Le prologue du correctoire biblique de Guillaume de Mara

page créée le 28.8.2024, mise à jour le 19.10.2024

Correctoire de Guillaume de Mara, ms Cor2F(Florence)

=> vers l'édition du prologue

¶témoins du correctoire Litterarum collationnés :     
Cor2F : Firenze, BML, Plut.25.sin.4, prov. Santa Croce, OFM, f. 124 ;
- Cor2J : Gerusalemme, Biblioteca Generale della Custodia di Terra Santa, Manoscritti latini (MS) 9, f. 1r.       
- Cor2O : Olomouc, Vědecká knihovna v Olomouci, ms. M I 274, s14 ½, f. 1r inc. mutil. a Nm. 9.         
- Cor2Pi : Pisa, Biblioteca Catheriniana, ms. 170, f. 1r, s 13 4/4 : Correctorium Cor2 sine « Quoniam quedam »
- Cor2T : Toulouse, BM, ms. 402, prov. Dominique Grima OP > Jacobins de Toulouse, s14 2/4.              
- Cor2: BAV, Vat. lat. 3466, prov. Monte Oliveto, OSB, fin du 13e s. ;
- Cor2W : Wien, ÖNB, cod. 1612, prov. Wien, couvent des dominicains f. 66r1-v2 ; Correctorium Cor2 sine « Quoniam quedam »            
- Denifle : Ed. H. Denifle, « Die Handschriften der Bible-Correctorien des 13. Jahrhunderts », Archiv für Literatur und Kirchengeschichte », 1888, p. 295-297.           
-
non vidi Cor2Pe :  Perugia, Biblioteca Capitolare di San Lorenzo, ms. 36, f. 1-56 : Correctorium ; f. 57r–85ra : Quoniam quedam.          

Les apparats de la Biblia communis ou Vulgate du Moyen Âge tardif, éditée sur le site Sacra Pagina, indiquent les leçons des correctoires bibliques, dont le correctoire franciscain attribué à Guillaume de Mara. L’editio maior de la Vulgate de l’Ancien Testament le faisait déjà partiellement. Rien de tel n’existe à ce jour pour le Nouveau Testament. Nos citations sont encore très incomplètes.

Nous publions ici à partir de sept manuscrits la préface du correctoire franciscain Litterarum scripturarum, attribué à Guillaume de Mara par la doxa historiographique, éditée pour la première fois par Denifle en 1888 à partir de deux manuscrits.

Ce texte est de première importance pour la compréhension des évolutions du Texte de la Vulgate tardive. Le paragraphe 3 énonce la règle d’or de l’établissement du texte critique de la Bible latine lorsqu’il rappelle           
1° primat du sens sur la lettre même des langues primaires,       
2° la valeur traditionnelle des traditions conservées auprès des principaux sièges épiscopaux de l’Occident et leur préséance sur les corrections intempestives effectuées sous prétexte de respect de la syntaxe des langues primaires.   
3° la priorité de la Lettre commune sur la traduction littérale des langues « primaires ».

« 5. La Lettre commune - qui se trouve dans les antiques manuscrits des sièges apostoliques auxquels saint Augustin prescrit de recourrir pour établir la vérité de la Lettre, ou dans d’autres volumes par ailleurs approuvés - ne doit pas être modifiée par les Latins en raison de la seule lettre hébraïque ou grecque, lorsqu’elle garde incorrumpu le sens et l’ensemble (vel in summa) de la langue primaire à partir de laquelle la traduction est faite.    
6. N’en viens donc pas à détruire le Canon des Latins par souci des expressions d’une langue étrangère, toi qui, ignorant la force de la traduction, t’es pris pour l’autorité de la sainte Eglise jusqu’à ce que tu aies compris ce que tu crois ».

La Lettre commune ne se trouve par conséquent dans aucun volume particulier mais elle doit être établie à partir de certains témoins. Une fois reconnu le texte qui leur est commun, celle-ci ne doit être corrigée que si elle s’écarte du sens. Elle suppose donc une exégèse qui explicite le consensus de l’intelligence de la foi. La correction à partir des langues anciennes n’intervient que dans un troisième temps et à ces conditions.

