page créée par Martin Morard, le 24.7.2023, mise à jour le 8.9.2023 (versio 4)
Edras dans la Bible d'Etienne Harding, Dijon, BM, ms. 14
Biblia communis : 1Esr. 2Esr. (=Nehemias) 3Esr. 4Esr.
1. Cette note tente de résumer la problématique de la dénomination et de la canonisation des livres d’Esdras dans la Bible latine de la seconde partie du Moyen Âge. Notre propos n’a rien de définitif. Nous ne faisons que partager l’état présent de notre compréhension du phénomène historique de la réception d’Esdras dans la culture biblique médiévale.
2. Le tableau final auquel l’étude renvoie par le sigle T tente de récapituler les données essentielles. La partie grisée identifie les critères de classement. caractéristiques d’une cinquantaine de témoins qui jalonnent l’histoire de la diffusion d’Esdras. Les parenthèses incluent les livres qui sont présentés comme formant une unité codicologique par la numérotation, les titres, les initiales etc.). Ainsi (1+2) correspond à l’association de 1-2Esr. quand Néémie a le même numéro d’ordre de 1Esr. et ne s’en distingue que par une initiale ou une rubrique.
***
3. Les listes anciennes du canon biblique attestent généralement deux livres d’Esdras : « primus Esdre, Secundus Esdre ». Mais les traditions ont associé des textes différents à chacune de ces deux unités. La préface de Jérôme au livre d’Esdras (1-2Esr.) s'était contenté d'affirmer que seuls deux livres d’Esdras sont authentiques et que les deux autres sont apocryphes ; il mettait en garde contre certaines interprétations des songes figurant dans le troisième et le quatrième livre apocryphe d’Esdras sans en préciser le contenu exact : « Nec quemquam moveat quod unus a nobis liber editus est, nec apocryphorum tertii et quarti libri somniis delectetur ». C’était assez pour justifier la méfiance des éditeurs médiévaux de la bible latine. Jérôme avait ouvert la porte au doute, aux hésitations, à l'instabilité de 1-4Esr. jusques et y compris dans les bibles latines de la seconde partie du Moyen-Âge.
4. Sur les quatre livres en circulation au Moyen-Âge sous le nom d’Esdras dans les bibles latines, seuls 1Esr. et Néémie sont considérés comme canoniques par l’Eglise catholique au moment du concile de Trente[1]. Les premières bibles imprimées les font suivre par 3-4Esr. que l'édition Sixto-Clémentine (1592) renverra en appendice avec une note rappelant leur valeur traditionnelle[2].
5. Des titres et des numéros d’ordre différents ont été attribués aux mêmes livres d'Esdras, pour la plus grande confusion de tous. « La bible latine connaît plusieurs livres d’Esdras, mais divers systèmes ont eu cours, et il conviendra d’être très circonspect dans l’emploi des numéros d’ordre »[3]. On ne saurait faire griefs aux catalogueurs de ne pas toujours en avoir tenu compte, tant les situations sont diverses selon les époques, les systèmes linguistiques (hébreu, grec et latin, éthiopien), et les évolutions du canon biblique à l’intérieur même du christianisme latin. La porosité des frontières entre les bibles vieilles latines (traductions antérieures à Jérôme) et la Vulgate de tradition hiéronymienne explique nombre de ces fluctuations.
6. Nous renverrons ici habituellement à la division en 4 livres adoptée par la Sixto-Clémentine et l'Editio minor de la Vulgate : 1Esr. ; 2Esr. (Nehemie latin) ; 3Esr. ; 4Esr.
Le troisième livre d’Esdras
7. 3Esr. - La quasi totalité du texte latin de 3Esr., traduction de la version Alpha d’Esdras grec, est une recomposition de passages empruntés à 2Par. et à 1-2Esr. Ce caractère compilatoire explique en partie sa relative marginalisation, à l’instar d’autres centons apocryphes comme le Ps. 151 ou l’épître de Paul à Laodicée[4].
