Pour une lecture panoramique de la
Bible latine glosée.[1]
Martin Morard
« Historia
stricta est et non est evagandi spatium »
(St Jérôme, Glose ordinaire sur Hab. 1, 3)
Il en va de la révolution numérique comme de l’invention du codex ou de l’imprimerie : les textes qui ne bénéficieront pas du transfert de support sont en danger de ne plus croiser les routes de la culture ordinaire. Mais la numérisation n’est pas une fin en soi et internet est le royaume de l’impermanence. Les données numériques, presque aussi fragiles que le savoir humain, ne se conserveront, comme lui, que si elles sont partagées, mises à jour, développées. La valorisation intellectuelle des contenus de notre patrimoine écrit est la seule raison plausible - souvent négligée - des efforts déployés en vue de leur conservation par les sociétés qu’ils ont ensemencées.
C’est dans cet esprit que, depuis 2016, le site Glossae Sacrae Scripturae electronicae (https://gloss-e.irht.cnrs.fr) publie, en accès libre et en éditions savantes numériques natives, la Bible latine glosée et ses principales versions dérivées. Ce corpus de corpus compte désormais quelque cent trente trois mille sentences recueillies dans les marges et l’interligne de la Bible latine du Moyen-Âge central. Cette édition cumulative de documents vérifiés et munis d’apparats critiques donne accès aux interprétations de chaque lemme biblique traité par les glossateurs. L’objectif scientifique du programme est d’alimenter la recherche fondamentale sur les mécanismes d’élaboration de la religion du plus grand nombre à partir de l’étude des instruments fondateurs de l’exégèse chrétienne occidentale médiévale, textes ouverts ou textes instables, qui couvrent près de mille ans de réceptions conjointes des auteurs ecclésiastiques occidentaux et orientaux.
Le soutien des institutions - constant depuis dix ans, bien que suspendu à l’épuisante noria des rapports et des demandes de subventions[2] - et l’intérêt du public - alors même que l’outil n’a pas atteint sa pleine puissance - sont autant d’encouragements à progresser et d’appels à rendre compte auxquels nous répondons en présentant ici en trois temps : 1. le système herméneutique de la Glose ; 2. le site destiné à l’explorer ; 3. la stratégie éditoriale et son rapport à l’instrument numérique.
La Glose biblique : une exégèse par Tradition
La Glose ordinaire, Sacra Pagina, sacralisée par son association à la Sacra Scriptura, a contribué par son autorité, source de la Sacra Doctrina, à la construction de l’identité religieuse occidentale, pénétrant au-delà des frontières confessionnelles et culturelles, jusqu’à la République des Lettres. Nul ne songera à contester l’intérêt de ce Reader’s Digest, ‘kit deux en un’ de la culture biblique et patristique, quand on sait que la Bible, avec plusieurs milliards d’exemplaires imprimés, demeure un référentiel majeur des sociétés modernes. Comment la pluralité des commentaires humains, associés à la Parole de Dieu – inscrite dans la chair du livre - s’est-elle articulée avec les tendances unificatrices du long Moyen Âge dans les domaines du droit, de la liturgie, de la doctrine, du contrôle de la parole, de l’exercice du pouvoir, des pratiques et des croyances, de l’agir et des consciences ? La Glose, par l’intégration de chaque strate des héritages multiculturels, jonglant à quatre balles avec les sens de l’Écriture, a fait office d’agent régulateur, facteur de plasticité et d’élasticité permettant - pour le meilleur et pour le pire - de lever les contradictions et d’embrasser d’un même regard, presque sans sourciller et dans la « continuité », la violence extrême de Phinéas (Nm. 25) et la douceur de l’Agneau immolé. Peu suspecte de fondamentalisme, malgré les abus dont la chrétienté médiévale n’est pas indemne, la Glose, comme système exégétique, semble avoir esquivé les raideurs de la Modernité qui oppose l’aujourd’hui des appropriations subjectives et l’âge d’or des origines tout en faisant l’impasse sur les médiations susceptibles de les relier.
La Bible glosée est le creuset codicologique, protéiforme et polymorphe, d’une herméneutique de Tradition, commune à l’Orient et à l’Occident, qui repose sur cinq principes : 1° La Bible forme un tout dont chaque unité de sens (« lemme ») est interconnectée avec l’ensemble du canon. 2° La foi de l’Église est la norme de l’intelligence des Écritures. Les Écritures doivent être lues à la lumière des docteurs, autorisés par leur réception ecclésiale (concile in Trullo, can. 19). 3° Les expressions de cette foi ne sont pas intemporelles ; elles sont actualisées au contact des conditions existentielles de chaque génération qu’elles imprègnent et qui l’imprègnent en retour. 4° Le nouveau ne remplace pas l’ancien. Il n’est intégré au patrimoine commun que dans la mesure où il ne le contredit pas. 5° Tous les livres de la Bible ne sont pas égaux devant l’Histoire ; ils ont fait l’objet de lectures plus ou moins insistantes selon les époques et les circonstances. Si la réception de la Bible comme un tout est constitutive de l’identité chrétienne, la construction de cette identité - autrement dit, la vie religieuse de chaque étape de l’histoire du Christianisme - s’adosse à la lecture privilégiée de certains livres ou groupes de livres qu’il revient à l’historien d’expliciter. La multiplication des versions du texte biblique et de ses traductions, le développement des gloses de certains livres sont les témoins de l’historicité des réceptions de la Bible. Pour paraphraser un adage eucharistique célèbre d’Henri de Lubac, on doit dire que si la Bible fait l’Église, l’Église aussi fait la Bible à son image et ressemblance par une double projection linguistique et herméneutique.
Partout en Chrétienté, mais avec des accents différents, on observe le même besoin d’accès simultané, sur la même page, à la Révélation scripturaire, stabilisée, et à la Tradition ecclésiale, en constante évolution. Au-delà des différences du vocabulaire forgé par les cloisonnements disciplinaires, florilèges, chaînes patristiques, bibles glosées relèvent d’un même système exégétique. Elles tendent à procurer un instrument qui associe à chaque lemme biblique, des sentences forgées par les maîtres des écoles - monastiques, impériales, carolingiennes et médiévales - à partir des principales explications recueillies dans les écrits fondateurs de la tradition chrétienne : ceux des Pères et des auteurs ecclésiastiques. On sait la nature complexe des sentences médiévales : réécritures et citations de citations, , ni copier-coller, ni textes originaux et les deux à la fois, leur intérêt réside autant dans les non-dits que dans les écarts avec les sources en partie reproduites à la lettre, en partie réécrites (adaptations syntaxiques et morphologiques), en partie résumées, abrégées, recomposées, parfois traduites du grec (46 % de la Catena aurea dont la moitié de primo-traductions), et ainsi commentées. À l’image de poupées russes emboîtées les unes dans les autres et pourtant toutes originales, ces successions de commentaires par homothéties irrégulières - chimère pour la géométrie mais réalité des sciences humaines - est aussi un facteur de canonisation tacite des formes mutantes au fil de leur inscription dans les marges des bibles glosées. Celles-ci sont, de ce fait, non seulement le socle d’un système de transmission mais aussi, sous couvert de fidélité, un espace de validation silencieuse de la nouveauté par le truchement de glissements souvent imperceptibles à l’œil nu, mais réels. A l’image des basiliques paléochrétiennes habillées avec les marbres des temples païens, l’exégèse des gloses est faite de réemplois qui prennent un sens nouveau au contact des problématiques de ceux qui les opèrent.
Ce phénomène, ouvert sur la pluralité et la diversité, est régi par un souci de cohérence. Il s’inscrit dans un ordre, organique plus que hiérarchique, où la Vérité révélée se transmet par la médiation de l’Église dont les clercs sont les instruments, transposition magistérielle des rapports du Christ avec ses membres, sur le modèle physiologique du corps physique de l’Homme-Dieu dont l’Église est à la fois la projection mystique – eu égard à l’univers surnaturel qui tient sa réalité de la grâce du Christ Tête – , la transposition institutionnelle – en tant que société humaine qui tient sa réalité de l’exercice du pouvoir régi par le droit – et le Porte-Voix du Verbe, gardienne des Écritures reçues par l’intelligence humaine éclairée par la foi et conditionnée par l’expérience sensible.
