deux citations juxtaposées.

 

Super Ps. 52 i [1]

« Per Chore qui fuit unus de cantoribus principalibus ».

Uccelli lit principibus et le passage parrallèle (Super Ps. 40, 1) semble justifier sa lecture. Cependant les sources et la syntaxe demandent plutôt de lire principalibus. Nous corrigeons donc.

 

Super Ps. 52 iii [2]

« Corpus corrumpitur per exalationem caloris naturalis et per subtractionem actualis caloris exterioris. Calor naturalis anime humane est ipse Deus […]. Sed quando iste calor exalatur, subtrahitur actualis calor, scilicet concupiscentie calor, et timor [63]*. Corrumpitur anima et consequenter sequitur quod multi timorem et amorem et Dei cognitionem a se abiiciant et corrumpantur in immunditiis ».

La formulation maladroite et l’état lacunaire de ce texte en font un exemple typique des déformations apportées par la reportation : formellement l’âme ne ‘contient’ pas sa forme et elle n’est pas corruptible au sens philosophique du terme, étant spirituelle et immortelle. Il est évidemment question ici d’une corruption morale, comme le suggère le passage parallèle du Super Ps. 13 [1] :

« In corporibus sequitur corruptio per exhalationem naturalis caloris expulsi ab extraneo calore. Calor namque naturalis anime est amor Dei ».

Le rapport de l’homme à Dieu est d’abord présenté dans ce texte comme étant conditionné par un jeu de force entre deux désirs, associés de manière figurative à la chaleur. Que le feu des passions (calor actualis) s’enflamme au point de repousser celui du désir de Dieu et l’âme s’en trouve ‘corrompue’ parce qu’elle perd la vitalité morale qui la conduit à s’épanouir dans la tendance naturelle vers sa fin. A l’inverse, si l’innocence et l’intégrité de l’image divine (calor naturalis) restent sauves, la passion fondamentale du désir oriente l’organisme moral vers le Bien ultime qui est Dieu.

Mais saint Thomas se trouve pris au piège des métaphores lorsqu’il veut rappeler ce qu’il a déjà exposé de façon très claire dans la Somme de théologie (IIa-IIæ, q. 19, a. 10), à savoir que la charité a pour corollaire la crainte filiale qui croît avec elle comme un effet avec sa cause, en même temps que diminuent la crainte servile et la concupiscence[64]. (cf. Bataillon/ Stroobant 24.4.92; et 24.1.93) Or, physiologiquement, la passion de crainte (qui conduit à fuir le mal opposé au bien aimé) n’est pas associée à la chaleur ; elle lui est même contraire : « In timore calor deserit cor »[65]. La crainte n’a donc pas de chaleur propre et la leçon d’Uccelli, « calor…timoris », certainement erronnée, doit être corrigée par une forme au nominatif – et timor <servilis> – afin de restituer au passage sa cohérence intellectuelle. Ainsi s’explique la double mention de la crainte dans ce passage : d’une part la crainte servile, repoussée par l’amour de Dieu et d’autre part la crainte filiale dont Thomas déplore qu’elle soit rejetée par certains, tout comme l’amour et la connaissance de Dieu.

 

Super Ps. 54 ii [2]

« Hic describitur ordo quo Deus acceptat orationem quando scilicet acceptam habet orationem siue petitionem, quia petens non acceptatur per orationem sed oratio acceptandorum per petentem[66]*. Unde dicitur Genesis 4 ‘Respexit ad Abel’ primo ‘et ad munera eius’ ».

Uccelli a lu « petitionem », mais l’équivalence « orationem siue petitionem », la référence au sacrifice d’Abel, l’insistance du passage et le texte de Pierre Lombard sous-entendu et les sources proposées (voir apparat) appellent un substantif désignant la personne de l’impétrant : ce n’est pas la prière qui fait que celui qui demande est accepté, mais la qualité morale de celui qui demande « debito fine » (Pierre Lombard) qui fait que sa demande est entendue. Peut-être même faudrait-il lire « oratio acceptatur per petentem », plutôt que « … acceptandorum », à entendre comme un neutre pluriel.