* * *

Notre édition diffère du texte de Denifle. Elle identifie les citations bibliques et normalise les graphies et références bibliques selon les principes éditoriaux du site. Denifle avait retenu le texte de V3466 = Cor2V, en le corrigeant parfois, sans le dire, à partir du manuscruts de Santa Croce (Cor2F). Or le manuscrit de Florence est de première importance parce qu’il est aussi paléographiquement le plus ancien des témoins conservés, sous réserve d’un recensement plus complet (voir en fin de page). Malgré de nombreuses cacographies et erreurs de lecture, le texte qu’il propose est peut-être meilleur que celui des témoins de la version vulgate du correctoire à partir de laquelle il a été corrigé, peu après sa copie. C’est cette version corrigée que Denifle a retenue.

Son origine franciscaine, au sein du cercle érudit des familiers de Roger Bacon, semble difficilement contestable. Des parallèles étroits existent entre le texte du correctoire et le dossier exétique franciscain Quoniam quedam glose incluant des extraits de correspondance avec Roger Bacon et un recueil de notes exégétiques qui comparent le texte de la Vulgate à la Bible hébraïque du commentaire Rashi (Glosa hebraica) et d’autres auteurs[1]. Ces notes exégétiques ont été  jadis mises en rapport par Benoît Grévin et Etienne Anheim avec l’oeuvre de Roger Bacon au point de les lui attribuer. Bien qu’amicalement invité à cosigner l’article, nous avons toujours été réticent à une attribution pure et simple, pensant, comme nous l’avons écrit ailleurs, que la compilation était plus complexe et que seuls quelques fragments des lettres étaient attribuables à Roger Bacon avec une quasi certitude.

Les deux textes – correctoire et dossier -  nous sont parvenus ensemble dans quelques manuscrits (T F J O). Tantôt Quoniam précède Litterarum, tantôt Litterarum précède Quoniam (J).  Seuls T et F transmettent l’intégralité des deux textes[2]. Le correctoire du manuscrit de Santa Croce est annoté par endroit avec des extraits des notes exégétiques de la correspondance érudite de Roger Bacon recopiés par une autre main (voir par exemple In Iob. 33, 23).

Dans le manuscrit d’Einsiedeln (E) que nous n’avions pu consulter en 2001[3], l’attribution à Guillaume de Mara est explicite. Le correctoire est présenté pae le sommaire du manuscrit comme un « extrait de la correction du texte de la Bible compilée à Paris par Wilhermus de Mara  de l’ordre des mineurs». La préface est absente. Un autre texte– le « lexique » de Quoniam – est présenté comme distinct du correctoire et extrait des écrits de Mara.

L’attribution de Litterarum à Guillaume de Mara, franciscain, ne s’impose pas comme nécessaire. Il s’agit plus vraisemblablement d’une attribution par contamination, déduite de la proximité codicologique et textuelle de Litterarum avec Quoniam et d’une confusion entre deux textes. Bien qu’ils appartiennent  l’un et l’autre au genre des correctoires bibliques, ils visent des objectifs différents. En aucun cas le rédacteur de la préface Litterarum n’avait envisagé de corrige la Bible latine à partir de l’Hébreu et moins encore à partir de Rashi.

Le premier est le correctoire Litterarum, dont les manuscrits sont le plus souvent anépygraphes et anonymes et dont les attributions à Guillaume de Mara sont rares et tardives. Il s’agit d’un correctoire de la Vulgate destiné à établir le texte de la Bible latine dans un esprit assez différent de celui de Roger Bacon. Le correctoire et le dossier exégétique ne sont pas de la même veine, même s’ils proviennent du même cercle. Le correctoire est postérieur au dossier. Peut-être que son auteur est le compilateur du dossier. Mais il est moins disert et vise un autre objectif. Les notes ne sont pas destinées au correctoire. Il est possible qu’elles constituent une documentation préparatoire mais ne répondent pas à la même intention.