Bien au-delà d’une narratologie réductrice, ordo et continuitas sont les maître-mots, sans cesse martelés, de cette exégèse de Tradition: continuité syntaxique qui fixe les gloses flottantes dans un ordre logique ; continuité chronologique qui reconnaît à chaque étape de la Tradition sa valeur et son rôle ; continuité sémantique qui cherche à assurer la conformité de toute proposition à la doctrine commune. Les ‘sens de l’Écriture’ - auxquels on a donné tant d’importance à la suite d’Henri de Lubac - ne sont qu’un aspect de cette construction, toujours actualisée, d’une lecture homogène de la pluralité diachronique des réceptions de la Révélation au service de la stabilité du corps socio-ecclésial. Par le contrôle de la parole sacralisée, devenue instrument de pouvoir social, glossateurs et caténistes préparent les matériaux que les maîtres de la Sacra Pagina passent au feu de la lectio et de la quaestio. L’exégèse médiévale de la Bible se déploie ainsi autour de cette tension entre l’Un du sensus fidei et le multiple de ses expressions.
Caractérisée par des mises en pages complexes, appliquée d’abord à certains livres, principalement le Psautier, le Cantique des Cantiques, le corpus paulinien, la pratique de la bible glosée s’étend sur plus de mille ans. Dans le sillage de la réforme ecclésiastique du 11e siècle, tandis que le Décret de Gratien dressait le cadre d’une orthopraxie juridique holistique placée sous le contrôle du clergé, érigé en corps social dominant, la Glose transmise par le réseau des cloîtres et des écoles couvre pour la première fois tout le canon biblique, et contribue à l’émergence d’une doxa commune. L’École de Laon, sans en avoir lancé la mode, a publié les premiers livres glosés reçus dans les écoles. Mais la Bible glosée ne se réduit pas à la seule Glose dite ordinaire. Instrument généraliste, livre de base de l’enseignement de la théologie, disséminé par morceaux dans des milliers de manuscrits, elle a rapidement suscité, avec des succès divers, des corpus complémentaires, intégraux ou partiels. A la fin du 12e siècle, la Grande glose de Pierre Lombard sur le Psautier et le corpus paulinien remplace celles de Laon et de Gilbert de la Porrée, et couronne six siècles d’un premier Christianisme occidental qui semble avoir préféré le Psautier aux Évangiles.
Au 13e siècle, les postilles d’Hugues de Saint-Cher, puis la Glose dominicaine qui lui a également été attribuée[3], complètent et adaptent la Glose ordinaire à l’itinérance des clercs et aux besoins de la prédication. La Catena aurea de Thomas d’Aquin sur les Évangiles prolonge et dépasse l’effort de Pierre Lombard par l’apport de sources byzantines inédites qui faisaient défaut à la Glose ordinaire. Il offre à l’évangélisme du second Moyen Âge un ouvrage emblématique dont le succès se prolonge jusqu’à nous.
La copie des gloses et des chaînes exégétiques est loin de se réduire à leur reproduction. Elle est plus libre que pour les textes d’auteurs. Les causes en sont multiples sans qu’aucune ne soit suffisante. Comme on vient de le rappeler, les gloses ne sont pas que des citations littérales mais des « sentences ». Inégalement attribuées, elles n’ont pas le même statut autoritatif que les originalia patristiques (même dans les chaînes byzantines). Les mises en pages ouvertes appellent dans les espaces laissés vides, parfois spécialement réglés à cette intention, l’intervention des lecteurs et l’ajout de scholies. La Glose n’est pas un texte figé mais un texte fonctionnel qui, par nature, suscite des interactions conceptuelles et textuelles, catalyseur d’une dynamique de transformation culturelle par assimilation active d’héritages conjonctifs, porteur de sens et d’unité religieuse, sociale, voire politique.
À chaque époque, les larges marges de certains livres bibliques glosés se chargent de productions contemporaines. La Grande Glose de Pierre Lombard, les postilles d’Hugues de Saint-Cher, de Nicolas de Lyre ou d’autres maîtres en théologie connus ou anonymes, la Catena aurea de Thomas d’Aquin, y sont recopiés en tout ou en partie, et s’y accumulent parfois en couches successives. Des grappes de scholies, sentences témoins de l’enseignement, accrochées aux colonnes de certains passages bibliques attirent l’attention sur les centres d’intérêts prioritaires des possesseurs des manuscrits. Assimilées et restituées par le sujet récepteur individuel ou collectif, les mêmes idées, sous des formes syntaxiques analogues, s’y répercutent comme dans un palais plein d’échos, constitutives d’une harmonie commune. Des glissements privilégient, sous l’autorité d’un auteur ancien, l’apport propre du glossateur. Le désordre des rubriques attributives conduit à privilégier l’autorité collective du corpus par rapport à celle des individus, auteurs de sentences ou autorités citées par elles.
Jamais imposée par aucune décision, la Glose des écoles fait autorité et devient ‘ordinaire’ en quelques décennies en raison de son caractère pratique, synthétique et de la large réception qui en a découlé. Elle est révélatrice d’une des façons dont le Christianisme a cherché à gérer sans rupture ni fondamentalisme la tension entre fidélité et renouvellement, luttant contre la sclérose par l’actualisation, sans à coup ni oukase, de son rapport à la Bible, dont le texte évolue aussi, mais à une autre échelle, infinitésimale.
Structure et contenus du site
La structure du site destiné à explorer cette réalité est simple. Les textes édités sont accessibles à partir de l’onglet « Éditions », les référentiels annexes à partir de l’onglet « Instrumenta » : sigles et abréviations d’usage, liste des autorités déclarées par les sentences éditées, bibliographie des éditions et des sources citées, recensement des manuscrits de la Bible glosée, index des graphies normalisées, etc. Une ‘aide à la recherche’ donne des clés d’utilisation. Une ratio editionis explicite les options éditoriales.
Corpus traités
Les corpus en cours de traitement sont - outre la Glose ordinaire et la Bible latine en usage au Moyen-Âge central qui en est indissociable - la Magna glossatura de Pierre Lombard sur les Psaumes et le corpus paulinien, la Catena aurea sur les évangiles de Thomas d’Aquin - de son vrai nom Expositio vel Glossa continua super evangelia -, les postilles d’Hugues de Saint-Cher. À terme, il sera possible soit de lire isolément chacune des œuvres, soit de regrouper toutes les gloses qui concernent le même passage, de manière à rendre visible le déploiement chronologique et spatial de leur herméneutique. Les responsabilités scientifiques, l’état d’avancement des travaux et les principaux témoins manuscrits collationnés figurent en tête de chaque livre biblique. Gloss-e applique des principes éditoriaux communs. Pour chaque œuvre, l’édition usuelle fait office de texte de base, révisé à partir de témoins choisis et signalés. Les postilles d’Hugues de Saint-Cher sont consultables en mode images grâce au travail de Marjorie Burghart ; leur texte, à commencer par les préfaces, est en cours de transcription et d’encodage. Étendu dès 2009 à la problématique des bibles avec commentaires, le programme a intégré l’édition de la Catena aurea, commencée avec Giuseppe Conticello et Fabio Gibiino (2013-2018), et que nous poursuivons désormais avec Adele Di Lorenzo. L’enjeu de l’édition des 12820 sentences de la Catena est l’analyse critique des sources (46% des sentences traitées à ce jour) et la restauration du texte médiéval (25% des sentences collationnées sur 2 à 20 témoins selon les besoins). La Catena a été corrompue par cinq siècles de choix malheureux en raison desquels l’édition de référence (Marietti, Turin, 1953 reprise par l’Index thomisticus et le Corpus thomisticum) empêche de rejoindre l’œuvre originelle et de comprendre ses évolutions au fil de plus de 100 éditions imprimées. Notre édition est publiée provisoirement sous la forme d’un document de travail en PDF régulièrement mis à jour dans l’attente d’une publication en format XML/TEI sur le même modèle que la Glose ordinaire. Les contributions aux apparats de chaque unité textuelle sont signées et datées.