3Esr. |
2Par. |
3Esr. 1 |
2Par. 35:1-36:21 |
3Esr. 2:1-15 |
1Esr. 1 |
3Esr. 2:16-31 |
1Esr. 4:7-24 |
3Esr. 3:1-5:6 (récit dit ‘des pages du roi Darius’ original) |
om. |
3Esr. 5 :7-46 |
1Esr. 2 :1-70 |
3Esr. 5 :47-65 |
1Esr. 3 :1-13 |
3Esr. 5 : 66-73 |
1Esr. 4 :1-5 |
3Esr. 6 :1-22 |
1Esr. 5 :1-17 |
3Esr. 6 :23-34 |
1Esr. 6 :1-12 |
3Esr. 7 :1-15 |
1Esr. 6 :13-22 |
3Esr. 8 :1-30 |
1Esr. 7 :1-28 |
3Esr. 8 :1-2 |
4Esr. 1 :1-3 |
3Esr. 8 :31-68 |
1Esr. 8 :1-36 |
3Esr. 8 :69-91 |
1Esr. 9 : 1-15 |
3Esr. 8 : 92-9 :36 |
1Esr. 10 :1-44 |
3Esr. 9 : 37-56 |
2Esr. 7 :73-8 :13 |
8. Dans la Bible grecque, 3Esr. était placé avant 1-2Esr. 3Esr. serait la première version d’une traduction libre de 1-2Esr. hébreu, augmentée de réemplois d’autres passages bibliques et d’un récit sans équivalent dans la bible hébraïque. Il est entré dans le canon grec avant 1-2Esr. grec qui sont, pour leur part, une traduction plus exacte et plus littérale de 1-2Esr. hébreu. Pour ces raisons 3Esr. est appelé Esdras Alpha et 1-2Esr. Esdras Beta par la critique moderne[5]. Pour les mêmes raisons ils sont appelés respectivement Esdras primus ou Primus liber Esdre, et Esdras secundus dans certaines bibles latines qui ont gardé la mémoire de cet ordre primitif (par ex. Paris, BnF, lat. 111). Au 14e siècle, certains manuscrits de Nicolas de Lyre et quelques bibles sans doute corrigées d’après Nicolas de Lyre l’intitulent « Liber Iosias »[6]
9.
3Esr. vulgate (type V) – Le texte latin de 3Esr.
dérive de Esdras Alpha grec. VL 6/2 distingue cinq recensions ou « types »
vieux latins de 3Esr. La Bible latine du Moyen Âge tardif puise essentiellement
dans 3 d’entre elles[7].
1. La version dite vulgate qui circule en plusieurs recensions insuffisamment
distinguées par VL6/2 et Weber. VL6/2 assimile V aux bibles Ω elles mêmes confondues avec
la Clémentine, ce qui est deux fois inexact:
1.1 La vulgate Clémentine, transmise en appendice de la Bible sixto-clémentine
de 1593, s’écarte des Ω de Edmaior. Elle diffère en partie de
1.2 la vulgate parisienne, celle des Biblia parisiensia du 13e
siècle, n’a pas les leçons individuelles de Clementina parfois
assez importantes
(voir apparats de l’éditio minor et de la Biblia communis de Sacra
Pagina). L’homogénéité
du texte des bibles parisiennes du 13e siècle est évidemment une
fiction puisque ce texte, diffusé à partir de plusieurs exemplars, a fait également
l’objet de plusieurs corrections successives. ΩJ et ΩS collationnés par
Weber ne sont pas philologiquement homogènes ; ils représentent chacun un état différent des
corrections du texte des libraires de Paris du 13e siècle.
ΩM
est totalement ignoré. Le texte de 3Esr.V devrait donc être collationné au moins avec les
exemplars ΩX ΩN ainsi que ΩL ΩD ΩW pour qu’on dispose de points de comparaisons représentatifs
permettant de classer les manuscrits parisiens.
10. 3Esr. versio altera (type I). – La version alexandrine Alpha est également attestée en latin « par une forme révisée attestée entre autres dans le Vercellensis [Vercelli, Archivio Capitolare, XXII (76) ; cf. A. Sabelli, Inventari dei Manoscritti delle biblioteche d’Italia, t. 31, Florence, 1925, p. 82], dans le ms. Paris, BnF, lat. 111 », édité par Sabatier avec quelques fautes (Bibliorum Sacrorum Latinae Versiones Antiquae seu Vetus Italica, Reims, 1743, t. 3, p. 1038 et 1040-1067). Nous continuerons avec Sabatier de qualifier cette version de ‘versio altera’ dont on sait qu’elle est « le résultat d’une révision profonde » de la version vulgate « sur un témoins lucianique du grec »[8]. On peut lui ajouter Tr621, copié à la suite de l’histoire scolastique de Pierre le Mangeur (voir infra et Biblia communis (3Esr.) : status editionis dont le texte est quasi identique, nonobstant quelques écarts accidentels. La version altera est donc chronologiquement postérieure à la version vulgate, même si l’adoption de la version vulgate par les libraires parisiens a écrasé la diffusion de la versio altera.
