Glossa Media. Les commentaires de Gilbert de la Porrée sur les Psaumes et les épîtres pauliniennes

page créée par Martin Morard le 20.6.2022, mise à jour le 2.3.2025 (version 6)

Troyes, BM, ms. 815 : Glossa media in Ps. (12e 1/2) =>

Nous procurons ici :

·         des extraits de la Glossa media sur les Psaumes (Prologue Christus interer et Ps. 13, 14, 36, 41, 46, 47, 51, 56, 86, 109, 133, 150, ainsi que des extraits du commentaire d’autres Psaumes, collationnés sur un nombre variable de témoins (de 2 à plus de 10). - L'édition critique du commentaire de Gilbert de la Porrée sur les Psaumes est en préparation par Theresa Gross-Diaz ; cf. Theresa Gross-Diaz, From Lectio divina to the Lecture Room : the Psalms Commentary of Gilbert of Poitiers, Leiden – New York – Cologne, Brill, 1995.       
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pour en savoir plus :  Martin Morard, Glossa media (Ps.) : Status editionis, in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, [2022] 2025.

·         l'intégralité du texte de la Glossa media sur les épîtres paulinienne, établi à partir de la transcription du ms. Zwettl, Zisterzienserstift, Cod. 58 (Autriche, s. 12 3/4) publiée par le professeur Karlfried Froehlich (Princeton Theological Seminary) que nous remercions d’en avoir autorisé l’usage et la publication.      
L’édition électronique modifie le document procuré par 
Karlfried Froehlich : le texte - habillé, structuré par versets bibliques, annoté - , est parfois corrigé à la lumière de meilleurs manuscrits; les particularités d'exemplaires sont systématiquement rejetées en apparat, etc.        
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pour en savoir plus : Martin Morard, « L'édition électronique native de la Glossa media de Gilbert de Poitiers sur le corpus paulinien » in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, [2023] 2025.

·         différents prologues associés à la Glossa media ou à des commentaires de celle-ci.

La Glossa media de Gilbert de la Porrée (1080 - †1154), rédigée entre 1115 et 1142 , est un commentaire lemmatique des Psaumes et du corpus paulinien (désormais, Ps. et Paul.).

Contrairement à ce qui a pu être dit parfois[1], les commentaires de Gilbert de la Porrée, cités sous le nom de Glossa media à la fin du 12e siècle, sont loin d’être les premiers commentaires à se signaler par une approche analytique et théologique. Il serait peut-être plus exact de dire que l’exégèse de Gilbert de la Porrée se présente comme un effort d’appropriation paraphrastique du donné scripturaire par la raison théologique. Par son style et sa méthode, cette exégèse se distingue, sans s’y opposer sur le fond, de la grande exégèse de Tradition – ou exégèse doxographique - prônée par le canon 19 du concile In Trullo, mise en oeuvre par la Bible glosée et spécialement par la Magna Glossatura de Pierre Lombard. Pratiquement tous les commentateurs latins du Moyen Âge central oscillent entre ces deux polarités. Le débat avec saint Bernard a faussé notre regard sur Gilbert de la Porrée. La passion rend toujours aveugle. La lecture continue des deux commentaires de Gilbert sur les Psaumes et le corpus paulinien permet de rétablir les faits. Dans les yeux de ceux qui l’ont reçue, l’exégèse de Gilbert de la Porrée était moins scolastique que magistrale. La Glossa media n’est pas faite – au sens codicologique – pour servir à l’usage des studia de type universitaire. Elle n’invite pas à la dialectique. La confrontation des thèses y reste très circonscrite. Elle propose, pour être imitée, une lecture qui restitue les mots du donné scripturaire, selon la continuité discursive que la foi commune impose à l’intelligence du commentateur. La lecture du texte reste l’objectif premier. Le rappel des interprétations possibles de chaque lemme n'est pas systématique ou encyclopédique. Et surtout il n’est pas transformé en occasion de dispute. Cette exégèse prend donc naturellement la forme d'une paraphrase, se glisse dans les pas de la lectio divina monastique, en revêt presque la forme, si tant est que cela soit possible. Toutefois, la subjectivité du lecteur individuel y est remplacée par la rationalité théologique de la foi commune que le maître a, par fonction, mission de verbaliser au sein de la communauté croyante qu’est l’Eglise, en appui du munus docendi de l’évêque.