Trois acquis majeurs sont d’ores et déjà à mettre au bénéfice du programme en cours :
- La mise au point d’un standard d’encodage numérique (XML/TEI), adapté aux gloses bibliques, permet, à partir de documents préparés en format ‘Microsoft WORD’, la mise en ligne et l’exploitation des données par champs de recherche appropriés.
- L’identification critique intégrale des sources de la Catena aurea sur l’évangile de Marc, avec texte médiéval restitué, travail novateur par la méthode et les résultats, notamment grâce à l’identification démontrée des chaînes grecques inédites utilisées par Thomas d’Aquin, ouvre le projet sur la problématique des traductions du grec en latin et des relations entre Orient et Occident.
- Le programme vient de franchir un pas important avec la mise en ligne de l’édition intégrale de la Glose ordinaire et de son texte biblique, établie à partir de l’édition princeps, parue vers 1480/1481 à Strasbourg, chez Adolf Rusch (2415 p. in folio)[4].
L’édition de la Glose ordinaire
Cet incunable, dernier état de l’évolution médiévale de la Glose ordinaire, fixe le texte de base des éditions modernes. L’usage et l’autorité de la Glose s’étant prolongés jusqu’au 18e siècle, ses éditions imprimées ont eu autant, sinon plus, d’influence que leurs ancêtres manuscrits. L’ouvrage avait fait l’objet en 1992 d’un facsimilé papier paginé qui comblait une lacune importante (éditions Brepols). Les volumes 113 et 114 de la Patrologie latine de Migne, sans valeur critique, ne donnent à lire que des sentences souvent incomplètes, omettent la glose interlinéaire et le texte biblique. Artefact composé d’images de plusieurs exemplaires incunables, à l’impression de qualité parfois médiocre, les graphies médiévales abrégées, l’association incertaine des gloses avec la bible, l’absence de numérotation des versets bibliques en rendent le référencement et la consultation laborieux. Volumineux, fragile et dispendieux, il est aujourd’hui épuisé.
Notre édition couvre 16’500 pages dont mille de notes en expansion. Elle est loin de reproduire à l’identique l’incunable transcrit à partir de l’exemplaire d’Erfurt confronté au facsimilé et, ponctuellement, à l’exemplaire de Graz. Les textes saisis manuellement et stylés sont en cours de révision et les citations bibliques identifiées (taux d’avancement 54 %). Le texte est structuré par livre et versets bibliques. Chaque changement de colonne est signalé par le rappel de la pagination du facsimilé et un lien vers l’exemplaire d’Erfurt[5]. L’ensemble est en continuelle extension : aux 114’246 sentences de l’incunable - dont la longueur varie de un mot à une page - s’ajoutent déjà 783 gloses inédites, 125 préfaces aux 76 livres de la Bible latine, 12’838 notes de sources et 28’265 notes de critique textuelle dont plus de 20’000 concernent le texte biblique. L’édition est structurée à la fois par les quelque 38000 versets de la Vulgate qui ont été définis au 16e siècle en fonction de la stichométrie des manuscrits hébreux ou grecs, et par plus de 100'000 unités herméneutiques associant le lemme avec ses gloses, leur double apparat et une « déclaration de témoins » (Codd.) indiquant les manuscrits qui les attestent lorsque l’incunable a fait l’objet de collations complémentaires.
Plusieurs affichages sont possibles - édition complète, texte biblique avec ou sans gloses, avec ou sans apparats - afin de faciliter la lecture des textes a campo aperto tout en profitant de la libération des contraintes de la page papier pour offrir des apparats consistants. Les textes sont interrogeables soit par chaînes de caractères dans les corpus sélectionnés (« recherche simple »), soit sous forme de « recherches avancées » à l’intérieur des strates du corpus : texte biblique (par mots ou par références), lemmes bibliques explicités à l’intérieur des sentences, préfaces, sentences éditées, autorités déclarées par les glossateurs, citations bibliques et sources identifiées par l’éditeur, variantes textuelles, manuscrits collationnés, etc. Il est ainsi possible, par exemple, de constituer le dossier de l’utilisation d’une référence biblique sous quelque forme qu’elle soit citée dans l’ensemble du corpus (littérale, ad sensum, vieille latine) ; de constituer le dossier des sentences attribuées par les textes à une autorité ou celui d’une même source identifiée par l’éditeur. On sait à quel point les identifications anciennes peuvent différer des attributions modernes.
Mise en texte
La présentation du texte repose sur l’étude des mises en pages manuscrites de la Glose. Le public non spécialisé n’a souvent en tête que les modèles tardifs du Talmud ou des gloses juridiques qu’il se représente de manière idéalisée. L’étude à grande échelle des manuscrits montre que les même corpus ont fait l’objet de mises en pages très différentes (nous avons identifié une quinzaine de types), que telle glose interlinéaire dans un manuscrit devient marginale dans un autre, que la tendance du Moyen-Âge est de s’affranchir du système des gloses ‘flottantes’ ou disjointes pour les enchâsser dans la continuité d’un texte syntaxiquement construit qui fixe le rapport de la sentence au lemme. Les bibles glosées ont été accusées dès le 11e siècle de rompre la continuité native des textes, atomisée en sentences dispersées dans les marges et l’interligne. Les concepteurs et les utilisateurs de nos bases de données connaissent le même malaise face à la dispersion des éléments du savoir dans des champs censés aider à leur recomposition. Les glossateurs médiévaux ont cherché à éviter cet écueil.
Plus personne ne retiendra l’hypothèse selon laquelle la Glose marginale devrait être attribuée à Walafrid Strabon et l’Interlinéaire à Anselme de Laon. Au Moyen Âge central, la Bible glosée associe des sentences brèves, lexicales, étymologiques ou philologiques – modèle hérité de l’Antiquité – avec des gloses prolixes disjointes, en colonnes filantes, inspirées des chaînes et commentaires encadrants du Haut Moyen Âge latin et byzantin. La Glose s’ouvre et se latéralise, alors que les modèles anciens – préférés par l'Imprimerie – la refermaient sur le pourtour du Texte. L’accumulation des sentences se fait désormais au détriment de la position centrale et de la lisibilité du texte biblique. Ces assemblages sont liés aux conditions matérielles du codex mais aussi aux usages sociaux du livre. En Occident, l’organisation de la page répond d’abord aux besoins monastiques de la lectio divina et de la psalmodie extra liturgique au long cours, avant d’évoluer vers les mises en page « puzzle » du XIIIe siècle qui emboîtent Bible et gloses, sans symétrie, pour faciliter le compactage encyclopédique, dégager des espaces d’annotation et accueillir les scholies magistrales.
Il n’y a donc pas lieu de chercher à reproduire par des artifices la position des gloses sur la page médiévale, en continuelle évolution. Les uns disposent les sentences marginales dans le sens des aiguilles d’une montre, les autres dans le sens inverse, d’autres encore jouent à la marelle entre les espaces blancs ou sautent à pieds-joints à gauche puis à droite du texte biblique. Des notes suffisent à signaler les changements de position qui impactent le sens. Des liens associés aux déclarations de témoins permettent la visualisation des manuscrits. L’espace informatique dispense désormais l’éditeur de la nécessité de calibrer texte biblique et gloses associées en fonction des dimensions de la page matérielle. Alors que dans les manuscrits latins, les sentences sont réparties en fonction de leur taille dans les marges ou dans l’interligne, nous avons opté pour une mise en page qui s’inspire de l’antique schéma de la glose intercalée, le plus simple et le plus plastique, qui insère les sentences, non pas au-dessus ou de part et d’autre, mais simplement au-dessous du lemme concerné. Le statut qu’elles occupent dans l’incunable est à chaque fois précisé (marg. / interl.).