11. 3EsR. version hibérique’ = VL 129 : Madrid, BM, Bibl. 7 (1-2Esr.) + 3Esr. = VL 129 : éd. VL6/2
12.
3Esr. versions mixtes. D’autres versions ont également
circulé aux 12e et 13e siècles qui donnent des textes différents de la versio
altera et de la version vulgate. Je les appelle « versions
mixtes » parce que la collation des 10 premiers versets des manuscrits
cités montrent que leur texte se caractérise par des emprunts mêlés provenant tantôt
de la version vulgate, tantôt de la versio altera. Ce sont notamment[9] :
P16744 : Paris, BnF, lat. 16744, f. 228, Bible de
Saint-Bertin, origine anglo-normande, probablement France : Nord-Ouest, s12
4/4.
Claudius : London,
BL, Cotton MS Claudius E I, recueil factice, origine : Angleterre, 1215-1230 ;
prov. St Mary the Virgin, Tewkesbury. ;
f. 174v-185r.
13. L’absence de consensus concernant la canonicité de 3Esr. a fragilisé sa transmission textuelle en favorisant les contaminations.
14. Deux facteurs expliquent les hésitations constatées. Le premier est l’absence de contenu original qui caractérise la majeure partie de 3Esr. La fréquence des centons, doublons et réemplois contredit le principe d’économie de l’exégèse biblico-pastorale résumé par le Expositum ne exponas martelé par Hugues de Saint-Cher. L’absence de contenu original explique que 3Esr. n’ait pas été commenté pour lui-même par la tradition herméneutique chrétienne avant Nicolas de Lyre, à l’exception cependant de Bède dont le commentaire était passé inaperçu, même aux yeux des érudits parisiens des 13e et 14e siècle : Vincent de Beaucvais, les correctoires, Hugues de St-Cher, Dominique Grima. Le second facteur de rejet est l’option préférentielle pour le modèle de la Veritas hebraica, l’autorité de Jérôme et de ses prologues.
15. 4Esr. - Composé en hébreu ou en araméen après la destruction du temple de 70, 4Esr. est transmis dans plus de six versions différentes. Les exégètes et éditeurs critiques utilisent aujourd’hui une numérotation et une organisation différente de celle de la Vulgate, fondée sur les versions sémitiques. Dans cette étude, nous ajoutons une astérisque aux références selon le sytème moderne pour les distinguer de l’usage Vulgate retenu par défaut :
4Esr. 1 et 2 = 5Esr.*
4Esr. 3 à 14 = 4Esr.*
4Esr 15 à 16 = 6Esr.*
16. Des numérotations semblables au système moderne peuvent parfois être observées dans des manuscrits médiévaux, latins ou en langue vernaculaire[10]. Dans les bibles médiévales, latine et vernaculaires, les titres « Esdras quartus », « Esdras quintus », « Esdras sextus » ne correspondent pas toujours au découpage retenus par la critique moderne. Ils sont parfois l’indice de textes importés de versions vieilles latines dans des versions médiévales de bibles hiéronymiennes ou assimilables, très exceptionnellement dans des bibles à la mode de Paris, comme nous le dirons plus loin à propos des manuscrits Troyes, BM 621 et Paris, Maz., ms. 5 (ΩM)
17. L’editio minor édite deux versions de 4Esr. (=6Esr.*) 15:59 à 16:32, l’une descendant de l’Amiatinus peu ou pas diffusée, et l’autre descendant de la bible de la Cava, adoptée par la Sixto-Clémentine. Il y a donc risque de confusion entre 4Esr.V qui contient 16 chapitres, et 4Esr.* qui ne contient que les chapitres 3 à 14 de 4Esr.
18. Au 15e siècle encore, même après la parution de la bible à 42 lignes de Gutenberg, les 3e et 4e livres d’Esdras sont souvent absents (T Este, Biblioteca Estense, ms. 422).