 

Super Ps. 54 ix [8]

 « Et a quo saluat ? A duobus ex quibus uidebatur esse commotus assumere pennas, scilicet a pusillanimitate[67]* quia tribulabatur inter homines  unum est tristitia cordis. Quod credit ibi requiem inuenire, unde dicit A pusillanimitate spiritus. Nimis est audax qui inter turbas requiem querit habere, Ysaie 354 « Dicite pusillanimis confortamini ».  Et a tempestate, scilicet a tribulatione hominum salua me, tam temporali quam spirituali  ».

La leçon « possibilitate » est probablement une mauvaise lecture de pusillanimitate, proche paléographiquement. Mais la difficulté est dans la ponctuation du passage et l’incise « unum est » qui sépare le verbe de son complément circonstanciel de cause, ainsi que dans le « Quod » en début de phrase, pris au sens de « quia », comme fréquemment dans le Super Psalmos. Je propose de comprendre ainsi (traduction libre) : « De quoi sauve-t-il ? Des deux choses qui paraissaient le pousser à prendre les ailes de la colombe, à savoir : de la pusillanimité parce que, parmi les hommes, la tristesse du cœur le tourmente, et c’est une chose. Parce qu’il croit trouver le repos il dit ‘de la pusillanimité de l’esprit’. […] Et, < second point, il sauve > de la tempête… ». Le désordre du texte paraît encore ici refléter l’enchevêtrement des idées qui se succèdent plus vite que la plume ne peut l’écrire.

 

Super Ps. 54 xviii [14]

 « Alia littera non habet In habitaculis *[68] ».

Destrez a lu habitaculis mais Uccelli donne tabernaculis. Compte tenu de la physionomie générale des sources du Super Ps. et du peu de rapports que celui-ci entretient avec le psautier ΩM, il semble préférable de suivre la leçon de Destrez.

 

 



[1] quidem ] quod Bo F V1 ; om..

[2] cf. A. Dondaine, Secrétaires, p. 147 s.

[3] Finis] om. E3.

[4] huius] h obs. Bo, scripture add..

[5] proportionatur] coni.; propotr Bo (obs.), propore V1 F V2; prophetie marg. corr. m. post. V2; om. €.

[6] forme] om. E3

[7] finis] est add..

[8] orantis] oratio E3 , qui est add. E1 E2; quæ  est add. E3.

[9] ueteris] scrips., ueteri (sic) Bo, ueri F

[10] parturiunt] pcuciunt Bo, percutiunt Φ

[11] Alie littere] conj., ali lit. Bo, al. lit. V1 F, alia littera V2

[12] Ysaie] lac. Bo sec. man. compl., secundum lxx. Nostra littera dicit « In terra sanctorum » etc. præm. F €, rest. infra post uersus laud.

[13] uideat…Dei] iter. Bo

[14] secundum lxx…etc.] rest., lac. Bo.

[15] non uidebit…Domini] rest., ne uideat gloriam Dei Bo om. Φ €.

[16] propterea habet Φ] propter ht uel hc Bo, propter hunc

[17] se habet] dicitur habet Bo

[18] inreprehensibilis Bo ] incondemnabilis Ed1 Ed2, incomprehensibilis Φ cum Vulg.

[19] inreprehensibilis Bo ] incomprehensibilis Φ €

[20] Ibi non] corr., Uñ Bo, Iñ V1, inde F V2, Hieronymus €

[21] quia] qui Ed3

[22] non] om. V1

[23] possumus] possemus F

[24] Cf. II-IIe q. 74, a. 3, ad 2 : « Perpetua corruptio sensualitatis est intelligenda quantum ad fomitem qui nunquam totaliter tollitur in hac vita ; transit enim peccatum originale reatu et remanet actu. Sed talis corruptio fomitis non impedit quin homo rationabili voluntate possit reprimere singulos motus inordinatos sensualitatis, si presentiat » ; cf. II-IIe q. 109, a. 8, co.

[25] Sol…est ] M, solm (?) sunt enim Bo, in certo loco quod F V1, …quia V2 Ed3, …qui Ed1 Ed2

[26] Voir Transcriptions annexes : Jean de Aversa.