Graphies
La Glose couvre près de dix siècles de pratiques graphiques. De la Genèse à l’Apocalypse, le texte biblique et les gloses écrivent souvent les mêmes mots différemment. L’incunable lui-même n’est pas cohérent. Les graphies ont été normalisées et partiellement modernisées pour faciliter les recherches et alléger l’apparat. Cette opération, terminée pour le texte biblique, est en voie d’achèvement pour la Glose ordinaire ; elle sera menée également pour les autres textes édités de manière à offrir sur l’ensemble du site un texte cohérent. Délicate, elle ne peut être automatisée. Chaque occurrence de chaque forme a donc été confrontée aux données historiques et philologiques, à la Vulgate et à ses apparats critiques, mais aussi à la façon dont le mot a été interprété par les gloses du corpus. Pour guider ce travail, un index des graphies accessible en ligne[6], élaboré au fil des collations, recense près de 4000 formes retenues, associées à leurs formes variantes, certaines fort nombreuses, classées en fonction des principales éditions dépouillées. Les 3000 noms propres ont souvent posé problème, comme le montre l’exemple de Ierameel (forme retenue) qu’on trouve également écrit : Hieramahel, Hieramehel, Hieramel, Hieremahel, Hiramel, Ieramahel, Ieramehel, Ieramel, Ieramuhel, Ieremahel (1 Rg ou 1 Sm 27, 10 ; 1 Par 2, 9.25.26.27.42). Leurs graphies sont tributaires, dès la Vulgate, d’habitudes de translittérations multiples et incohérentes, fondées, tantôt sur la translittération du grec, tantôt sur celle de l’hébreu, sans compter les systèmes propres aux aires linguistiques et aux habitudes de copies des époques traversées par la Glose. Certains formes s’avèrent avoir été créées artificiellement pour éviter la confusion entre des homonymes. Dom Quentin, maître d’œuvre de l’édition de la Vulgate, avait renoncé à les uniformiser (editio maior : Rome, 18 vol., 1926-1995). Dom Weber, qui a apporté la dernière main à l’édition manuelle, n’a relevé le défi que partiellement en privilégiant, avec un bonheur inégal, les graphies carolingiennes (editio minor : Weber-Gryson, Stuttgart, 1994-2018). Nos choix s’en écartent souvent en fonction des usages du Moyen-Âge central et selon des principes explicités dans la ratio editionis. Des notes éclairent les cas problématiques en attendant les améliorations que la critique ne manquera pas de suggérer.
Le traitement différentiel des sources
Les sources ont demandé la mise au point d’un traitement innovant, commun à l’ensemble des œuvres éditées. Il vise à la mise en évidence visuelle et au traitement informatique de l’étagement des héritages imbriqués, de l’apport propre des glossateurs[7] et des interactions entre les corpus. L’apparat privilégie une reproduction généreuse des contextes. Il distingue les sources textuelles ou sources réelles, souvent non déclarées par les auteurs (recueils de sentences, livres glosés, chaînes grecques, etc.) et les sources intellectuelles justifiant, parfois lointainement, l’autorité sous laquelle les sentences sont placées dans les manuscrits. Les mots de la source repris à la lettre sont en caractères gras, les passages réécrits soulignés. Lorsque le texte édité est constitué de citations, les mots propres au glossateur sont en italiques[8]. Les emprunts à la source intellectuelle sont mis en évidence dans le texte de la source réelle, le texte grec des traductions est reproduit en principe. L’ordre original des sources recomposées est indiqué dans le texte édité pour signaler au lecteur le travail du caténiste. On aperçoit alors dans quelle mesure la sentence cite en réalité, sous une autorité, des textes qui n’en proviennent qu’en partie, voire pas du tout. Un apparat négatif mentionne les corpus explorés sans résultat. Des notes rendent compte des cas les plus complexes.
Encore ponctuelle pour la Glose - priorité y ayant été donnée au texte - l’identification des sources est au premier plan de l’édition de la Catena aurea. Dans le cas de sources communes aux deux corpus ou de sentences parallèles, les apparats sont d’ores et déjà harmonisés, révélant à la fois la dépendance et l’originalité de chacun de ces corpus.
Les manuscrits de la Bible glosée
L’édition de l’incunable n’est qu’un point de départ en vue de l’exploration de la diversité des manuscrits de la Bible glosée. Si la Glose ordinaire de certains livres est très stable, d’autres, parmi les plus fréquentés et les premiers glosés, font l’objet de traditions textuelles foisonnantes : le Psautier, le Cantique, l’Apocalypse, le corpus paulinien. Il convient désormais de situer chaque sentence dans le paysage de ses réceptions en précisant les manuscrits qui l’omettent, ceux qui l’attestent et sous quelle forme.
A cette fin, un inventaire des bibles avec commentaires recense, pour chaque livre du canon, tous les manuscrits de toutes les œuvres dont la copie, entre le 6e et le 16e siècle, associe le texte biblique, intégralement reproduit, à un commentaire sous quelque forme de mise en page que ce soit. Cet outil est une des clés du site. Il fait l’objet d’un programme de recherche complémentaire et devrait prendre la forme d’une base de données (GLOSSEM : Glossarum Latinarum Omnium Scripturae Sacrae Elenchus Manuscriptorum). En attendant, les manuscrits sont classés par livre du canon biblique et cotes. On précise pour chacun les feuillets, le contenu textuel, la typologie de la mise en page avec image justificatrice, le milieu social des lecteurs (possesseurs), le sigle utilisé dans l’édition. Au 13e siècle, une Glose ordinaire manuscrite complète comportait entre 9 et 20 volumes selon les systèmes d’assemblage. Les manuscrits reconnus comme appartenant à des ensembles historiques homogènes - aujourd’hui disséminés sous plusieurs cotes de conservation - sont liés par un identifiant propre à chaque série. L’origine géographique et la datation des manuscrits sont indiscutablement des points névralgiques du programme. Mais ces données, relevées dans les catalogues et les publications, reposent sur des appréciations disparates, de qualité inégale, qui évoluent, même au cours de la carrière d’un spécialiste. Nous cherchons à les harmoniser autant que possible en tenant compte des avis et sans nous interdire de proposer plusieurs options. Il serait illusoire de penser qu’un inventaire qui pourrait atteindre à terme les dix mille cotes (estimation haute) puisse être parfaitement cohérent à cet égard. Pour remédier à cet inconvénient, la responsabilité scientifique et la date des corrections apportées sont indiquées en note. Enfin, des liens permettent d’accéder, quand elles existent, aux images numérisées du manuscrit, aux notices codicologiques publiées par les bibliothèques de conservation ou aux catalogues en ligne, et, bientôt, aux informations parallèles des bases de l’IRHT.
GLOSSEM permet de la sorte de réunir la liste des manuscrits inventoriés de chaque version de la Bible glosée pour chaque livre du canon. Il deviendra ainsi possible de cibler, par exemple, les manuscrits de la Glose ordinaire du Lévitique copiés en Allemagne avant 1200 et possédés par des frères mineurs et de rebondir vers les gloses correspondantes, ou même d’extraire les sentences repérées dans une région et à une période données en raison de leur présence dans des manuscrits datés ou datables. A l’heure actuelle, GLOSSEM inventorie 6500 livres bibliques glosés regroupés dans plus de 4500 manuscrits. L’inventaire est quasiment complet pour les manuscrits de la Glose ordinaire conservés en France, ainsi que, tous pays confondus, pour la Glossa media de Gilbert de la Porrée, la Glossa magna de Pierre Lombard, les postilles d’Hugues de Saint-Cher et la Catena de Thomas d’Aquin. La liste des catalogues dépouillés est publiée en annexe.