Position d'Esdras dans les bibles
19. 1-2Esr. sont généralement insérés entre 1-2Par. et Tb. mais, en dehors de Paris, on les trouve aussi à la suite de Sir.[11]. Les bibles glosées forment un cas à part car la présence de la Glose conduit à des regroupements de livres en fonction de critères matériels et fonctionnels (taille des volumes à relier), d'associations thématiques ou théologiques comme la dominante ecclésiologique de l'interprétation de certains livres (Apc. – Ct.), ou le regroupements des livres historiques en fonction de la chronologie. Ainsi l'ensemble glosé set-Do18/1 (France : Nord ou Paris, 12e 2/4) place 1-2Esr. après l'Octateuque (Gn.-Ruth.) et avant Tob. Idt. Est., alors que l'ensemble glosé Set-Do17 place 1-2Esr. dans l'ordre parisien habituel. Dans l'ensemble Set-Do22/4 (France : Nord ou Paris, 12e 1/4), c'est le livre des Maccabées (1-2Mcc.) qui est placé avant Tobie, tandis que 1-2Esr. suivent Esther. Dans les postilles littérales des livres canoniques de Nicolas de Lyre, 1-2Esr. sont placés avant Est. ; mais dans les exemplaires qui intègrent le commentaire des livres apocryphes 3Esr. précède Tobie. [12]
Cas particuliers
20. Les manuscrits suivants illustrent à titre d’exemple la grande complexité de l’agencement et de la dénomination des livres d’Esdras en circulation.
A. Le manuscrit Troyes, BM 621
21. Le manuscrit Troyes, BM, 621, provenant de l’abbaye de Clairvaux, est un recueil factice de biblica divers, de plusieurs origines, copiés au tournant du 13e siècle, et ajoutés à un exemplaire de l’Historia scolastica de Pierre le Mangeur conservé à Clairvaux au cours du 13e siècle. Rien ne permet de dire si le cahier contenant 3-4 Esr. et Tobie a été copié à Clairvaux ni à quelle date il est entré dans les collections de l’abbaye.
22. Tr621, f. 189-193rb., 3Esr. (versio altera) cum correctionibus textualibus, notulis, locis biblicis, aliis litteris interlienaribus marginalibusque manu contemporanea exaratis (contuli 3Esr. 1, 1-20 ; 2, 1, 13-16, 21, 26-27 ; 3, 1 ; 4, 62-63 ; 5, 1 ; 6, 1 ; 8, 1 ; 9, 3, 39-42, 49-56 etc.). Ce manuscrit transmet le texte de 3Esr. (versio altera), 4Esr. (version vulgate) et Tobie (versio antiqua, Sabatier, t. 1, 709 sqq. sans capitulations ni numérotations de parties). Bien que 1-2 Esr. en soient absents, il dépend d’un témoin qui divisait le dossier des livres d’Esdras en cinq livres ainsi répartis :
23.
.I. [1-2Esr. font défaut ]
.II. 3Esr. = Esdre [secundus] Dans la marge extérieure du f. 189 :
« Incipit liber Esdre tertius », une autre main (15e
s.) a corrigé dans la marge de tête : « Secundus Esdre » ;
une troisième main (moderne) note : « liber tertius ».
.III. 4Esr. 1-2= Esdre tertius
(« Liber Esdre tertius »), divisé en 12 distinctions non numérotées ;
aujourd’hui 6Esr.* (Repertorium biblicum n° 96)
.IV. 4Esr. 3-14 = Esdre quartus
(« Liber Esdre quartus »), divisé en 35 distinctions non numérotées ;
.V. 4Esr. 15-16 = Esdre quintus
(« Liber quintus »), divisé en 6 distinctions non numérotées (aucune
pour 4Esr. 16) ; aujourd’hui 5Esr.* (Repertorium biblicum n° 97)
24. Nous avons signalé ces quasi-capitulations par des chiffres romains placés à la suite des versets vulgate de notre édition. Leur signification et leur origine nous demeurent inconnues.
25. Les lieux variants se répartissent approximativement comme suit : leçons propres 5%, accords avec l’édition Weber : 80 % ; accords avec le texte parisien de type Guttenberg / Rusch / Clementina : 15 %. (Contuli 4Esr. 1-3 ; 14 :45-15 :13 et passim).
26. En marge et en interligne, une ou plusieurs mains contemporaines ont ajouté des corrections textuelles, des lieux parallèles bibliques, des manchettes signalétiques et quelques notules explicatives très brèves concentrées sur 3Esr. 1 à 4 ; toutes sont retranscrites ici à l’exception de celles qui ont été rognées ou prises dans la marge de couture. Certaines de ces annotations marginales sont de simples chiffres romains dont la signification nous échappe encore.
