page créée par Martin Morard, 7.2.2025, mise à jour le 7.3.2025 (version 2)
Paris, Sorbonne, ms. 16 ⇓
=> vers l'édition du prologue 'Stabat super'
Le
texte du prologue des postilles sur les Douze prophètes qui circule au
sein du corpus des postilles dominicaines publiées à la fin du deuxième
quart du 13e siècle sous l'autorité d'Hugues de Saint-Cher est édité ici
à partir de deux des manuscrits les plus anciens qu'on lui connaisse :
Sor16 et Wi1112, datables l'un et l'autre des années 1240-1250. Le
second, Wi1112, a la particularité de réunir la quasi totalité de la
recension brève des postilles d'Hugues de Saint-Cher dans un format
portatif et qui plus est avec une mise en page glosée, caractéristique
de ce corpus. Ce dernier trait est propre à près des trois quarts des
témoins de la recension brève des postilles d'Hugues, alors que les
témoins de la recension longue sont presque tous sine Textu. Tous
les manuscrits de la version brève sont plus récents que ceux des
postilles parce que diffusés après celle-ci, dans l'intention de
procurer un instrument pratique qui mettrait dans les mains des
prédicateurs dominicains à la fois le texte de la Bible et les
commentaires réunis par l'ancien maître parisien fraîchement créé
cardinal en 1244. La Glose dominicaine est donc en quelque sorte un
produit dérivé de la postille dominicaine.
Les deux recensions de la postille sur les Douze prophètes et sur la fin du Psautier (à partir du Ps. 136, 6) ont un texte identique. Dans le cas de la postille sur les Psaumes, la recension brève prend la succession de la recension prolixe : il n'existe donc que la recension brève pour les Ps. 136, 6 à 150. Dans le cas des Douze prophète, c’est le texte entier qui est attribué de première main et sans équivoque non pas à Hugues mais à un certain "frère Pierre des frères prêcheurs" (Sor 16, f. 59rb reproduit ci-contre). Ce dernier, mentionné dans un manuscrit copié à Paris, au tournant des années 1240, ne peut être que Pierre de Reims, bras droit et socius d’Hugues de Saint-Cher. La tradition dominicaine, à la suite de Bernard Gui (RB-3618), lui attribue un commentaire sur toute la Bible. Plutôt que d'une oeuvre originale, il s'agit, pensons-nous, de la production éditoriale du corpus extrait des postilles d'Hugues de Saint-Cher et diffusé, pour les trois quarts des témoins conservés, sous forme de bibles glosées.
La thèse selon laquelle cette recension serait la reportation de l’enseignement d’Hugues de Saint-Cher ne résiste pas à l’examen attentif des textes et résulte d'une conception quelque peu romantique des reportations médiévales. Le manuscrit dans lequel certains avaient cru retrouver une copie de la recension originale d’Hugues est paléographiquement et graphiquement trop tardif pour justifier l’hypothèse. D’une part, la recension brève que nous appelons Glose dominicaine en raison de sa diffusion son forme de livres bibliques glosés, n’a aucune des caractéristiques stylistiques d’une reportation. D’autre part, la comparaison des deux versions du corpus hugonien, révèle un souci d’abréviation méticuleux et systématique qui relève du procédé de miniaturisation de la bible, développé à Paris au milieu du 13e siècle, magistralement analysé par les travaux de Chiara Ruzzier. Cette mode de la miniaturisation des textes de référence s’est appliquée aussi, manifestement, aux postilles réunies par Hugues de Saint-Cher. Elle a été la raison et l’occasion de la diffusion de la postille dominicaine sous forme de livres bibliques glosés à partir des postilles.