L’instrument sera d’autant plus efficace que l’on aura multiplié les collations et les observations directes sur les provenances et les dates, ainsi que l’identification des textes. La description des mises en pages précisera en priorité la position respective du lemme et des gloses, selon une typologie simplifiée, plus révélatrice de l’identité et du statut des gloses que les fastidieux relevés de réglures. Ce travail s’annonce encore long en raison de la confusion qui règne dans les catalogues, tant au sujet de l’identification des textes que de la description des mises en pages. Le mot même de ‘glose’ est encore souvent utilisé improprement pour désigner des manchettes ou des apparats marginaux (références bibliques, corrections) qui n’ont rien à voir avec des sentences exégétiques. L’inventaire, adossé à des sondages textuels, aidera donc, espérons-le, à faire la part entre les versions de la Glose. Le concept de « gloses périmées », développée par Beryl Smalley, semble devoir être utilisé avec précaution, tant il est vrai qu’au Moyen-Âge rien n’est jamais périmé et qu’il ne faut jamais dire ‘jamais’ : tout s’accumule et se combine - certes avec des succès inégaux - en d’incessantes subductions. La mise en ligne des manuscrits et l’édition des documents aideront à démêler cet écheveau.
Le texte biblique
Last but not least, éditer la Glose c’est bien sûr éditer la Bible. Les deux se font écho, leurs frontières sont poreuses. Le texte scripturaire de la Bible glosée est celui qui fait l’objet à l’Université de l’enseignement des maîtres de la Théologie. On suppose qu’ile a servi de base à l’établissement de la Vulgate ‘parisienne’ diffusée dans les bibles portatives[9]. Les correctoires bibliques du 13e siècle renvoient à la Glose ordinaire comme à un témoin du texte biblique. Ils associent aux variantes de la Bible des explications qui complètent la Glose. Les bibles glosées offrent les premiers apparats textuels de la Bible latine. Quantité de gloses relaient les variantes de la Vulgate diffusées par la liturgie, les écrits patristiques, les manuscrits de la Bible, certaines omises par les éditeurs.
Au 13e siècle, dans un contexte de réinvention des instruments et des pratiques de la théologie, concordances et correctoires aident à systématiser le traitement des lieux parallèles et des aliae litterae dispersés dans la Glose ordinaire[10]. La bible d’étude acquiert son autonomie codicologique par rapport à la Bible glosée[11] ; son texte évolue, à la fois pour des raisons pratiques et par souci d’authenticité, puis réintègre la Glose ordinaire au fil des copies. Avant la fin du siècle, le texte biblique de la Glose de Paris n’est plus tout à fait celui de la Glose de Laon. Devenue trop chère pour le petit peuple des étudiants, elle émigre par morceaux choisis dans les marges des bibles portatives et cesse même d’être vendue par les stationnaires[12]. Texte biblique de la Glose et texte biblique diffusé à part de la Glose, sinon à partir d’elle, doivent être étudiés de concert ; ils demeurent difficiles à cerner.
Le besoin d’une édition scientifique donnant accès aux versions de la Bible en usage au Moyen-Âge central se fait d’autant plus sentir que les médiévistes doivent encore se contenter à ce jour de l’édition critique de la Vulgate hiéronimienne et de l’édition Sixto-Clémentine publiée en 1592-1594 à la suite du concile de Trente. Or les traductions de saint Jérôme et celles qui y ont été assimilées ne donnent accès qu’au point de départ des évolutions médiévales de la Vulgate. Témoin dégénéré au regard des objectifs fixés par Dom Quention à l’édition critique de la Vulgate, la Glose n’est pas prise en prise en compte dans ses apparats[13] ; l’édition manuelle qu’en a procurée Dom Weber néglige encore davantage l’essentiel des témoins du Moyen-Âge central, tandis que la Sixto-Clémentine est une version humanistique fortement remaniée.
Sans anticiper sur les recherches en cours et les collations à venir, il faut redire ici que les manuscrits du 13e siècle ne répondent pas à l’idée « d’une Bible en uniforme » si justement dénoncée par Guy Lobrichon, qui éclate comme une bulle de savon dès qu’on croit la saisir[14]. L’absence de document-type, malgré le nombre incalculable de manuscrits produits à Paris et quelques correctoires à l’interprétation difficile, est révélatrice d’un malaise concernant le concept même du ‘texte parisien’. « Existe-t-il vraiment ? » s’interroge Gilbert Dahan[15]. Déjà Roger Bacon et les correctoires acquis par Pierre de Limoges (Paris, BnF, lat. 15554) renvoient non pas à un seul mais à une pluralité de textes « parisiens»[16]. Certes, les bibles copiées au tournant du 13e siècle accusent des remaniements (capitulations, préfaces, ordre des livres, textes omis, corrections, réduction des formats adaptés à la mobilité des clercs) qui esquissent les contours d’un type de bible « à la mode de Paris ». Mais il est difficile de trouver des manuscrits qui reproduisent, au-delà de ces caractéristiques externes, un modèle textuel spécifique, malgré de rares bibles portant des marques de pecia (en cours d’analyse).
Partout en Europe, la Bible assimile à petites gorgées des influences venues d’horizons institutionnels et géographiques divers. Du 12e siècle jusqu’à la promulgation de la Sixto-Clémentine, le texte de la Vulgate copié à Paris apparaît comme un écheveau interpolé d’influences vieilles latines, alcuiniennes, théodulphiennes, que les stationnaires - correcteurs ‘corrupteurs’ - ont eu tendance à fixer dans leur désordre tandis que les érudits - correcteurs critiques - cherchent à les distinguer. Progressivement, au fil des copies, le texte évolue empiriquement vers la restauration d’un idéal « pré-carolingien » (Hugues de Saint-Cher)[17] - plutôt qu’Alcuinien - dont les contours imprécis se dessinent par confrontation des manuscrits modernes aux anciens, aux Pères et surtout à l’hébreu et au grec. Cette tendance positive se heurte à un certain conservatisme à l’égard des leçons héritées des traditions locales, plus ou moins fort selon le statut et la destination des bibles (bibles glosées, liturgiques, d’étude, etc. ). Ce conservatisme est contrarié à son tour par les brassages en tous genres provoqués par les mobilités étudiantes, l’itinérance des clercs, les réseaux dess studia mendiants, les déplacements de polarités culturelles et politiques induits par le déclin de l’université de Paris et les déplacements de la cour pontificale. La cohérence du texte biblique en usage dans les ordres les plus centralisés, cisterciens, chartreux et dominicains, est perturbée par des influences extérieures (livres donnés, adaptés, particularismes régionaux). Les réussites sont plus ou moins heureuses selon la façon dont les éditeurs médiévaux utilisent les sources à disposition. Elles vont de textes corrompus, mais fidèles à des modèles d’ateliers, jusqu’à des textes de grande qualité qui anticipent parfois la critique moderne, comme le livre des Proverbes de la bible Porta (ΩP), soeur méconnue de la bible des dominicains de Lille (ΩL), corrigée avec plus de soin encore par Michel de Neuvireuil (Novirella) et copiée par Guillaume de Sens en 1264[18]. Le premier texte des évangiles diffusé à Paris par exemplar et pecia avec la Catena aurea de Thomas d’Aquin présente avec elle d’intrigants accords.
La Bible du 13e siècle qu’on croit parisienne ou universitaire par illusion d’optique n’est ni uniforme, ni propre au 13e siècle, ni spécifiquement universitaire, ni exclusivement parisienne. Elle est la résultante de toutes les sources évoquées ici : livres glosés, bibles corrigées, correctoires-apparats, listes de corrections, exemplars liturgiques. Studia, écoles, universités, ordres religieux nouveaux, novi theologi, stationnarii uxorati et illiterati, tous ont contribué à l’effort général.