27. Textus differt ab editionibus Bensly, Violet, Weber sed concordat cum ‘versione altera’ (Sabatier) quae est alia translatio interpolata cum recentioris versionis aliis lectonibus. Le texte de Tr621 ne semble pas copié directement sur P111 : les sous-divisions des chapitres (60/61 lettres de couleur signalées dans notre édition par la numérotation des versets en chiffres romains) ne correspondent pas en tout point. Certaines leçons de Tr621 ne sont pas compatibles avec l’hypothèse d’une copie directe sur P111 : 3Esr. 9, 42 : P111 écrit fecerat sur erasure, là où Tr621 écrit fabricatum erat avec la version ‘vulgate’ et probablement avec la leçon initiale de P111, leçon discriminante qui devrait se retrouver dans l’exemplaire utilisé par Tr621, tout comme les graphies des nombres (Π = 2000 etc.). Il est possible que Sabatier ait consulté ou fait consulter Tr621 : certaines des corrections ou conjectures qu’il propose en marge de son édition correspondent au texte de Tr621 ; par exemple : 3Esr. 3, 21 : « sed notum facere Domino regi ut si tibi visum fuerit, inspicias libros (Tr621, omis P111 Sabatier) patrum tuorum ». Le mot libros est proposé comme « suppl. » dans la marge de son édition. Il est vrai que le sens du texte appelle ce complément. Le ms. contient dans la même unité codicologique 4Esr. et Tob.
B. P111
28. P111 (sparsim contuli) : Paris, BnF, lat. 111, f. 68ra-73rb : titre de fin « Hesdre liber primus de templi restitutione » [3Esr.] (sine glossa nec glossulis) ; prov. Colbert n° 630 (E. Baluze, Catalogue de la Bibliothèque de Colbert, Paris, BnF, Baluze 101, f. 11v : « Bibliorum pars, optima vero ( ?), in quo Novum Testamentum et alia »), Regius n° 3703.3 ; mentions : Berger, Histoire de la Vulgate, p. 332 n° 29, 340 n°18, 355, 356, 362, 373. Le texte de 3Esr. fait suite a à 1-2Par. et est suivi de 1-2Esr. en un seul livre précédé de la préface Utrum difficilis de Jérôme. P111 traduit donc directement le schéma de la LXX A’ = 3EsR., B’ = 1Esr., B’ = 2Esr. Ce codex ne fait pas partie des emprunts signalés dans le registre de prêt de la Bibliothèque de Colbert qui couvre les années 1679-1731, période antérieure à la mise en chantier de la Vetus latina par Dom Sabatier (Paris, BnF, latin 9366). Je remercie Marie-Pierre Laffitte d’avoir mis à ma disposition les résultats de ses identifications sur ce sujet. Je n’ai pas non plus pu identifier la provenance de P111 à partir des documents rassemblés par Baluze, relatifs à la formation de la bibliothèque de Colbert entre 1679 et 1690 (Paris, BnF, lat. 9364 ). Les différentes versions du Catalogue générale de la BnF, trompé par le titre du f. 68 (« liber secundus »), n’ont pas identifié ici le version ‘vetus latina’ de 3Esr. La documentation rassemblée par Baluze pour servir à l’histoire de la bibliothèque de Colbert entre 1670 et 1690 ne permet pas non plus d’identifier la provenance de ce manuscrit avec certitude (Paris, BnF, lat. 3964). Les preces de l’office de prime/pretiosa ajoutées au dernier feuillet indiquent une provenance canoniale ou cathédrale.
C. ΩM
29. ΩM-Esr. (1+2)+5+3+4+6 : La bible conservée sous la cote Paris, Mazarine, ms. 5 a reçu dans l’édition critique de la Vulgate le sigle ΩM. Sa copie est datable approximativement de Canterbury en 1231 grâce au chronographe du dernier feuillet. Hormis un fond commun avec les bibles parisiennes, elle s’en distingue par de très nombreux écarts par rapport au texte parisien, du moins ce qu’on peut en connaître en l’absence d’édition. Mais de nombreuses leçons de cette bible l’associent à des versions de la Bible latine attestées en Angleterre et dans les pays germaniques. Nos collations du texte biblique de l’édition princeps de la Glose ordinaire (Strasbourg 1481 c.) révèlent régulièrement de tels accords. Dans cette bible, 1-2Esr. forment un seul livre, intitulé « (Primus) Esdras », mais avec deux capitulations successives, l’une pour 1Esr. et l’autre pour 2Esr. (f. 119vb), malgré l'absence de toute solution de continuité entre les deux textes. Viennent ensuite
- 5Esr* (f. 124ra) intitulé en titre courant « Esdras II »,
- 3Esr.* (f. 124va) introduit par le titre marginal « incipit liber Esdre tertius » mais sans changement dans le titre courant qui reste « Esdras II »
- 4Esr* (f. 127va) (sans 7, 36 à 105) avec « Esdras III » en titre courant
- 6Esr*. (f. 132ra) (version Cava) avec « Esdras IIII » en titre courant
D. Novacella
30. Neustift/Novacella, Augustiner-Chorherrenstift, Cod. 20, f. 119va-128vb, Autriche, s13 : 1-2Esr. font suite à Sir. (OrMan.) sur le même feuillet ; ils forment deux livres distincts mais 2Esr. est lui-même divisé en « Neemias primus » (=2Esr. 1, 1 - 7, 69) et « Neemias secundus » (=2Esr. 7, 70 - 13, 31) ; la capitulation de 2Esr. continue cependant celle de 1Esr.