[27] Cf. Matth. 6, 9 et passim.

[28] templis ] scrips., templo mss. et edd.

[29] proponebantur ] –batur €

[30] actor ] auctor Φ Ed1 Ed2, author Ed3

[31] Cf. M.-D. Chenu, « Auctor, actor, autor », 1927, 81-86.

[32] Super Ps., prol. i ; 44, i [1].

[33] Super Ps. 44, ii [2].

[34] Super Ps. 44, iii [1], comparer avec Super Ps. 44, i [1].

[35] Voir références dans M.-D. Chenu, « Auctor, actor, autor », 1927, p. 84 et dans notre édition Super Ps., Parall. S. Thomæ in loc. cit.  ; cf. aussi De ente et essentia, c. 4, (éd. Léonine, t. 43, p. 375, l. 7-8) :« …cuius positionis auctor uidetur fuisse Avicebron, actor libri Fontis uite » (l’édition Léonine a rétabli la distinction auctor / actor sans même signaler l’existence de variantes, pourtant significatives).

[36] Cf. G. Dahan,  « Le commentaire médiéval de la Bible.… », 2000, p. 214 et A. J. Minnis, Medieval Theory of Authorship, 1988, p. 75-84.

[37] Deus homo] corr., Deus filii (sic) Bo F , Dei filius homo €

[38] in unum] = Bo rest., etc. F

[39] Tamen] unde Bo, inde V1 F, om. €

[40] rugiat] conj. cum €, fugiat Bo F

[41] temporalem] corporalem €, spiritualem F

[42] Christi] conj. : qr add. Bo, om. F V1 V2 Ed1 Ed2 Ed3

[44] quod] quidem V1 V2 , quid F

[45] inanimauit] conj., îaî uit Bo, narrauit V1 F V2

[46] discipulos] -is V2 (?)

[47] sensus] -um V2  

[48] ponuntur] coni.,r, Bo F V1, primorum V2, om. .

[49] exurgat] scrips., exurgam Bo, exurgã. V1 F 

[50]  P. M. Gils, « Saint Thomas écrivain », p. 184.

[51] Si consistant…me. Ergo] om. V2 | ergo]  Unde præm. F, Glosa €.

[52] epithalamius] epithalaminus Bo, epithalamus V1 V2 Ed1 Ed2.

[53] indicia Bo F ] iudicia € Ed13

[54]  naturalem fortitudinem] fortem preparationem armorum cum dicit €

[55] li ] littera Bo V1

[56] eamdem ] eadem Bo, eandem cett.      |      ueritatem ] uarietatem Bo F

[57] eius] om. F

[58]pre fascis] corr., a profascis Bo, ab perfasciis F V1 V2 ,  a  perfasciis € Ed12 | a… Ed3 Ed4 Ed9

[59] cauca] sic Bo,  eam V1 F V2 E3 E4 E9, enim E12

[60] quasi] non add. sec. m. marg. V2

[61] per] qui Bo

[62] ualentes] non ualentes Ed12

[63] timor ] timoris Ed15  Ed17 Ed20

[64] Cf. Super Ps. 18, [6] « Omnis autem timor ex amore causatur quia illud timet homo perdere quod amat. Et ideo, sicut est duplex amor, ita est  duplex timor : quidam est timor sanctus qui causatur ab amore sancto ; quidam non sanctus, qui a non sancto causatur ». Sur cette dialectique de l’amour et de la crainte, cf. L. Somme, « L’amour parfait chasse-t-il toute crainte ? », 1993, et spécialement les p. 305-306 et 316-318.

[65] Sum theol Ia-IIæ  q. 44, a. 3, ad 3.

[66] petentem] scrips., petitionem Uccelli

[67] passibilitate] corr. ; possibilitate Uccelli

[68] habitaculis] = ND, tabernaculis Ed15 Ed17 Ed20


Comment citer cette page ?
Martin Morard, Thomae Aquinatis Postilla in Psalmos : Justifications de quelques choix critiques de l'édition in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2024. Consultation du 21/11/2024. (Permalink : https://gloss-e.irht.cnrs.fr/php/page.php?id=229)