Autant d’éléments qui invalident le mythe d’une bible ‘parisienne’ et ‘universitaire’ typique prenant la forme d’un exemplar universitaire unique. Il s’agit là de l’horizon du processus, non de son point de départ. En attendant, la livrée est trop étroite pour un texte qui mettra quatre siècles à prendre forme au fil d’incessantes corrections dans le creuset des écoles, des réformes liturgiques et du commerce du livre, aspiré dans toute l’Europe par les réseaux scolaires et religieux.
Ces remarques incitent plutôt à élargir la famille Ω de l’editio maior[19] et ses sous-familles aux bibles relevant du processus de correction - entendu comme gestion du patrimoine de la diversité textuelle – intimement lié à l’activité des maîtres de la Parole qui ont érigé la Sacra Pagina au cœur du système de contrôle du savoir religieux dans la chaire des écoles et dans celle des églises.
Le texte biblique de base de notre édition est celui de l’édition princeps de la Glose (Rusch). Nous l’avons dans un premier temps collationné avec l’editio minor de Weber dont les leçons les plus corrigées ou les moins répandues au 13e siècle sont reportées en apparat[20]. Mais notre dessein est de procurer à terme une édition du texte médiéval ‘majoritaire’ de la Bible[21]. Les versions latines en circulation entre le 11e et le 16e siècle posent problème en raison de leur nombre et des interpolations infinies qui les rendent rétives par principe à toute stemmatologie même numérique. Pourtant, la prise de conscience de cette diversité ne doit pas faire oublier l’existence d’un accord fondamental que les particularités accidentelles ne brisent pas. Le brassage des textes enclenché à l’échelle de l’Europe par la refondation intellectuelle des élites aux 12e et 13e siècles a fait germer la conscience d’une « littera communis »[22] surnageant au-dessus de la mer des variantes. Cet accord ne se réduit pas aux traits externes de la Bible « à la mode de Paris ». Le processus de correction qui caractérise l’histoire de la Bible des écoles a cherché à consolider et à étendre cet accord fondamental, avec les moyens limités des pratiques médiévales de l’écrit. Les variations tolérables ont été rattachées à des catégories (moderni, antiqui, hebrei, greci, Patres, correctiones, etc.) dont la connaissance, diffusée par les correctoires, aidait à éliminer les variantes accidentelles et à stabiliser une Textura à la fois unique et polychrome pour rejoindre l’unité du sens supérieure à l’uniformité de la lettre.
C’est ce texte reçu, accessible au plus grand nombre, rejeté par les éditions du texte critique - minoritaire - de la Vulgate, qu’il importe de restituer à partir des apparats de l’editio maior, complétés par collation de témoins remarquables en usage dans les ordres religieux, les studia mendiants, les écoles et les universités. Au lieu d’égrener les sondages dans des publications éparses, il importe de les réunir. Nos apparats voudraient aider à situer les principales leçons du texte médiéval par rapport aux témoins historiques pris en compte par l’editio maior de la Vulgate, aux exemplars des ordres religieux, aux catégories des correctoires, à des manuscrits inédits des recensions de la Bible des 12e et 13e siècles. Le Psautier, le livre des Proverbes, les quatre évangiles, l’épître à Philémon ont d’ores et déjà été confrontés systématiquement avec des témoins inédits de la Bible parisienne, en plus des trois manuscrits Ω de l’editio maior. Un texte ‘majoritaire’ reconstitué (forcément artificiel) est particulièrement nécessaire pour le Psautier et le Nouveau Testament. Il s’agit moins de « rejeter » des « erreurs » que d’organiser des « lectures » en privilégiant celles qui ont fait l’objet d’une réception majoritaire attestée par les principaux témoins de l’édition critique et des manuscrits complémentaires retenus. Les éditions critiques du Psautier gallican restituent en effet un texte rare qui n’a jamais été utilisé par la liturgie, établi sur la base des leçons d’un archétype souvent hypothétique. Notre édition de la ‘Bible médiévale’ (appelons-la ainsi pour la distinguer des versions vieilles latines ou pré hiéronymiennes, de la vulgate hiéronymienne et des bibles humanistes post-incunables) rétablit les leçons attestées par la majorité des témoins et des familles textuelles de l’apparat critique de l’editio maior. Elle met en évidence la lenteur et la complexité du remplacement du Psautier romain par le Psautier gallican. De la seconde moitié du 9e siècle jusqu’à la fin du 20e siècle, ce dernier s’étend par capillarité, à l’image de taches inégalement réparties sur la carte de l’Europe, non par remplacement pur et définitif d’une version par une autre, mais par gallicanisation progressive, hésitante et paradoxale des leçons du Psautier romain, ancré si fort dans les usages et les mémoires, balloté au fil des copies, oscillant, avec le Moyen-Âge, entre les deux axes de la Chrétienté bicéphale : ‘gallican’, germanique ou impérial d’une part, romain et pontifical d’autre part. La division des versets quasi stabilisée par la psalmodie liturgique alternée, dotée d’une numérotation propre en chiffres romains, est restituée. Les leçons écartées et les principales variantes de la versification sont indiquées en apparats. Quant aux évangiles, la dissolution de la communauté des éditeurs bénédictins de Saint-Jérôme in Urbe (1984) et, d’une certaine façon, la « Nouvelle Vulgate »[23], ont empêché l’édition critique du texte vulgate du Nouveau Testament. L’editio minor précitée pallie ce manque, mais elle ne tient pas compte des témoins Ω ni des correctoires. D’une façon générale, ses apparats, trop allégés, sont trompeurs et inadaptés à l’étude des textes du Moyen Âge central. L’édition Wordsworth (Oxford, 1889-1954) reste la meilleure d’un point de vue critique dans la mesure où la plupart des leçons variantes rencontrées dans les manuscrits y trouvent une attestation. Mais elle est établie sur des textes surtout insulaires et, pour les périodes basses, elle est inadaptée à l’étude des textes du Moyen-Âge des écoles ; elle ignore la famille Ω et les témoins tardifs[24]. Notre texte des évangiles donne donc en apparat du texte de Rusch, outre les leçons de l’editio minor, les variantes du texte biblique diffusé par exemplar et pecia d’après les manuscrits Linz, Stiftsbibliothek 446 à 449 retenus comme témoin privilégié de notre édition de la Catena aurea. Nous y avons ajouté les leçons du correctoire de la Bible de Saint-Jacques de Paris (Paris, BnF, lat. 16722, sigle : Cor3) et les résultats de nombreux sondages appelés à s’étendre à d’autres correctoires et manuscrits.