Souvent Esdras varie...
31. Même entre des manuscrits de même origine géographique ou chronologique, on observe des incohérences. Certains manuscrits cumulent des données héritées de traditions différentes comme par exemple des titres courants et des titres dans le texte qui numérotent différemment le même livre (ΩM). Autrement dit, les titres courants, les rubriques et les annotations ne sont pas toujours en accord avec les données du corps d’ouvrage. La raison n’en est jamais simple. Il faut envisager tous les cas de figure. Les titres courants peuvent refléter un état du texte plus ancien que le corps d’ouvrage ou inversément.
32. Pour la Bible française du 13e siècle, on se reportera aux recherches en cours du professeur Claudio Lagomarsini, de l’université de Sienne, que je remercie de m’avoir signalé le cas du ms. London, BL, AD 40620, et de m’avoir de la sorte incité à approfondir la présente enquête.
33. Pierre-Maurice Bogaert a publié il y a vingt ans dans la Revue bénédictine deux études fondamentales consacrées au dossier très complexe des différents livres bibliques d’Esdras et des rapports de la tradition latine de ces livres avec leurs sources grecques et hébraïques. Il y éclaire magistralement les péripéties tardo-antiques de l'organisation des livres d'Esdras en corpus. Cependant l'intégration des livres d'Esdras dans les bibles latines manuscrites et imprimées, entre le 12e et le 16e siècle, est le résultat d'une évolution qui s'avère moins simple que ne le donnent à croire les relevés de la codicologie quantitative[13].
34. L’affirmation selon laquelle « les Biblia parisiensia, abondamment diffusées par l’Université et la librairie parisiennes à partir du 13e siècle, comportent normalement [c’est moi qui souligne] quatre livres d’Esdras »[14] est inexacte. Il faut pour le moins parler d’une histoire chaotique. 4Esr. est absent du standard des bibles latines des 13e et 14e siècle, 3Esr., toujours considéré comme apocryphe, ne fait pas partie du noyau commun des bibles latines, et, de ce fait, continue à faire l’objet d’hésitation de plus en plus forte au fur et à mesure que l’on s’éloigne du modèle de la Bible des libraires de Paris.
35. La réception des ‘apocryphes’ d’Esdras, en particulier de 3Esr., dans le canon de la Bible des libraires de Paris (93%) et dans près de 77% des bibles de petit format du 13e siècle semble contredite par le silence de la Catena modernorum, datée des années 1230[15] ; de la postille d’Hugues de Saint-Cher et des correctoires bibliques parisiens, tous postérieurs. L’intégration de 3Esr., nommé « liber Esdre secundus », a été avalisée au début du troisième quart du 13e siècle par la Glose dominicaine de Pierre de Reims (plus connue sous le nom de version brève de la postille d’Hugues). Certains de ses manuscrits, seulement, reproduisent 3Esr. à la suite de Néémie, mais sans commentaire (v. g. W1112, P59, 237r-240 etc.). Au 14e s. la postille de Nicolas de Lyre commente 3Esr. mais elle continue à le ranger parmi les apocryphes sous le nom de « Esdre secundus ».
36. La Bible glosée, Sacra Pagina commentée dans les écoles et les facultés de théologie, seul texte biblique susceptible d’être considéré comme « universitaire », ignore totalement 3-4Esr. jusqu’à la fin du Moyen Âge. La postille biblique d’Hugues de Saint-Cher, toujours très conservateur, constate laconiquement : « multe biblie non habent eos »[16]. A la fin du 15e siècle encore, le traité des livres canoniques de la Bible du camaldule italien Bernardinus Gadolo, publié en tête des éditions de la postille imprimée de Nicolas de Lyre observe que 3-4Esr. ne se trouvent que « dans très peu de bibles manuscrites mais que 3Esr. figure dans beaucoup de bibles imprimées »[17] Les premières éditions imprimées de la Glose ordinaire reproduisent le texte de 3-4Esr. mais n’y associent aucun commentaire.