Les deux commentaires bibliques de Gilbert de Poitiers ne se sont pas tout à fait similaires. Leurs sources, la méthode d’exposition, certaines particularités de mise en page, voire le genre littéraire ne sont pas exactement les mêmes. Le commentaire des Psaumes s’inscrit dans une longue tradition dominée par la forme des Expositiones in Psalmos de Cassiodore, autant que par le fond des Enarrationes d’Augustin. La méthode de division des Psaumes en parties numérotées (distinctes des versets modernes), le classement thématique des Psaumes, la terminologie grammaticale n’ont rien de « scolastique ». Ils prolongent l’éthos exégétique du maître de Vivarium ; ils y puisent leur matériau technique. Les commentaires de la période et des décennies qui précèdent, également munis de prologues, ne sont ni moins analytiques, ni moins théologiques.

Par son contenu et sa mise en page, la méthode exégétique de Gilbert de Poitiers marque une étape entre la Glose par sentences discontinues, marginales et interlinéaires, et la Grande Glose de Pierre Lombard qui supplantera la Glose de Laon et celle de Gilbert à partir des années 1165-1180.

Gilbert de la Porrée n’a absorbé qu’une partie du matériau exégétique de la Glossa parva, dans des proportions qui diffèrent pour les Psaumes et saint Paul. L’édition électronique permettra d’en mesurer plus précisément l’importance. A la différence de la Glose de Laon qui procède par sentences discontinues épinglées au Texte biblique qui les structure, la Glossa media remodèle l’ordre des mots du Texte selon la structure de la pensée de l’auteur. Gilbert ne commente pas, il paraphrase[2]. Il désintègre la structure originale de la période biblique pour en réinsérer les éléments, selon un ordre nouveau. Ses longues phrases coulent comme l’eau d’un ruisseau, mais sont difficiles à interrompre, à segmenter, et donc à commenter. Elles intègrent les mots du Texte dans la continuité de la pensée discursive de l’auteur. Ce style, assez unique, fait passer la construction de la continuité intellectuelle avant le respect de la continuité littérale de la Bible qui caractérisera l’exégèse scolaire à partir de Pierre Lombard, chez Thomas d’Aquin en particulier.

L’absence de division en chapitres et de subdivisions fines du texte, se prête mal à l'exégèse des écoles. La technique des autorités de Gilbert de la Porrée laisse fortement à désirer.  Les citations sont peu littérales. Rien n’indique leur début ou leur fin.  La position marginale des lemmes attributifs est instable. Elle se prête mal à l’exégèse doxographique : à la discussion et à l’analyse selon les méthodes prônées par Abélard reprises par les écoles. Fréquemment citées en marges, les Pères sont moins souvent nommés dans le corps de la paraphrase. Il est possible que les lemmes attributifs de la Glossa media - autorités patristiques nominales – fassent état, en partie tout au moins, de renvois aux recueils de sentences théologiques disponibles dans les années 1145-1160.

A cette époque, tout se passe comme si les commentaires bibliques de Gilbert de Poitiers avaient été perçus, un temps au moins, comme une alternative à la complexification croissante de l’exégèse scolaire – prolixe, pesante, compilatoire et redondante. Les disciples de Pierre Lombard ont imposé la Magna Glossatura. Mais il suffit de commencer à lire les commentaires pauliniens de Gilbert de la Porrée pour comprendre la large sympathie qu’il a rencontrée dans les milieux monastiques avant que l’issue du combat ne soit acquise. Les moines n’ont pu renoncer de gaîté de coeur au style paraphrastique du Porrétain qui, par son rythme et sa façon, donne l’impression d’une lectio divina continue. Mais au lieu de conduire à une appropriation subjective et psychologique, il coule l’or du message paulinien dans le moule de la raison théologique de la communauté croyante, c’est-à-dire de la personne Église tout entière.  Le raz de marée des universités eut raison de ces velléités.