Editions pragmatiques et outil numérique
Gloss-e voudrait surtout répondre aux souhaits exprimés par Louis-Jacques Bataillon et Marc Bloch, maîtres de l’histoire des textes de l’ère pré-numérique, qui réclamaient en « urgence » un « système nouveau » pour les textes inaccessibles ou inédits :
« Il y a quelque chose d’inquiétant à songer que jusqu’ici on s’est surtout préoccupé de nous donner des éditions nouvelles […] de documents qui, dans leur immense majorité, étaient déjà publiés, alors que tant d’inédits [...] dorment encore […]. Même si l’on décide de s’en tenir, pour les époques anciennes, à la rigueur devenue traditionnelle, il y aura lieu de songer sérieusement à adopter, pour des périodes moins reculées, un système nouveau, qui permette de faire vite. Point de problème d’équipement historique plus urgent que celui-là ». [25]
L’informatique laisse espérer qu’on puisse se rapprocher de ces objectifs par des éditions ‘’pragmatiques’’, sans renoncer à la rigueur de l’appareillage critique, en intégrant la progressivité et la périodicité à la stratégie d’édition, en privilégiant l’analyse de la circulation historique des sentences, étudiées à la lumière de témoins choisis, plutôt que la reconstitution stemmatique des archétypes. S’agissant de textes copiés parfois par milliers, sans cesse remaniés par interférence avec des sources qui jouent un rôle philologique majeur, la méthode stemmatique n’est pas forcément la plus pertinente. L’ecdotique de la Bible glosée doit privilégier les variations macro-structurelles et leur mise en situation historique. L’attention aux variantes textuelles importe peut-être moins qu’un classement par ensembles de sentences attestées - ajoutées, amputées, complétées, omises - révélateurs de courants herméneutiques associés à des milieux producteurs (identifiables grâce à l’origine des manuscrits) et récepteurs (identifiables grâce aux provenances anciennes des manuscrits). On observera alors, par exemple, que le noyau des sentences communes à tous les manuscrits de la Glose de Laon sur les Psaumes correspond à la quasi intégralité des sentences des manuscrits identifiés par Patricia Stirnemann comme les plus anciens[26]. Mais à l’intérieur d’une sentence, la majorité des écarts constatés entre les témoins change peu de choses à la signification des textes. Des scholies, portant sur le même lemme et véhiculant la même idée, sont reformulées avec liberté. À tout moment, la connaissance des originalia patristiques conduit les copistes à des interpolations qui court-circuitent l’analyse stemmatique. Le phénomène se vérifie surtout dans la Glose ordinaire. L’édition des gloses de la Bible doit pour le moins permettre de croiser les deux approches sans faire l’impasse sur les apories révélées par la critique sans laquelle ni l’exégèse ‘confessante’, ni la linguistique, ni la théologie ne sauraient proposer d’interprétation pertinente.
Renouveler les corpus, éviter - sous peine d’abâtardissement culturel - le psittacisme numérique de sites inutilement redondants est une chose, appliquer à l’acquis les schémas de l’analyse numérique en est une autre. L’entreprise est d’autant plus délicate que la crise de la transmission des savoirs fondamentaux affecte jusqu’à la gestion technique des supports numériques nécessaires à l’édition. Gloss-e se situe dans un rapport utilitaire au numérique. Il recourt aux nouvelles technologies pour explorer l’humain, sans le réduire à des données chiffrées ou le contraindre par des présupposés cryptés qui ne peuvent que l’enfermer, par tautologie épistémologique, dans la logique mathématique et la matérialité du quantifiable, fût-il électronique. Le concept même d’« humanités numériques » relèverait de la quadrature du cercle s’il cherchait une mise en adéquation réductrice de l’humain et du nombre, de l’abstraction mathématique et de l’abstraction conceptuelle. Attentif, sans inféodation, aux souhaits de l’herméneutique biblique historique d’un Gilbert Dahan, et à la réflexion philosophique d’un Paul Ricœur, nous avons voulu laisser ouvert, le plus largement possible, le champ des lectures et des interactions humaines, tant il est vrai que la tentation d’encodages trop fins risque d’enliser aussi bien le travail éditorial que l’analyse intellectuelle dans des ornières d’autant plus pernicieuses que l’esthétique des valorisations informatiques transforme en miroir aux alouettes des bases de données pré-orientées et inégalement exhaustives ou renseignées. Les dispositifs d’analyse et d’apprentissages artificiels automatisés - qu’un étrange raccourci qualifie d’intelligence - n’interviennent pas au niveau où nous nous situons. Le défi qu’il nous faut relever consiste dans l’acquisition et la structuration des données, et dans la réflexion destinée à mettre l’intelligence artificielle pré-normée sur les rails de sa future et relative autonomie. Le numérique est donc utilisé ici comme un levier, non comme une fin, en vue d’aider à l’édition et à la confrontation des textes. L’encodage XML/TEI a été réduit aux éléments fonctionnels et structurants. Il ouvrira à terme aux sciences cognitives des horizons nouveaux: statistiques, nuages de mots, cartes interactives, réseaux ‘neuronaux’, opérations inaccessibles aux facultés naturelles. Le traitement du big data documentaire ne peut se passer de l’aide du numérique. Pour ne pas brûler les étapes, il importe de ne pas abdiquer l’effort de conceptualisation dont peuvent détourner certains ‘joujoux’ informatiques. L’attention au texte doit rester première. Les deux démarches doivent avancer ensemble. Sans corpus témoin, sans réflexion fondamentale, l’indispensable croisement des sources perd sa valeur et l’histoire manque son but : la construction de la mémoire et du sens, la compréhension du phénomène humain.
Retour sur expérience
Enfin, Gloss-e est une entreprise collective et un jeu de patience. Suggérée dès 1999 par Louis-Jacques Bataillon[27], l’initiative de l’édition incunable de la Glose revient à Nicole Bériou et Marjorie Burghart qui nous ont associé dès 2006 au lancement du projet effectué dans le cadre du CIHAM de Lyon et à une large consultation internationale. Nous l’avons bientôt pris en charge. Depuis 2015, nous en poursuivons le développement et le suivi avec l’appui du LEM et de l’IRHT. Une dizaine d’institutions, une trentaine de collaborateurs se sont déjà relayés dont on trouvera les noms dans le colophon du site. La réalisation du programme exige de l’adapter sans cesse aux ressources humaines, à la technologie, aux résultats de l’expérience surtout. La transcription de l’incunable par reconnaissance optique pose des difficultés encore insurmontées en raison de l’irrégularité de la segmentation des gloses. Le développement d’une interface d’encodage direct adapté à l’édition des gloses en XML/TEI est toujours à l’étude. L’ergonomie est une condition indispensable à l’attention au sens des textes, sans laquelle il n’y a pas d’édition qui vaille. Si surprenant que cela puisse paraître, la saisie et le pré-encodage des données en format « Microsoft WORD », converties, dans un second temps, en XML/TEI grâce à une feuille de transformation XSLT en voie d’automatisation, a été une solution pragmatique plus efficace que le recours aux logiciels libres et plus ergonomique que l’encodage direct. Malgré le risque du syndrome de Pénélope qui guette toujours une certaine érudition perfectionniste et cosmétique, elle laisse la possibilité d’amender et d’enrichir tout en gardant la maîtrise des données jusqu’au seuil de la publication. Ni ‘lavoro di certosino’ ni même travail de bénédictin, la transcription des livres les plus complexes a bénéficié de la régularité d’une carmélite, plus efficace qu’un ordinateur pour résoudre les abréviations latines. Les micro-financements partenariaux annualisés sont un facteur d’instabilité des équipes, de stress et de lourdeur administrative, mais aussi une incitation à l’optimisation de l’effort. Le développement et la mise en ligne restent des points de fragilité. Le moteur de recherches n’est opérationnel à cette heure que pour la Glose ordinaire. Son application à tous les corpus édités, la recherche par opérateurs booléens, l’attribution d’une URL propre à chaque unité textuelle, l’amélioration des fonctionnalités du site dépendent de mécénats et de financements futurs. Les collaborations scientifiques qui font l’intérêt de ce travail d’horloger ont besoin d’être stimulées et mieux valorisées que par les discrètes signatures qui garantissent la traçabilité des interventions. Les bonnes volontés de suffisent plus, le bricolage n’est plus possible. Les laboratoires de sciences humaines souffrent d’une pénurie récurrente des techniciens, qui sont pourtant indispensables à la constitution d’équipes stables et de haut niveau, où les compétences complémentaires sont adaptées aux processus éditoriaux complexes mis en œuvre.
***
Les mille chemins ouverts par la Glose rappellent que la Bible n’a rien d’un livre acheiropoïète. La toile numérique ne lui est pas moins adaptée que les tables de pierre de Moïse, réduites en miettes sur le Sinaï mais toujours inscrites dans la conscience humaine dont elles ont pris la forme autant qu’elles l’ont formée. Réseau de fils croisés porteur de sens, sa continuité est moins le fait de signes immuables et univoques que de la transmission polysémique de la mémoire d’expériences fondatrices convergentes. On l’aura compris : il en va du développement historique de la Bible glosée comme de celui des buissons qu’à saisons régulières le jardinier rabat selon ses gabarits, mais que la nature redéploie aussitôt selon ses besoins, laissant tel rameau se dessécher tandis qu’un autre fleurit. Gloss-e prend son rang dans ce cycle cosmique, espérant porter son fruit avant d’en subir la loi. L’intelligence naturelle du vieil homo sapiens a encore beaucoup à découvrir avant d’être supplantée par l’intelligence artificielle de l’homme bionique en gestation, dont nul ne sait s’il aura accès aux forces de l’esprit ou en ressentira même le désir.