37. L’intégration des livres d’Esdras dans le canon de la Littera communis de la Bible latine, entre le 13e et la fin du 16e siècle, est donc un processus de réception à paramètres multiples. Tout au long de la période, et spécialement au 13e siècle, les manuscrits de la Bible, glosée ou non, et la doxa ecclésiastique attestent une hésitation constante concernant plusieurs aspects de ces textes : 1° la distinction entre 1Esr. et 2Esr. avalisée par la Bible de Gutenberg puis par la Sixto-Clémentine; 2° le titre donné à 2Esr. et aux autres livres; 3° l'intégration de 3Esr., et à fortiori de 4Esr., à la fois apocryphes et insérés dans l’ordre des livres canoniques; 4° la place des groupes 1-2Esr. et 3-4Esr. dans le canon ; 5° les capitulations ou divisions en chapitres ; 6° la fonction attribuée aux initiales majeures ; 7°la version du texte des livres d'Esdras adoptée : 3Esr. circule au moins dans deux versions latines distinctes. L’absence de texte hébreu, de commentaires anciens et donc de tradition herméneutique, la complexité de la graphie des noms propres et les erreurs de chiffres ont eu raison de la patience d’Hugues de Saint-Cher qui a laissé le livre incorrectum : « Libri Esdre apocryphus incorrectus remansit quia Hebrei et antiqui libri eum non habent et eius expositio inveniri non potest »[18]. Guillaume le Breton y supplée durant le dernier tiers du 13e siècle seulement.. (voir Sacra Pagina, Biblia communis <20.2817> Prologus additionis correctorio Hugonis de Sancto Caro in tertio libro Esdrae).
38. Plus fréquemment que pour tous les autres livres de la Bible, le paratexte est l’objet – chez Esdras - de nombreuses cancellations, de grattages et surimpositions effectués parfois au cours même de la copie du corps d’ouvrage. Ces accidents affectent les titres courants, les titres dans le texte, les numéros de livres, les capitulations. Ils sont révélateurs de tâtonnements postérieurs aux premières attestations datées de bibles à la mode de Paris (v. g. bible de poche à la première mise en place du standard de la libraria parisienne et des perplexités qu’a suscété la comparaison de celui-ci avec d’autres états du texte. Ils attirent l’attention sur l’existence d’opinions changeantes et, en même temps, de convictions suffisamment arrêtées pour justifier des corrections à la plume.
39. Si les bibles et gloses bibliques du 13e siècle habillent Esdras de multiples façons, c’est en raison de l’imprécision de la façon dont Jérôme en a parlé. Tous cherchent à répondre à une question unique : quel est le "second livre d'Esdras" authentique évoqué par Jérôme ? Deux options sont en concurrence. Le modèle de la Bible hébraïque qui ne connaît que 1Esr. et 2Esr. d’une part, et d’autre part le modèle de la Septante qui ajoute 3Esr. (Esdras Alpha) qualifié de « Esdras secundus », ce qui implique, par conséquent, que Néémie ("Verba Neemie") ne soit qu’une partie de 1Esr. afin de ne pas modifier le nombre de livres de la Bible hébraïque commenté par Jérôme dans le prologue galéatin[19]. A chacune des solutions envisagées correspondent des variables codicologiques plus ou moins fréquemment attestées selon les périodes et selon le type de texte que l’on examine : bible portatives, bibles avec commentaires, commentaires simples, correctoires, concordances, système de référence, bible des théologiens ou bible du commerce du livre. A la fin du siècle et au début du 14e siècle, le modèle ‘hébraïque’ est prédominant, avec la mise à l’écart corollaire de 3Esr. par les correctoires parisiens dits de Sorbonne, entériné par Nicolas de Lyre. Jusqu’à la fin du 14e siècle, on est en tout cas très loin du schéma d’Esdras en 4 livres vulgarisé par les bibles incunables.
40. Pour être exact, il faudrait maintenent examiner la façon dont les médiévaux ont cité les livres d’Esdras et comment ils en ont parlé. Dans l’attente d’une synthèse qui croiserait les données de la codicologie, de la philologie, des commentaires bibliques et de la théologie, le tableau ci-dessous réunit les données d’une cinquantaine de bibles, copiées à Paris, en France, en Italie, en Autriche et en Angleterre.