Certaines expressions du correctoire, ainsi que l’origine des principaux manuscrits conservés, indiquent sinon un auteur lui-même d’origine italienne, tout au moins quelqu’un qui a séjourné en Italie et probablement à Rome ou dans les régions méridionales de la péninsule.

Par ex. In Iob. 33, 23 : l’auteur mentionne avoir vu la bible que Grégoire le Grand a utilisé pour commenter Iob : « Gregorius exponit de similibus sed in biblia qua usus est vidi de milibus ». Que cette bible ait réellement appartenu à Grégoire le Grand ou non, une telle observation n’en indique pas moins une enquête qui a mené l’auteur hors des centres insulaires ou continentaux attendus.

Enfin et surtout, je ne suis pas sûr que les protagonistes de la correspondance, Roger Bacon et les membres de son cercle, auraient signé la préface du correctoire et approuvé le respect de la tradition latine qu’il prône et met en pratique, spécialement dans le correctoire des Psaumes, même lorsque celle-ci s’écarte de la lettre de l’hébreu. S’il y a quelque chose du pragmatisme insulaire dans cette préface, la distance qu’elle autorise à prendre à l’égard des « langues primaires » marque une distance surprenante par rapport au primat de la Veritas hebraïca de l’exégèse anglo-normande de la fin du 12e siècle et aux thèses de Roger Bacon[4].

En conclusion, l’attribution du correctoire Litterarum sacrarum à Guillaume de Mara est le résultat d’une transfert analogique. Parce que Litterarum, anonyme, ressemblait aux notes exégétiques de Guillaume de Mara, le correctoire Litterarum lui a été attribué a posteriori.

Je ne pense pas qu’on puisse inverser l’argument car l’intention de Litterarum est trop éloignée des positions de Roger Bacon. Cependant, on ne peut exclure que Guillaume de Mara ait évolué après avoir recueilli la mémoire des notes de Bacon et s’être formé à son école. La remarque du paragraphe 6 du prologue peut se comprendre soit comme une allusion auto-critique, soit comme une critique voilée des hébraïsants du cercle des jeunes années.

La recherche doit être poursuivie par la comparaison des données du correctoire avec celle du dossier Quoniam quedam et des nouveaux témoins signalés par Claudia Appolloni[5].



[1] Pour en savoir plus : Benoît Grévin, Étienne Anheim, Martin Morard, « Exégèse judéo-chrétienne, magie et linguistique: un recueil de notes inédites attribuées à Roger Bacon », Archives d’Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge t. 68, 76e année, 2001, p. 95-154.

[2] Nous n’avons pas pu examiner le manuscrit de Pérouse et n’avons vu que quelques feuillets de celui de Jérusalem.

[3] Einsiedeln, Stiftsbibliothek, cod. 28 (1279), s14 1/2, f. 4 : «Item continet eandem veritatem magis notabilem supr<ascrip>tam ex libro correctionis dicti textus fratris Willhermi de Mara. Require : [p.404-487] Incipit correctus textus Biblie compilata parisius per magistrum et fratrem Willehermi de Mara ordinis Minorum » ; « Item continet expositionem hebreorum et grecorum vocabulorum que glosa biblie continet, collectam ex huiusmodi opere dicti fratris Willehermi. Require :[p. 488 - 495].

[4] Voir à ce sujet avec la bibliographie citée, et sans prétention d’exhaustivité, Martin Morard, « Un Psautier glosé témoin de la tradition indirecte de la 'Media Glossatura' de Gilbert de la Porrée au début du 13e siècle (Monte Cassino 429) » in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2024.

[5] Voir Claudia Appolloni, « Terminologia linguistica, studio dell’ebraico ed esegesi biblica nelle Note attribuite a Ruggero Bacone (BML, Plut. 25 sin. 4) », à paraître.


Comment citer cette page ?
Martin Morard, Le prologue du correctoire biblique de Guillaume de Mara in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2025. Consultation du 02/04/2025. (Permalink : https://gloss-e.irht.cnrs.fr/php/page.php?id=156)