Martin Morard (CNRS - Institut de recherche et d’histoire des textes)[28]
[1] Une version de ce texte a été publiée sous le titre Martin Morard, « Pour une lecture panoramique de la Bible latine glosée. Le programme Glossae Sacrae Scripturae electronicae », Revue Mabillon, n. s., t. 30 (= t. 91), 2019, p. 209-225. dans la Revue Mabillon, n. s., t. 30 (= t. 91), 2019, p. 209-225.
[3] Dans les années 1235-1240, ces postilles sont mises en circulation sans texte biblique ; une décennie plus tard, la majorité des manuscrits de la Glose dominicaine qui leur fait suite propose un texte biblique intégral.
[5] Bibliothèque numérique de l’université d’Erfurt-Gotha (URMEL), cotes d’exemplaire : Erfurt/Gotha, Universitäts- und Forschungsbibliothek, t. 1 : Inc 00083 (01) ; t. 2 : Inc 00083 (02) ; t. 3 : Inc 00083 (03) ; t. 4 : Mon.typ s.l.et a. 2° 00011, in : Thüringer Universitäts- und Landesbibliothek Jena (ThULB) und weiterer Partner, URMEL (Universal Multimedia Electronic Library).
[10] Voir les exemplaires de la Magna Glosatura diffusés selon le modèle d’Herbert de Bosham (ici note 8).
[11] Humbert de Romans, Expositio super constitutiones, c. 13.3, dans Opera de vita regulari, t. 2, p. 265 place en tête des livres qui doivent figurer dans les bibliothèques conventuelles « Biblia glossata in toto vel in parte, Biblia sine glossis ».
[13] Cf. H. Quentin, Mémoire pour l’établissement de la Vulgate, Rome, 1922, p. 6, 385-389.
[14] G. Lobrichon, « Les éditions de la Bible latine dans les universités du xiiie siècle », in G. Cremascoli, F. Santi ed., La Bibbia del XIII secolo. Storia del testo, storia dell'esegesi, Firenze, 2004, p. 15-34, ici p. 34.
[15] Cf. notamment G. Dahan, « Les éditions des commentaires bibliques de saint Thomas d’Aquin. Leur apport à la connaissance du texte de la Bible du XIIIe siècle », Rev. Sc. ph. th. 89 (2005), p. 9-15, en particulier p. 11 : « Quelle est l’origine exacte de ce ‘texte parisien’ ? Du reste, existe-t-il vraiment ? [...] Aucun des savants qui se sont intéressés à la question n’a approfondi la question du texte lui-même », et n. 13 où l’auteur nuance ce qu’il a écrit à propos de l’origine alcuinienne du texte parisien dans L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, XIIe-XIIIe s., Paris, 1999, p. 161-238. Cf. aussi G. Lobrichon, « Les éditions de la Bible latine dans les universités du xiiie siècle », in G. Cremascoli, F. Santi ed., La Bibbia del XIII secolo. Storia del testo, storia dell'esegesi, Firenze, 2004, p. 15-34.
[16] V. g. Rober Bacon, Opus minus, ed. Brewer, p. 333 : « Novi theologi non habuerunt posse examinandi exemplaria et crediderunt stationariis a principio ».
[17] Cf. Hugues de Saint-Cher, Correctorium, préface « Quoniam super omnes scripturas verba » (SOPMA n° 1986) : « ... quantum in brevi potuimus ex glosis beati Ieronymi et aliorum doctorum et ex libris Hebreorum et antiquissimis exemplaribus que etiam ante tempora Karoli magni scripta fuerunt. [...] Neque enim, ut dicit Ieronymus, sic nova cudimus ut vetera destruamus, sed magis vetera statuentes quedam nova vitio scriptorum in textu de glosis et postillis inserta vel etiam per quorundam inperitiam depravata non nostra sed aliorum maiorum auctoritate resecanda monstramus » (éd. H. Denifle, « Die Handschriften der Bibel-Correctorien des 13. Jahrhunderts », Archiv für Litteratur und Kirchengeschichte des Mittelalters, 4, 1888, p. 263-311, 471-601, ici p. 293.
[18] Cf. R. H. & M. A. Rouse, Illiterati et uxorati. Manuscripts and their makers : commercial book producers in medieval Paris, 1200-1500, 2 vol., London, 2000, en particulier, t. 1, p. 81-85, 349, n. 90, fig. 12, t. 2, p. 45 ; à la bibliographie citée, ajouter Pamela Robinson, The History of the Book in the West : 400AD-1455, Farnham, 2010, p. 279-281 ; Walter Simons, « Neuvireuil (Novirella), Michaël van (de) », Nationaal Biografisch Woordenboek, t. 12, Brussels, 1987, p. 564-567.
[19] Dom Quentin a retenu sous ce sigle trois manuscrits (ΩM ΩS ΩJ) pour aider à cerner le texte du 13e siècle, en raison de leur accord essentiel avec la Bible de Gutenberg (Ed1455) dont on pensait à tort qu’elle était la fixation typographique de la Bible de l’Université du 13e siècle. Certains parmi les meilleurs s’y sont laissé prendre. Ainsi, il n’est pas exact de dire que « les Biblia parisiensia, abondamment diffusées par l’Université et la libraire parisiennes à partir du 13e siècle, comportent normalement quatre livres d’Esdras » (P.-M. Bogaert, « Les livres d’Esdras et leur numérotation dans l’histoire du canon de la Bible latine », Revue bénédictine, 110 (2000), p. 5-26, ici p. 5, 7, 11). L’adoption de 3Esr. a donné lieu à des hésitations ; il est passé sous silence par les correctoires et les postilles manuscrites d’Hugues de Saint-Cher. L’ajout de 4 Esr. est très tardif ; son entrée dans le corpus de la Vulgate n’est stabilisée qu’à partir de la Bible de Gutenberg. A ce sujet, voir M. Morard, "Esdras et la Bible parisienne", dans Sacra Pagina, 13/09/2018, https://big.hypotheses.org/1287.
[20] Je rendrai compte en détail du résultat de ce travail dans une publication ultérieure.
[21] J’utilise l’expression « texte majoritaire » par analogie avec une notion familière aux spécialistes de la critique textuelle biblique.
[22] Cf. Paris, BnF, lat. 15554, f. 167v ; G. Dahan, «Sorbonne II. Un correctoire biblique de la seconde moitié du XIIIe s.», dans La Bibbia del XIII secolo. Storia del testo, storia dell’esegesi, Firenze, 2004, p. 113-153, ici p. 135.
[23] Nova Vulgata Bibliorum Sacrorum editio, Rome, editio typica altera, 1987 : édition typique de la Bible en latin, promulguée par la constitution apostolique Thesaurus Scripturarum de Jean-Paul II (25 avril 1979) pour remplacer la Sixto-Clémentine dans l’usage courant de l’Eglise catholique ; établie à partir de témoins hébreux et grecs retenus par la critique moderne, elle n’est pas destinée à l’étude de la Vulgate historique.
[27] L.-J. Bataillon, « La Bible au XIIIe siècle: une incitation aux recherches de demain », dans La Bibbia del XIII secolo, 2004, op. cit., p. 4 : « Le texte latin de la Glose complète nécessiterait à lui seul à peu près 25'000 pages et sans doute plusieurs décennies de travail, sinon plusieurs siècles. Il faudrait peut-être envisager des éditions provisoires sur Internet, ce qui ne paraît pas impossible ».