En nombre de mots, la Glossa media est inférieure de moitié, environ, à celui de Pierre Lombard. Cette proportion est identique pour le commentaire des Psaumes et pour celui du corpus paulinien. En nombre de témoins conservés, la diffusion de Gilbert de la Porrée est cinq fois moins importante que celle de Pierre Lombard.

Il n’y a pas lieu d’imputer seulement et d’abord cette relative infortune aux oppositions doctrinales rencontrées par Gilbert de la Porrée, ni même à la condamnation de certaines de ses thèses. Le Moyen Âge n'a jamais exclu l'ensemble de l'oeuvre d'un auteur à cause d’erreurs ponctuelles et de condamnations ciblées, surtout quand l'auteur a fait amende honorable. Pierre Lombard aussi a eu à faire face à des critiques sévères sans que cela entrave la diffusion de ses écrits.

La Glossa media a souvent été diffusée sans Texte biblique ajouté, comme s’il était auto-suffisant, ce qui n’est pas vraiment le cas. A peu près la moitié des témoins de la tradition manuscrite de ce corpus a fait l’objet d’une diffusion sous forme de livre glosé avec Texte biblique intégral recopié en synopse.

Les transitions ne correspondent pas exactement à la versification liturgique universelle du Psautier. La division en parties, inspirée de Cassiodore sur les Psaumes, disparaît du commentaire paulinien. La quasi-absence de paragraphes, de termes techniques, la fluidité du style, la syntaxe personnelle de l’auteur qui dissout les sentences empruntées à la Glose ordinaire ne se prêtaient pas à l’exercice de la lecture publique de la Bible, destinée forger dans l’auditoire un habitus de réception dialectique et diachronique de l’Écriture en ses traditions.

Les lemmes ou manchettes thématiques symboliques, guides de lecture ajoutés à certains manuscrits de la Glossa media sur les Psaumes sont inspirés – plutôt que empruntés - au commentaire de Cassiodore. Destinés à faciliter la consultation ponctuelle de la Glossa, ils ont souvent été mal compris par les copistes. Leur insertion marginale, comme celle des lemmes attributifs, est instable. Ils n’ont pas d’équivalent dans le commentaire des épîtres de Paul.

La double distance prise par Gilbert par rapport au système sententiaire et par rapport à l’exégèse doxographique, sa nature de texte personnel ‘fermé’, l’absence d’ergonomie se prêtaient moins bien que la Glose de Laon et surtout que celle de Pierre Lombard aux besoins d’un enseignement destiné à la formation des masses.



[1] Cf. M. Colish, « Psalterium Scholasticorum », 1992, p. 537-538.

[2] Sur ce sujet, voir nos remarques dans Martin Morard, Elvira Zambardi, « Paratexte et appropriation : la Glossa media sur les Épîtres pauliniennes au Mont Cassin : un manuscrit reliquaire (ms. 235) ? », dans : La Bibliofilia; rivista de storia del libro e delle arti grafiche di bibliografia ed erudizione, 2024, CXXVI (La memoria scritta di Montecassino, a cura di M. Maniaci e N. Tangari), p.1-20. hal-04865257v1.


Comment citer cette page ?
Martin Morard, Glossa Media. Les commentaires de Gilbert de la Porrée sur les Psaumes et les épîtres pauliniennes in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2025. Consultation du 02/04/2025. (Permalink : https://gloss-e.irht.cnrs.fr/php/page.php?id=5)