Philippe le Chancelier (ca. 1165-1236)
41. Dans le premier tiers du siècle, 1-2Esr. sont considérés à Paris comme un livre unique dont Néémie est une partie. Quand il cite Néémie, Philippe le Chancellier renvoie au livre d’Esdras ou bien à Néémie : « Esr. [...] seu Neemie... »[20].
Concordances dominicaines
42. Dans les concordances bibliques Saint-Omer, BM, ms. 28 (13e 3/3), concordances verbales dites anglaises ou de 3e génération, 1Esr. « 1°Es. » (f. 249rb), 2Esr. est appelé Néémie et 3Esr. « secundo Esdre ». (cf. vernaculus f. 346r). Je n’y ai pas trouvé de référence à 4Esr.
Vincent de Beauvais (entre 1240 et 1260)
43. La position de Vincent de Beauvais (+1260) doit être reconstituée à partir de plusieurs passages du Speculum historiale. En référence à Isidore de Séville (Etym. 6.) Vincent de Beauvais ne reconnait que deux livres canoniques d’Esdras « Secundus Esdre » : « Esdras, qui in duos libros dividitur apud Graecos et Latinos »[21]. Mais sous sa propre autorité (« Actor »), il présente le corpus intégral de la façon suivante : « Preter duos autem libros Esdre, primum et secundum qui vulgati sunt apud nos, extant etiam tres alii scilicet tertius [4Esr] et quartus [5Esr.] et quintus [6Esr.], nomine eiusdem intitulati, sed inter apocripha reputati. Ex quibus tamen quia veteres auctores videntur nonnulla sumpsisse testimonia, pauca hec breviter excerpsi »[22].
44. Il me semble qu’on peut déduire de ce témoignage
1° à la date du Speculum, le standard biblique évoqué – « qui vulgati sunt apud nos » - peut désigner aussi bien les bibles d’usage dominicaines que celle de l’usage du Nord de la France, incluant Paris. Mais cette division de 4Esr. en plusieurs apocryphes différents, numérotés de 3 à 6 ne correspond pas au contenu des bibles portatives parisiennes étudiées par Chiara Ruzzier où 3Esr. intitulé « secundus Esdre » domine et où 4Esr. est pratiquement absent. Les bibles dominicaines ignorent également 4Esr. Ni ΩJ, copié à Paris au milieu du 13e siècle, ni ΩL datée de 1264, ni ΩP copiées toutes deux dans le Nord de la France, bassin draîné par les informateurs de Vincent de Beauvais, ne mentionnent 4Esr. ni aucune de ses parties. La description de Vincent de Beauvais se rapproche plutôt du contenu de ΩM, copiée à Christ Church de Canterbury vers 1230-1231, et surtout de la Bible française du 13e siècle, ce qui ne manque pas de surprendre mais est parfaitement plausible[23].
2° le standard ‘vulgate’ qu’il évoque correspond donc bien à la division en deux livres (1+2) + 3 qui domine au 13e s, et qui nomme 3Esr. « secundus Esdrae ».
3° la distinction entre Esdras canonique et Esdras apocryphe est fondamentale. Elle prouve, s’il était besoin, que le groupe complet des apocryphes est connu et accessible même là où la version vulgate ne les contient pas.
4° un doute subsiste sur les textes que Vincent place effectivement sous chacun des numéros énoncés. Le plus probable est la répartition suivante :
Primus = (1Esr. +2Esr.), Secundus = 3Esr., Tertius = 4Esr.*, Quartus = 5Esr.*, Quintus = 6Esr.*
Dominique Grima
45. Dominique Grima, dominicain et maître en théologie, commente à Toulouse le Pentateuque avant 1319 pour les étudiants dominicains. Dans son commentaire du prologue général sur l’Ecriture, la lettre à Paulin de Jérôme, il évoque un livre d’Esdras en 2 tomes (1+2)+3 où Néhémie appartient à 1Esr. mais dispose d’une capitulation propre. : ; il y traite une première fois du statut d’Esdras : « Esdras autem scripsit secundum omnes volumen istud in quo etiam[24] verba Neemie comprehenduntur[25] propter quod, licet verba Neemie dividantur per propria capitula, quando tamen allegantur non[26] debet dici ‘in libro Neemie’ sed ‘in Neemia’. Non autem facit hic Hieronymus mentionem de secundo libro Esdre[27] quia secundum Isidorum, Sexto Etymologiarum, non habetur apud Hebreos, sed, cum tertio et quarto Esdre qui