Certains
voudraient que le texte de cette version brève que nous appelons Glose
dominicaine pour les raisons susdites, soit la transcription de la
reportation ou de la préparation du cours d'Hugues. L'affirmation est
purement théorique ; elle repose sur l'hypothèse, naïve et mal informée,
selon laquelle le corpus hugonien émanerait de l'activité scolaire d'un
seul et même auteur, ce que ni le recensement intégral des témoins du
corpus, ni l'édition des textes ne permet de soutenir. Elle ne tient pas
compte, non plus, de la règle d'or de l'histoire de l'exégèse médiévale
qui interdit d'amalgamer tous les livres de la Bible et oblige à
distinguer l'histoire de la réception de chacun. Elle ne repose sur
aucune donnée objective et n'est appuyée par l'édition comparée d'aucun
texte. L'exercice, effectué à plusieurs reprises dans l'édition
électronique, montre au contraire que la version brève est bien une
abréviation méthodique de la longue par rapport à laquelle elle prend
parfois quelques libertés. Le manuscrit de la postille sur la Genèse que
Fr. Stegmüller avait pris pour une reportation originale sur la base
d'une note adventice tardive, n'a pas pu être copié au temps de
l'enseignement d'Hugues de Saint-Cher pour des raisons codicologiques et
paléographiques. Il est plus raisonnable de supposer que pour
l’occasion de la version manuelle, certains textes de la postille
longue, dont l'unité d'auteur est loin d'être évidente, ont été
reformulés
sous la direction de Pierre de Reims agissant peut-être aux ordres
d'Hugues de Saint-Cher devenu cardinal. Le travail s’est fait en deux
temps.
On a d’abord cherché à procurer une version moins volumineuse de la
postille,
puis on en aura tiré un instrument transportable pour prédicateur en
l’associant au
texte même de la Bible. La Glose
dominicaine supprime ainsi les expressions redondantes et les adjectifs des postilles,
omet quelques répétions, abrège l’énoncé des lemmes commentés. Les reportations
véhiculent des excursus et des phrases elliptiques ou incomplètes, qu’on
cherche en vain dans la Glose dominicaine. Le
rôle de Pierre de Reims dans la rédaction des textes se réduit
probablement
à l’abréviation rendue nécessaire par l’objectif de la mise en synopse,
la reformulation de quelques passages ou de distinctions, et peut-être
à la rédaction de quelques prologues.
L’attribution de première main de la postille Stabat sur les douze prophètes au "frère Pierre des frères prêcheurs" ne peut être écartée sans a priori, tandis que rien ne justifie l’attribution à Pietro de Scala (SOPMA t. 3, p. 259-260) dont le style, l’exégèse et la carrière ne permettent aucun rapprochement rigoureux avec l’oeuvre d’Hugues de Saint-Cher. La postille sur les XII prophètes n’a été attribuée à Hugues que tardivement et en raison de sa présence au sein du corpus des postilles. L’attribution de l’intégralité des textes de celle-ci à Hugues reste d’ailleurs souvent conjecturale et concerne surtout son autorité et son rôle de responsable éditorial sans impliquer nécessairement qu'il ait lui-même tout rédigé, sans exclure l'intervention de collaborateurs et l'intégration de commentaires d'autres auteurs.
Dans le cas des postilles sur les
XII prophètes, en l’absence de version longue comparable, la critique interne
est d'ailleurs impuissante (sous réserve d’une analyse lexicométrique) à dire si on est en
présence d’une version longue ou brève (la version dite longue de certains
livres comme les livres historiques attribués à Hugues de Saint-Cher est d'ailleurs
particulièrement brève !) .
Le
bilan de la comparaison du texte de deux manuscrits collationnés avec
l’édition imprimée (Sor16 Wi1112 Ed1703) est légèrement favorable au ms.
Sor16 mais la différence se
réduit à deux omissions accidentelles de mots et à une variation de
graphie (auctor
au lieu de actor). Toutes les leçons communes des manuscrits
conduisent
à restituer le texte médiéval retouché par ses premiers imprimeurs. La
responsabilité de la publication de la Glose dominicaine et le travail
éditorial afférent doivent doivent donc être placés avec un haut degré
de vraisemblance historique au dominicain Pierre de Reims, conformément à
la tradition historiographique dominicaine. Entre la recension du
commentaire des Douze prophète diffusé cum Textu et la recension sine Textu, il n'y a pas de différence notable.